Les Français vivent jusqu’à 80 ans pour les hommes et 85 pour les femmes. La transition démographique progresse et les maladies liées à l’âge gagnent du terrain. Stanislas Veillet, CEO et fondateur de Biophytis revient sur les freins tant réglementaires que psychologiques face à ces pathologies.

De quel constat est née Biophytis, biotech qui développe des candidats médicaments pour lutter contre les maladies liées à l’âge ?

Stanislas Veillet. La transition démographique qui touche la France et les pays européens s’accélère. Depuis de nombreuses années, les maladies liées à l’âge explosent. En première ligne desquelles, la dégénérescence musculaire appelée sarcopénie, mais aussi celles des fonctions sensorielles et cognitives comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. Aujourd’hui, peu de traitements existent et encore moins sont efficaces.

Conscient de ces limites, j’ai créé Biophytis en 2007 au sein de Sorbonne Université pour développer des candidats médicaments destinés à pallier les processus biologiques du vieillissement. Le premier d’entre eux a démontré sa preuve d’efficacité contre le déclin musculaire et la perte de mobilité dans une étude clinique de phase 2. Nous cherchons aujourd'hui des financements pour démarrer la phase 3. Notre deuxième candidat médicament entend ralentir la dégénérescence maculaire liée à l’âge, connue sous le nom de DMLA, entraînant une perte de la vue.

En pensant aux problématiques de populations vieillissantes, celle du Japon vient à l’esprit. Qu’en pensez-vous ?

La transition démographique du Japon n’a que dix ans d’avance sur celle de la France. Nous la vivons en ce moment. Nous nous heurtons à un mur en matière de besoins médicaux, mais aussi à un mur de coûts qu’aucun gouvernement n’a encore affronté. Le gouvernement a mis en place des dispositifs, notamment à travers la loi Bien vieillir, qui portent sur la prise en charge des personnes dépendantes. Mais pour vieillir dans de bonnes conditions, il vaut mieux que les personnes restent autonomes le plus longtemps possible. Des thématiques développées par René Lafont, Jean Mariani et moi-même dans l’ouvrage Vivre longtemps en bonne santé que nous avons publié fin 2023.

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À quels obstacles êtes-vous confrontés dans l’élaboration de thérapies ?

Les maladies liées à l’âge ont une progression lente chez l’homme : entre 10 et 15 ans. Dans la majorité des cas, ces pathologies progressent dans un premier temps sans symptôme clinique important avant de s’exprimer et de porter atteinte aux fonctions vitales du patient. Ainsi, dans la dégénérescence maculaire, les premiers symptômes apparaissent vers 50 ans mais la vraie perte d’acuité visuelle ne survient que vers 70 ans. Les études cliniques pour mesurer les effets de la maladie sont donc longues, impliquent un grand nombre de patients et coûtent chères. Cet investissement, qui tutoie les 100 millions d’euros, doit permettre d’évaluer à travers des études cliniques internationales de phase 3 le rapport bénéfice-risque d’un traitement.

"Le handicap des personnes âgées est souvent perçu comme "naturel", inscrit dans l’ordre des choses"

Dans le cas des maladies comme la sarcopénie, qui désigne la perte de masse et de force musculaires, celles-ci sont relativement "nouvelles" du fait de la transition démographique en cours et, donc, moins connues, notamment des investisseurs. Par ailleurs, le handicap des personnes âgées est souvent perçu comme "naturel" ; inscrit dans l’ordre des choses. Ce temps long et ce manque de sensibilité sur le sujet expliquent que nous ne soyons qu’une dizaine de biotech en Europe à lutter contre les pathologies associées à l’âge. C’est trop peu.

Quelles pistes faciliteraient l’avancée des traitements contre ces pathologies ?

Protéger les patients passe par abaisser les contraintes réglementaires existantes. La pandémie de Covid-19 a montré que l’accès au marché de nouveaux médicaments pouvait être accéléré en situation d’urgence. Or, la transition démographique est une urgence. Compte tenu du temps de développement des médicaments, la bataille doit être menée dès maintenant. L'innovation dans ces maladies va plus lentement que la transition démographique. Avec davantage d'investissement, la plupart d’entre elles pourraient être traitées en évitant la perte d'autonomie et de tout lien social.

La transition démographique est une urgence

Un statut spécifique existe dans le cas de maladies orphelines, qui permet d'accélérer le processus de mise sur le marché : pour un traitement dont la sécurité est établie, un laboratoire s’engage à compléter les données d’efficacité une fois le médicament commercialisé. Aujourd’hui, aucun statut spécifique n'existe pour les médicaments réservés aux seniors, les plus de 65 ans, ni pour leur développement ni pour leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour des formes sévères de maladies liées à l’âge, il faudrait pouvoir étendre les procédures d’accès précoce. C’est le cas dans le cadre de l'usage compassionnel de certains médicaments, prescrits avant leur AMM, à des patients atteints de pathologies graves où aucun traitement autorisé n'est efficace.

De quoi donner matière à réflexion ?

Ces freins relèvent d'une interrogation philosophique : pourquoi faisons-nous plus pour nos enfants que pour nos parents devenus dépendants ? Souhaitons-nous réellement intégrer nos aînés à la société ? Vers quel modèle de société souhaitons-nous tendre ?

Propos recueillis par Alexandra Bui

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