À l'heure où le régime fiscal et social du carried interest semble désormais stabilisé, quelles pratiques et tendances devraient émerger ? Le carried interest risque-t-il de disparaître au profit d'autres systèmes, tels que les bonus ?

À l'heure où le régime fiscal et social du carried interest semble désormais stabilisé, quelles pratiques et tendances devraient émerger ? Le carried interest risque-t-il de disparaître au profit d'autres systèmes, tels que les bonus ? Comment une réforme fiscale risque-t-elle de bouleverser les politiques de rémunération des équipes de private equity ?

Pointés du doigt, les systèmes de rémunération pratiqués dans l'industrie financière seraient en partie responsables de la crise actuelle. Depuis plusieurs mois, les gouvernements des principales places financières, de New York(1) à Paris en passant par la City, cherchent à moraliser les pratiques qui auraient conduit les professionnels à une prise de risque excessive.



L'industrie du private equity n'a pas échappé à la critique. Dès la fin 2008, à l'initiative du Sénateur Arthuis, les parlementaires rendent plus difficile l'accès au régime des plus-values mobilières dont bénéficient, sous certaines conditions, les personnes physiques porteurs de parts de carried interest. Pour être éligibles à ce régime et à son taux effectif d'imposition de 30,1 %, les parts de carried interest doivent satisfaire de nouvelles conditions(2). A défaut, les revenus qu'elles procurent sont imposés à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires(3) (soit à un taux marginal maximum de 40 %). Fin 2009, le Parlement se saisit à nouveau du sujet pour soumettre les distributions et plus-values, lorsqu'elles sont imposées dans la catégorie des traitements et salaires, à une contribution sociale de 30 %(4).

 

La réforme du carried interest est certes critiquable. Mais elle a abouti à renforcer la sécurité fiscale et sociale.

Aujourd'hui, ce régime semble enfin stabilisé. En effet, juridiquement, rien ne justifie une intervention législative : la loi ayant précisé le régime aussi bien fiscal que social, il n'existe plus de zone d'insécurité nécessitant d'être comblée(5). Économiquement, le private equity est confronté à des difficultés notamment en termes de levées de fonds : toute nouvelle contrainte serait donc particulièrement malvenue. Enfin, le Parlement ne semble plus mobilisé sur ce sujet : lors des derniers débats concernant la rémunération des professionnels de la finance, il s'est focalisé sur les bonus versés aux traders(6).

Ce régime ayant donc, semble-t-il, vocation à perdurer, quelles peuvent être les incidences de la réforme fiscale sur les pratiques qui étaient jusqu'à présent observées ?

Depuis l'origine, les investisseurs notamment institutionnels des fonds de private equity (les "LPs") exigent, comme condition de leur investissement dans le fonds, que les personnes de l'équipe impliquées dans l'orientation de la gestion du fonds, et notamment dans le choix des sociétés cibles, investissent à titre personnel un certain montant dans le fonds. Par cet alignement des intérêts, les LPs s'assurent que les personnes à qui ils confient leur argent ou celui de tiers (retraités, assurés,….) consacrent leur activité à une gestion efficace du fonds.
Ce principe a perduré au fil des années, avec quelques évolutions :
- le taux du carried interest est très généralement fixé à 20 %(7). Cela signifie que l'ensemble des parts de carried interest donne le droit de percevoir 20 % des produits et plus-values nettes réalisées par le fonds. Néanmoins, certaines équipes ont pu négocier des taux supérieurs.
- depuis plusieurs années, la pratique conditionne le droit des équipes à percevoir leur carried interest à l'atteinte par le fonds d'un certain taux de rendement, plus connu sous le nom de "hurdle". A l'heure actuelle, son taux se situe autour de 8 %. Faute d'atteindre ce taux, les équipes perdent leur droit au carried(8).
- l'investissement des équipes a toujours représenté un certain pourcentage de la taille du fonds qui pouvait aller de 0,1 % pour les FCPI et FIP jusqu'à plus de 1 % pour les fonds de LBO.
- cet investissement était réalisé au travers de la souscription de parts ordinaires et de parts de carried interest. Ce système mixte présentait un avantage en cas de non atteinte du hurdle : comme tout investisseur ordinaire, les équipes étaient assurées de percevoir, au travers de leurs parts ordinaires, une partie des produits et plus-values nettes du fonds.
Jusqu'à présent, tous ces éléments étaient purement contractuels. Ils relevaient exclusivement d'une négociation entre l'équipe de gestion et les LPs. Mais le nouveau régime fiscal a bouleversé la donne.
L'enjeu lié à la fiscalité des plus-values mobilières s'est immiscé dans les discussions avec les LPs et le champ des éléments ouverts à la négociation s'en trouve considérablement réduit.
Ainsi, pour bénéficier du régime des plus-values mobilières, l'équipe doit investir un pourcentage minimum de la taille du fonds, pouvant aller de 1 % à 0,25 % pour les FCPI ou FIP ou pour les Fonds qui investissent principalement soit dans des sociétés innovantes, soit dans des PME non cotées(9).
Mais pour bénéficier du taux dérogatoire de 0,25 %, le taux du carried doit être au plus de 20 %. Les équipes seront donc peu tentées de négocier un carried supérieur à 20 %...
Par ailleurs, pour certaines équipes, le taux de 0,25 % peut s'avérer extrêmement exigeant. Cela est particulièrement vrai pour les gestionnaires de FCPI et FIP, qui lèvent généralement au moins un fonds par an, voire de plus en plus, au moins deux(10). Ces équipes doivent investir 0,25 % de la taille du fonds, multiplié par le nombre de fonds levés sur une année, et cela chaque année. Mais cela est également vrai pour les gestionnaires de FCPR allégés qui, même s'ils ne lèvent généralement qu'un fonds tous les 3 ans, ont des objectifs de levée souvent supérieurs.
Par ailleurs, ces équipes auront des difficultés à financer, grâce aux produits reçus d'un fonds précédent, leurs parts de carried dans un fonds successeur. En effet, pour bénéficier du régime des plus-values mobilières, les produits distribués par un fonds doivent être versés « au moins cinq ans après la date de la constitution du fonds … et … après le remboursement des apports des autres porteurs de parts »(11).
Enfin, compte tenu du niveau d'investissement requis en parts de carried interest, l'investissement des équipes se fera principalement, voire exclusivement, en parts de carried interest(12). Le plus souvent, ils ne détiendront pas (ou peu) de parts ordinaires. Par suite, à chaque fois que le fonds n'atteindra pas le hurdle, ces équipes ne seront plus associées aux fruits de leur gestion.
L'investissement des équipes de private equity sera donc beaucoup plus risqué qu'il ne l'était jusqu'à présent. Il sera également généralement plus coûteux.
L'exigence fiscale d'investissement risque d'exclure du droit au carried les membres les plus jeunes de l'équipe de gestion car souvent les moins fortunés. Il risque également de poser de réelles difficultés aux "first-time funds". Même si des solutions de financement ad'hoc peuvent être mises en place, il est fort probable que pour certaines équipes, voire pour certaines personnes de l'équipe, le carried interest soit abandonné au profit d'autres systèmes, tels que les bonus ou l'intéressement. Il pourrait en être ainsi dans les FCPI ou FIP, dans lesquels les investisseurs, qui ne sont pas des investisseurs institutionnels mais des particuliers, ne conditionnent pas leur investissement à une prise de risque en capital des équipes.
Dans les mois à venir, les sociétés de gestion seront probablement amenées à mettre en place de nouveaux "packages" au profit de leurs salariés et dirigeants. Quelle que soit la structure de ces "packages", ils doivent permettre :
- de garantir un alignement des intérêts de l'équipe de gestion et des LPs,
- d'attirer de nouvelles recrues et de les fidéliser de manière à assurer une certaine stabilité de l'équipe,
- d'opérer des distinctions, le cas échéant, entre les membres d'une même équipe de gestion sans rem ettre en cause l'équilibre des intérêts,
- d'éviter une charge fiscale et sociale trop lourde pour la société de gestion.

Mars 2010

1 L'administration Obama envisage d'imposer le carried interest comme un revenu. Son taux d'imposition passerait alors de 15 % à 39,6 %.
2 Ces conditions sont fixées à l'article 150-0 A II 8° du code général des impôts. Elles prévoient notamment que les parts de carried interest représentent une seule et même catégorie de parts, représentant un certain pourcentage du montant total des souscriptions reçues par le fonds et que les distributions auxquelles elles donnent droit soient versées au moins cinq ans après la date de la constitution du fonds.
3 Article 80 quindecies du code général des impôts.
4 Article L.137-18 du code de la sécurité sociale.
5 Même si certains points méritent encore d'être précisés malgré la publication en janvier 2010 de l'instruction fiscale 5 C-1-10 du 29 décembre 2009.
6 La loi de finances rectificative pour 2010 prévoit de soumettre les bonus versés en 2009 à une taxe de 50 % pour la fraction qui excède 27.500 euros. Cette taxe sera due par les établissements de crédit et les entreprises d'investissement, à l'exception des sociétés de gestion de portefeuille.
7 En matière de fonds de fonds, le taux accordé aux équipes se situe généralement entre 7 % et 10 %.
8 C'est le cas de la majorité des équipes de gestion. En effet, environ 2/3 des équipes ne percevraient pas de carried faute pour le fonds d'atteindre le hurdle.
9 Article 41 DGA de l'annexe III au code général des impôts.
10 Un fonds ISF en début d'année et un fonds IR en fin d'année.
11 Article 150-0 A II 8° 2 c du code général des impôts
12 Alors même que l'instruction fiscale 5 C-1-10 du 29 décembre 2009 vient d'admettre que les porteurs de parts de carried interest peuvent bénéficier de l'exonération d'impôt prévue pour les distributions auxquelles donnent droit les parts ordinaires (§24), ce qui était exclu par l'instruction fiscale 5 C I-2-02 du 28 mars 2002 (§8).

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