TotalEnergies occupe les devants de l’actualité. Assignée en justice par des associations et des ONG défenseuses de l’environnement, l’entreprise pétrolière française a obtenu gain de cause en juillet dernier dans l'affaire TotalEnergies en Ouganda. Anne-Laure Pelcerf, directrice affaires juridiques compagnie, et Rémi Nouailhac, head of legal – sustainability, ont répondu aux questions de Décideurs Juridiques.

 Pourriez-vous détailler vos missions au sein TotalEnergies ?

Anne-Laure Pelcerf. Je suis directrice affaires juridiques compagnie au sein de la direction juridique holding. J’ai la charge d’une équipe avec plusieurs divisions, notamment la division "sociétal" de Rémi Nouailhac.

Rémi Nouailhac. La division que je dirige s’occupe de la rédaction et de la mise à jour du plan de vigilance de la compagnie, et de délivrer du conseil juridique en interne. Cet aspect "onseil" vise à faciliter la prise de décision des opérationnels et des entités holding sur tous les sujets de la sustainability tels que le climat, les droits humains, la biodiversité, le développement durable et le volet devoir de vigilance. L’idée c’est d’accompagner ces entités dans l’appréhension du paysage juridique et des obligations de la compagnie.

Les équipes de TotalEnergies ont-elles attendu l’émergence du devoir de vigilance pour se pencher sur les problématiques liées aux droits humains, à la santé, à l’environnement, etc. ?

R. N. Le devoir de vigilance prévu par la loi française porte sur les droits humains, la sécurité, la santé et l’environnement. La gestion des risques que fait courir l’activité de la compagnie sur ces sujets avait été appréhendée avant 2017, voire bien avant. Dans notre industrie, de manière générale, les problématiques HSE (hygiène sécurité environnement) sont prises en charge depuis des décennies. Et depuis des décennies, elles sont structurées selon des standards internes dans tous les pays où nous opérons. Cela vaut pour tout le système de cartographie, de gestion de risques, d’audits, de plans d’action... Dès les années deux mille, TotalEnergies a lancé des actions en matière de droits humains. En 2011, elle s’est dotée d’un guide pratique sur les droits de l’homme. De même pour la partie fournisseurs. Sur l’aspect RSE, là aussi, TotalEnergies édite depuis longtemps des publications volontaires sur le sujet, qui ont vocation à informer les parties prenantes sur notre système de maîtrise de ce type de risques.

A.-L. P. Nous avons également adopté assez tôt un code de conduite. Ces sujets n’ont rien de nouveau pour nous. Le devoir de vigilance nous a poussés à rassembler les informations que nous avions déjà établies dans un nouveau type de communication réglementée.

Combien de temps a-t-il fallu à TotalEnergies pour lister les risques de ses activités ? Dans la pratique, quel processus TotalEnergies utilise-t-il pour produire le plan annuel de vigilance légal ?

R. N. Comme expliqué, nos processus d’identification, de maîtrise et de limitation de ces risques existent depuis longtemps. Les travaux de cartographies de risques présentés dans notre plan de vigilance ont été établis à partir de ces outils de gestion des risques. Le processus d’établissement du plan de vigilance se déroule en amont de la publication du document d’enregistrement universel. À la direction juridique, nous sommes des "chevilles ouvrières" de cette mise à jour rédactionnelle. Nous recueillons les informations sur les cartographies de nos contributeurs issus des métiers concernés : HSE, droits humains, achats, sûreté, éthique... L’élaboration du plan de vigilance est faite en parallèle de la déclaration de performance extrafinancière. Les thématiques de ces deux documents se recoupent en partie. Le premier plan a été élaboré en 2017. Depuis, nous suivons une logique de mise à jour, avec l’enregistrement chaque année des éventuels nouveaux risques, processus, actions, etc.

Le contexte d’accentuation des risques climatiques accélère-t-il l’identification des risques et accroît-il leur nombre ?

R. N. La position et la compréhension de TotalEnergies de la loi sur le devoir de vigilance sont qu’elle ne concerne pas le climat ou ce qu’on pourrait appeler le risque climatique. Il s’agit, à notre sens, d’un risque diffus qui ne résulte pas spécifiquement des activités d’une entreprise ou d’une autre. Le devoir de vigilance a plutôt été conçu à l’image du drame qui en est à l’origine, celui du Rana Plaza, pour des accidents et des problèmes de mauvaises gestions environnementales et sociétales des activités industrielles. On explique d’ailleurs dans notre plan de vigilance pourquoi on considère que le risque climatique ne fait pas partie de notre cartographie des risques et de la loi de vigilance. Le sujet a été débattu par des plaignants contre TotalEnergies tout récemment. Leur demande a été jugée et rejetée comme irrecevable. Le débat n’a donc pas porté sur le fond. Pour nous, le plan de vigilance n’est pas l’outil de traitement des sujets climatiques.

A.-L. P. Le climat n’est d’ailleurs pas abordé par la loi sur le devoir de vigilance.

R. N. Ni dans les travaux législatifs de la loi. En revanche, nous menons des actions fortes en matière climatique. Le sujet modèle même notre stratégie. Nous en rendons compte dans la déclaration de performance extrafinancière et aussi dans notre rapport volontaire Sustainability & Climate Progress Report publié chaque année.

A.-L. P. Ce rapport est soumis au vote des actionnaires en assemblée générale, un vote consultatif. Il présente ambitions, objectifs et stratégies et les progrès accomplis sur l’année écoulée par rapport aux objectifs.

Les revers judiciaires des associations qui ont assigné TotalEnergies sur le Devoir de vigilance ont-ils conforté le travail de mise en conformité ou au contraire permis d’identifier des failles ou des marges d’évolution sur certains points ?

A.-L. P. Les décisions ont conforté notre travail. Elles mettent en évidence que nous avons produit un plan de vigilance conforme aux attentes du législateur.

R. N. On peut tirer des enseignements des deux décisions judiciaires de 2023 (l’une issue du contentieux qui concerne le projet ougandais, et l’autre du contentieux climatique). La première décision de février a souligné que le plan de vigilance de TotalEnergies comprenait des mesures suffisamment détaillées pour ne pas être regardées comme sommaires et ne présentait pas d’illicéité manifeste. Dans ce contentieux lié au projet ougandais, nous ne sommes malheureusement pas parvenus à avoir des échanges avec les ONG demanderesses pour comprendre en détail les difficultés de terrain alléguées. La filiale de TotalEnergies en Ouganda dispose de process et de ressources très complets pour ce qui est des respects des droits humains dans le cadre des processus d’établissement de projets et notamment lors d’acquisitions de terres. Il existe un système porté à la connaissance de tous pour que chacun se sente libre d’exprimer ses griefs contre le projet. Le système fonctionne plutôt bien à notre sens. On avait donc à cœur d’écouter les associations demanderesses, point par point. Nous étions partants pour la médiation proposée par le juge dans le cadre de cette affaire.

A.-L. P. Le tribunal judiciaire avait en effet fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur. La rencontre a eu lieu, mais le processus de médiation n’a pas été lancé du fait du refus des ONG. L’échec de la médiation reste un regret.

R. N. Mais le dialogue n’est pas pour autant coupé. TotalEnergies dispose d’un département et des entités chargées, sur le plan central et local, du dialogue constant avec les parties prenantes, et notamment les ONG. Par ailleurs, les ONG publient parfois des rapports accusatoires, qui ne relèvent pas vraiment du dialogue et qui nous placent dans une position défensive. Mais TotalEnergies a à cœur de maintenir les canaux de communication ouverts, et le dialogue est riche sur place avec des ONG locales qui sont dans une approche exigeante, mais constructive, avec notre filiale.

Qu’attendez-vous de la directive européenne ?

R. N. Pour nous, la directive européenne sur le devoir de vigilance porte deux enjeux assez clairs. Le premier enjeu tient à l’équilibre à atteindre entre les ambitions des normes européennes et le caractère praticable et réaliste pour les entreprises qui sont engagées dans la compétition mondiale. Puisqu’il y a évidemment un enjeu de compétitivité. Le second enjeu, essentiel pour les juristes, concerne la sécurité juridique du texte. On attend d’une telle directive, une feuille de route claire sur ce qui est attendu des entreprises. On espère que le devoir de vigilance européen ne donnera pas prise à de longs contentieux d’interprétation pendant des années après la mise en œuvre du texte, à l’instar de ce qu'il se passe en France. Des contentieux qui n’aident personne, ni les entreprises, ni les parties prenantes. Quant à l’autorité de contrôle, on a tendance à considérer qu’elle serait bienvenue. Une autorité qui définit un cadre, qui donne des guidelines et une politique de mise en œuvre et de contrôle. Le principe d’une autorité semble plutôt bien ancré dans le projet de directive.

Quels autres enjeux en compliance voyez-vous poindre ?

A.-L. P. Nous suivons de près la mise en œuvre pratique de la directive CSRD qui impose un reporting de durabilité et qui va entrer en vigueur très bientôt. Là encore, comme pour le devoir de vigilance, on a déjà probablement l’essentiel des éléments qui pourraient nous permettre de faire un reporting comme demandé par la directive.

R. N. Les normes ESRS de la Commission ont été publiées à la fin juillet. Cela laisse peu de temps aux entreprises pour effectuer les exercices d’analyse d’écart entre les informations qu’elles publient déjà et celles qu’il faudra ajouter. On attend aussi une ordonnance de transposition en droit français des exigences de la directive. Les grandes entreprises pour qui la date d’entrée en application est fixée au 1er janvier 2024 ne disposent que d’un délai très court pour se conformer. C’est un défi pour elles. La directive CSRD qui vient renforcer le niveau de détail de l’information demandée fait partie d’une tendance que l’on retrouve par exemple chez les agences de notation extrafinancières ou les attentes de diverses parties prenantes. Cette tendance selon laquelle les exigences légales accompagnent les attentes des parties prenantes, de la société, et des propres évolutions internes, car nous sommes aussi des citoyens du reste. Il n’y a pas que la loi. Surtout pour une entreprise multinationale, implantée bien au-delà de la France et de l’Europe. Si la loi sur le devoir de vigilance a un périmètre d’application matériel mondial, d’ordinaire la loi n’est pas la même partout. Pour autant, une entreprise comme TotalEnergies doit avoir des standards uniformes. Nos standards internes s’alignent donc sur le plus haut degré d’exigence et s’appliquent partout.

Propos recueillis par Anne-Laure Blouin

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