Dans l’Hexagone, le libéralisme est accusé de tous les maux. Pourtant, David Lisnard tente de réhabiliter ce mode de pensée sur la scène politique tricolore. Publication de livres, présence médiatique accrue, développement d’un mouvement, laboratoire municipal : tous les moyens sont bons. Quelle sera la prochaine étape ?
David Lisnard, le dernier libéral ?
Nous sommes en 2023 après Jésus Christ, tous les politiciens de Gaule considèrent le libéralisme comme un gros mot. Tous ? Non. David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France (AMF), se démène pour promouvoir haut et fort cette philosophie seule à même, selon lui, de redresser la France.
Lisnarisme
Qu’elle le soutienne ou non, toute la classe politique est unanime : David Lisnard est charpenté et solide sur ses appuis. Son programme qu’il déroule dans de plus en plus de médias est complet et cohérent. Mais comment définir le "lisnarisme" ? Le journaliste Quentin Hoster, auteur de l’ouvrage David Lisnard, le réveil de la droite se prête au jeu : "Il s’agit de reprendre tout le programme de LR mais de dire que, pour le mener à bien, il faut en finir avec l’ultra-bureaucratie qu’il définit comme un nœud gordien." Le terme de libéralisme est très peu connu dans l’Hexagone et souffre de nombreuses idées reçues. Il est même devenu pour certains un moyen d’excommunication. En réalité, il existe de nombreuses variantes : les liberals américains sont très ouverts sur les questions sociétales, le "Thatchero-reaganisme" est radical sur le plan économique mais conservateur sur le plan des mœurs.
La lecture des ouvrages et l’écoute des discours de David Lisnard laissent penser que le maire de Cannes s’inscrit dans une autre catégorie, l’ordolibéralisme, qui a notamment permis le miracle économique allemand après la Seconde Guerre mondiale. Parmi les points saillants : une lutte contre l’inflation législative, un maximum d’autonomie laissée aux collectivités locales ainsi qu’aux lieux d’enseignement, un État central amaigri et concentré sur ses missions régaliennes, une baisse des dépenses sociales et une lutte contre les incivilités… "Le lisnarisme vit aussi avec son temps puisqu’il place l’environnement et la culture au cœur de tout", précise Quentin Hoster.
Pour le maire de Cannes, la bureaucratie est le noeud gordien
Laboratoire cannois
Loin de se cantonner au rôle d’idéologue, le quinquagénaire met ses idées en pratique à Cannes, ville dont il est maire depuis 2014. Les finances de la commune sont gérées au cordeau, les dépenses publiques diminuées, des recherches de synergies mises en place pour faire plus avec autant voire moins. Le maire ne se prive pas de critiquer les strates bureaucratiques qui empêchent certains projets d’avancer. Sur le régalien, le premier édile mène une campagne médiatique contre les incivilités, renforce la police municipale et la vidéosurveillance. Durant l’épidémie de Covid, il fait parler de lui en étant l’un des premiers à installer un vaccinodrome ou une fabrique municipale de masques. C’est d’ailleurs à ce moment qu’il commence à prendre la lumière, notamment à travers une tribune intitulée La crise du Covid révèle la folie bureaucratique française publiée dans Le Figaro à l’automne 2020. L’environnement est également l’objet de politiques publiques telles qu’une charte environnementale imposée aux navires de croisière ou des plans de protection du littoral repris par d’autres communes.
Sa politique semble plébiscitée par ses administrés puisque, lors de la dernière élection municipale, il remporte la mise dès le premier tour avec un score "soviétique" de 88 % dans une commune à la sociologie plus contrastée que ne le suggèrent les strass, les paillettes et le festival associés traditionnellement à la ville.
Nouvelle énergie
Pour séduire au-delà de la Côte d’Azur, David Lisnard a lancé en juin 2021 son propre mouvement politique nommé Nouvelle Énergie. Deux ans plus tard, le bilan est satisfaisant et la boutique n’a rien d’une coquille vide : "Nous travaillons sur le fond, sommes présents dans une soixantaine de départements et nous nous apprêtons à ouvrir un siège à Paris prochainement", se réjouit Caroline Doucerain, maire des Loges-en-Josas dans les Yvelines et responsable du déploiement national du mouvement. Si elle ne souhaite pas donner un nombre précis d’adhérents, elle affirme que "la dynamique est bonne. La double adhésion est possible, on a des LR, des déçus du macronisme, des apolitiques voire d’anciens chevènementistes."
Quentin Hoster a assisté à plusieurs réunions du mouvement. Verdict : "Les participants ne ressemblent pas à ceux que l’on voit habituellement dans les réunions LR, il y a beaucoup de jeunes, de personnes apolitiques ou issues de milieux parfois peu aisés." Auprès de ce public, David Lisnard s’efforce de démonter les idées reçues en montrant que le libéralisme peut être populaire et que certaines solutions frappées du sceau de l’infamie, comme la retraite par capitalisation, sont des solutions pertinentes.
Le président de Nouvelle Énergie compte sur quelques personnalités issues de la société civile pour défendre ses idées. Parmi les principales, Viviane Chaine-Ribeiro, présidente de la Fédération des très petites entreprises (FTPE), l’universitaire Victor Fouquet ou encore le médiatique avocat Thibault de Montbrial. Mais globalement, il reste isolé et sa voix n’est pas suffisamment entendue au sein de LR. D’où l’intérêt de peser au sein du parti.
David Lisnard a la sagesse de ne pas s'opposer aux hiérarques de LR
Bon camarade
Si l’activisme tous azimuts de David Lisnard pourrait à terme finir par agacer sa maison mère LR, pour le moment force est de constater que ce n’est pas le cas. "Il a vraiment l’image du bon camarade et, pour avoir interrogé beaucoup de monde dans son camp, personne ne dit du mal de lui", souligne Quentin Hoster. L’homme n’a pas encore commis d’erreur stratégique irréparable : il ne s’est jamais présenté contre un hiérarque de son camp, n’a critiqué personne au sein du parti, les relations avec Laurent Wauquiez et Éric Ciotti sont au beau fixe. Les poids lourds de son camp sont conscients que, dans un parti dont l’électorat se réduit à peau de chagrin, il est important de garder tout le monde à bord du navire. Même le chef de file d’un courant libéral qui a bien peu à voir avec des députés de son camp dont certains votent contre la réforme des retraites ou n’excluent pas un accord de gouvernement avec Emmanuel Macron.
Gramsciste ou avide de pouvoir ?
Jusqu’à présent, le patron de Nouvelle Énergie s’accommode parfaitement de son appartenance à sa famille politique d’origine. Celui qui aime à se dire au service d’une cause plutôt que de son ambition personnelle pratique une sorte de gramscisme libéral. Il utilise à fond sa notoriété et sa capacité à parler en public pour "infuser" ses idées auprès du grand public. Et au sein de LR, il souhaite peser de tout son poids sur la ligne politique, ce qui devrait l’amener à ferrailler avec certains responsables prônant un retour de l’État "nounou" et s’accommodant de la bureaucratie. Et si cela ne marche pas ? "Pour lui ce sont les idées qui priment", observe Caroline Doucerain. "S’il se heurte à un mur chez LR, il prendra son bâton de pèlerin." Au cas où, une structure est déjà prête. À bon entendeur.
Lucas Jakubowicz