À l’ère du numérique, l’écosystème de la santé se transforme pour permettre une meilleure fluidité dans les rapports entre la technologie, les données, les patients et les professionnels de santé, tout en offrant un cadre juridique protecteur.

Portée par la crise sanitaire, la transformation numérique de l’e-santé accélère et ne s’essouffle pas. Si en 2023, le marché de l’e-santé a semblé se rationaliser à l’échelle internationale, l’écosystème français demeure particulièrement dynamique. Les start-up y participent pleinement avec leurs technologies de pointe : des logiciels de télémédecine se servant de l’IA aux objets connectés de plus en plus perfectionnés. Les plateformes de santé développent de nouveaux parcours patients pour leur faciliter l’accès aux soins. Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste, comme l’illustre l’adoption par le Parlement européen de la proposition de règlement sur l’Espace européen des données de santé le 24 avril 2024, tandis que le règlement sur l’IA, adopté le 13 mars dernier par les députés européens et faisant de la santé un des secteurs privilégiés de l’application de l’IA, devrait être publié ce mois-ci au Journal officiel de l’Union européenne.

La prise en charge du patient connecté en pleine mutation

Pensée pour permettre de lutter à la fois contre les déserts médicaux et les urgences surengorgées, la télémédecine est désormais fortement encouragée par les pouvoirs publics. En pratique, celle-ci permet à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ("télé-consultation"), de solliciter à distance l’avis d’un autre ("télé-expertise"), d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ("télé-assistance") ou encore d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient ("télé-surveillance").

Depuis 2018, les actes de télémédecine sont remboursés par l’Assurance maladie en France dans les conditions définies par le cadre réglementaire (cas général 70 % et jusqu’à 100 % dans certaines conditions). Afin d’accompagner le développement de la pratique de la téléconsultation, l’assurance maladie et les syndicats représentatifs signataires de la convention médicale ont élaboré une Charte de bonnes pratiques de la téléconsultation, publiée le 6 avril 2022, qui contient les recommandations et obligations essentielles au regard de la pratique de l’activité à distance. En outre, en décembre 2023, la Haute Autorité de santé a mis en ligne un référentiel de bonnes pratiques professionnelles destiné aux sociétés de téléconsultation qui établit les critères définissant les actions à réaliser et les moyens à mettre à disposition par ces sociétés afin que les médecins salariés de ces sociétés et les patients réalisent une téléconsultation dans le respect des bonnes pratiques de qualité et d’accessibilité.

"Le cadre juridique de la santé numérique transforme le parcours de soins tout en préservant la qualité des soins et celle de la relation avec le patient"

Le développement du numérique en santé au bénéfice du patient apparaît également par la mise en place d’outils numériques. Ainsi, la nouvelle plateforme nationale "Mon espace santé" a été mise en service le 1er janvier 2022. Cette plateforme procède notamment au remplacement du dossier médical partagé, contient une messagerie permettant au patient d’échanger plus rapidement avec son équipe de soins, et propose désormais des applications de santé référencées par l’État.

Nouvelles valorisations des technologies de santé

La création du système national des données de santé (SNDS) en 2016 permettant d’accéder aux données de l’activité des établissements et des prestations de santé, avait d’ores et déjà créé l’effervescence, eu égard aux opportunités de recherche corollaires. La France poursuit ce mouvement de valorisation de cet entrepôt de données unique au monde en déployant le "Health Data Hub", une plateforme de données de santé comprenant le SNDS et visant à faciliter l’accès et l’utilisation sécurisée de ces données, notamment pour la recherche et les projets innovants utilisant des technologies d’IA. Par ailleurs, la stratégie d’action "Santé numérique" lancée par le gouvernement dans le cadre de France 2030 a pour ambition de faire de la France l’une des premières nations innovantes en santé en Europe à travers une dotation de 650 millions d’euros.

Dans cette dynamique de développement du numérique en santé, la CNIL a publié plusieurs référentiels et guides, en cours de mise à jour, relatifs aux entrepôts de données de santé, aux modalités d’obtention des autorités de recherche en santé et s’est dotée, depuis janvier 2023, d’un service dédié à l’IA proposant des outils d’évaluation des systèmes d’IA destinés aux professionnels. En particulier, en avril 2024, elle a publié ses premières recommandations sur le développement des systèmes d’intelligence artificielle.

L’État accompagne cette tendance en clarifiant progressivement le cadre juridique et technique applicable aux services numériques de santé. En 2021, une ordonnance est venue faciliter l’octroi aux professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social des moyens d’identification électronique permettant l’utilisation des services numériques de santé. En outre, le référentiel relatif à l’hébergement certifié des données de santé est en cours de refonte afin d’en clarifier le périmètre et les obligations, ainsi que pour répondre aux questionnements relatifs à la souveraineté des données de santé. Au niveau européen, de nombreuses initiatives sont également prises afin de favoriser une approche commune de l’IA. Ainsi, l’Agence exécutive pour la santé et le numérique a commencé son activité le 1er avril 2021. Elle a pour principale mission de mettre en œuvre le programme de "L’UE pour la santé", qui s’étend sur la période de 2021-2027, et qui vise à contribuer de manière significative à la relance post-Covid-19 et à soutenir des actions relatives à la transformation numérique des systèmes de santé. Le nouveau règlement sur l’IA, dont la publication est très attendue, s’applique à tous les secteurs d’activité et classe les systèmes d’IA selon les risques qu’ils impliquent, avec des systèmes de certification et de contrôle croissants. Ce texte aura des implications significatives dans le secteur de la santé, en particulier pour les fabricants de dispositifs médicaux (DM) intégrant de l’IA.

Le règlement prévoit en effet que tout système d’IA qui est un DM de Classe IIa (ou supérieure), ou qui utilise un système d’IA comme composant de sécurité, est désigné comme étant "à haut risque", impliquant le respect d’exigences supplémentaires, s’ajoutant à celles prévues par la législation européenne en matière de DM. Le Parlement européen a également adopté en avril 2024 la proposition de règlement pour instituer un "Espace européen des données de santé" qui a pour ambition de favoriser la transformation numérique du secteur de la santé et notamment des dossiers médicaux électroniques et d’apporter un cadre cohérent et fiable pour la réutilisation des données de santé. Enfin, en septembre 2022, la Commission européenne a proposé deux nouvelles directives en matière de responsabilité du fait des produits défectueux et de responsabilité civile extracontractuelle dans le domaine de l’IA, dont l’objectif majeur commun est d’adapter la réglementation actuelle aux enjeux de l’IA.

Persistance des fondamentaux de la protection des patients

Cette transformation numérique assure une meilleure prise en charge du patient, sans diminuer ses droits. La Cnil a toujours prêté une attention particulière à ce que la dématérialisation des dossiers médicaux et la numérisation des systèmes de santé ne s’opèrent pas au détriment de la protection des données. Par ailleurs, les premiers jalons d’un principe de garantie humaine en matière d’IA ont été affirmés dans un nouvel article L. 4001-3 du code de la santé publique créé par la loi bioéthique, qui rappelle la nécessité d’un choix du professionnel de santé et de son information ainsi que de celle des patients.

Au niveau européen, de nombreuses actions sont entreprises afin de placer l’éthique au cœur de l’IA. Ainsi, la Commission européenne a publié en février 2020 un livre blanc sur l’IA afin d’adopter une approche européenne solide et coordonnée relative aux implications humaines et éthiques de l’IA. De même, le règlement IA a pour objectif d’asseoir une vision européenne de l’IA basée sur l’éthique en prévenant les risques inhérents à ces technologies par un règlement commun permettent d’éviter certaines dérives.

En janvier 2022, la Commission a également présenté la "déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique", qui a pour objectif d’expliquer les intentions politiques communes dans le contexte de la transformation numérique de l’UE, et de servir de référence aux entreprises et aux autres acteurs qui élaborent et déploient de nouvelles technologies.

SUR LES AUTEURS

Anne-France Moreau est associée au sein du département Sciences de la vie de McDermott Will & Emery. Anne-France conseille des sociétés dans les secteurs pharmaceutiques, dispositifs médicaux (incluant logiciels et objets connectés) et cosmétiques dans le cadre de leurs opérations de M&A, d’investissement, de partenariats, lors de la négociation de leurs accords stratégiques en France et à l’étranger, ainsi que pour des questions réglementaires.

Lorraine Maisnier-Boché est avocat counsel au sein du département Tech & Data de McDermott Will & Emery. Lorraine conseille les professionnels et structures de santé, les administrations, ainsi que les compagnies d’assurances, fabricants de dispositifs médicaux, éditeurs de logiciels ainsi que des hébergeurs, concernant des projets informatiques complexes. Avec la participation de Cloé Hassid, juriste stagiaire.

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