Malgré les grandes ambitions des États européens, l’industrie solaire du continent craint pour sa survie.

C’est l’un des grands paradoxes de la transition énergétique européenne. Alors que le passage aux énergies renouvelables et la réindustrialisation sont sur toutes les lèvres, l’immense majorité des équipements installés sont produits en dehors de l’UE, le plus souvent en Chine.

Les choses semblaient pourtant bien parties. Historiquement, l’industrie solaire européenne était à la pointe, l’Allemagne ayant même été pendant longtemps le plus grand producteur de panneaux solaires. Ces jours de gloire paraissent appartenir au passé. Depuis une dizaine d’années, la Chine a investi massivement dans la recherche et la fabrication, à hauteur de 130 milliards en 2023. Elle se classe désormais au premier rang du secteur avec 80 % de la production mondiale.

Le solaire européen en voie de disparition

L’essor du secteur chinois s’est accompagné d’un effondrement des prix : le tarif d’une cellule solaire fabriquée en Chine a baissé de 25 % en 2023. Si ce mouvement est bon pour la transition écologique, il est en revanche catastrophique pour l’industrie européenne : ses propres produits coûtent désormais deux fois plus cher que leurs équivalents chinois. Résultat : les invendus s’accumulent, à tel point que la survie même de la filière est en jeu. Un groupement d’entreprises représentant 75 % du secteur en Europe a prévenu que 4 000 postes pourraient être supprimés dans les prochaines semaines si les institutions européennes n’interviennent pas. Le mouvement a déjà commencé puisque Meyer Burger, le plus gros constructeur allemand, a fermé début mars sa ligne de fabrication et entamé le licenciement de 500 employés. Près d’un quart de la capacité de production européenne s’est volatilisée depuis le début de l’année.

Les industriels réclament donc un plan de sauvegarde d’urgence de 880 millions d’euros sur deux ans, pour acheter les inventaires existants et pour faire tenir les trésoreries. Leurs suppliques ne semblent cependant pas toucher la Commission européenne, qui se refuse pour le moment à la mise en place d’aides. Elle évoque tout au plus la possibilité pour les États membres d’organiser des ventes aux enchères favorisant les producteurs locaux pour des projets d’État, et l’implication éventuelle de fonds européens.

Une Union résignée ?

Une certaine apathie qui contraste avec l’ambition officielle des 27, à savoir être en capacité de produire 30 gigawatts à l’horizon 2030. En filigrane, un dilemme fondamental se dessine pour l’Europe : la Chine est à ce jour le seul producteur capable de lui fournir le matériel nécessaire pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone. Il lui est impossible de se brouiller avec ce partenaire incontournable en rétablissant des droits de douane et en aidant l’industrie locale. Les décideurs européens semblent donc avoir fait une croix sur leurs ambitions d’indépendance énergétique. Produire à l’autre bout du monde les instruments de notre transition écologique, avec un impact environnemental parfois douteux : voilà qui peut laisser dubitatif.

Mais plus largement, la stratégie de l’UE a de quoi rendre perplexe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis au jour les conséquences dramatiques d’une dépendance énergétique envers une puissance non démocratique. Que se passerait-il si, en cas de tensions diplomatiques, la Chine coupait le robinet du solaire ? Les institutions européennes semblent pour le moment penser que les États-Unis ou l’Inde pourraient prendre le relais des importations et que, dans le pire des cas, une filière locale pourrait être recréée.

C’est donc à un délicat exercice de realpolitik que se prête en ce moment l’Europe, et il semble bien qu’elle ait fait le choix de sacrifier ses industries solaires locales sur l'autel de ses objectifs écologiques à long terme.

François Arias

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