L’Europe n’est plus la seule à jouer sur le terrain de la réglementation liée aux données personnelles. Une raison de plus pour encourager la legaltech franco-européenne et renforcer notre souveraineté numérique. Pour y arriver, un coup de pouce de la sphère publique serait le bienvenu.

Compréhension des enjeux juridiques locaux, jeunes pousses innovantes sur les segments du contract management, de la compliance ou de la collaboration… On le sait, la legaltech franco-européenne a des atouts. Certains utilisateurs lui trouvent même un côté rassurant, car plus rigoureux en matière de protection des données personnelles. Il se dessine finalement un sujet plus large : faire le choix de la legaltech française ou européenne, c’est aussi faire le choix de la souveraineté numérique. On y pense peut-être plus spontanément quand il s’agit d’autres secteurs de la tech, car "celui de la legaltech est moins connu, le marché est plus faible", analyse Philippe Latombe, député français auteur d’un rapport sur la souveraineté numérique nationale et européenne paru en juin 2021.

Pour autant, les acteurs concernés par ces legaltech - avocats et directions juridiques d’entreprise, notamment - sont "très attachés au sujet de la souveraineté numérique". Chez PwC, c’est un enjeu de "vigilance absolue, non négociable, confirment Olivier Chaduteau et Loïc Le Claire, respectivement associé responsable de l'activité Legal Business Solutions chez PwC France et Maghreb et président de PwC Société d'Avocats. Nous avons plus de 4000 professionnels dédiés à la cybersécurité au sein du réseau PwC." De nombreux cabinets d’avocats ont été parmi les premiers à utiliser des systèmes d’anti-phishing par mail pour éviter les fuites de données. Ils tiennent aussi à pouvoir conserver les données chez eux. L’exercice devient plus délicat chez les firmes internationales : quand les enseignes multisites doivent basculer sur un cloud, elles doivent s’assurer de choisir l’option la plus sécurisée possible.

Faire du "en même temps"

Car si l’Europe a fabriqué une réglementation à l’inédite exigence en matière de protection des données, d’autres pays se positionnent sur le sujet. Les États-Unis ont commencé avec leur Cloud Act, adopté en 2018, qui permet aux autorités d’enquête de demander des pièces aux hébergeurs de données même si les serveurs sont basés en France. À l’époque, le député Raphaël Gauvain suggérait d’étendre le Règlement général sur la protection des données aux données personnelles des personnes morales. Le pays de l’Oncle Sam songe aujourd’hui à aller plus loin, avec l’élaboration de son propre RGPD. Il ne devrait pas être au niveau de l’original, estime Philippe Latombe, car les Américains "devraient vouloir faire un ‘en même temps’". En clair : élaborer une législation qui protège les données sans affecter la capacité de faire du renseignement à partir des données que les opérateurs américains peuvent fournir. Le texte américain pourrait avoir une différence majeure avec la version européenne, explique Philippe Latombe. "Dans le RGPD, il n’y a pas ou peu de sanctions pénales, là où outre-Atlantique, la sanction pécuniaire est forte et la sanction pénale des dirigeants habituelle. Aucun Gafam ne refusera de transmettre des données aux autorités américaines." La Chine, elle aussi, s’est dotée l’an dernier d’une réglementation qui lui permet de reprendre la main sur le marché numérique, la Personal Information Protection Law (Pipl). La loi a aussi une dimension extraterritoriale, puisque le transfert d’informations vers un pays tiers qui n’offre pas une protection satisfaisante est interdit. Une façon, pour les autorités chinoises, de faire le tri entre les entreprises qui lorgnent sur le marché chinois.

"Les legaltech, on ne s’y intéresse pas"

Face à ces nouvelles réglementations, "l’écosystème de la french tech, au sens large, a besoin d’un coup de pouce pour chasser en meute. Il pourrait déjà venir de la commande publique", juge Philippe Latombe. Problème : l’État ne serait pas tout à fait dans l’optique d’encourager les logiciels français. "La direction générale des entreprises veut du rapide, de l’accessible, du facile, du user-friendly. Souvent, ça signifie qu’elle veut du Gafam, car c’est peu cher au départ." La suite est logique : s’il n’y a aucune volonté de privilégier des outils français ou européens à l’échelle étatique, il y a peu de chance d’observer une impulsion à l’échelle du privé. Sur cette partie, il appartiendrait aux parlementaires de négocier des avantages fiscaux pour les entreprises qui utilisent des solutions, y compris de legaltech, françaises ou européennes. "Ce type d’amendement à une loi de finances pourrait être transpartisan", fait remarquer le député. Et d’ajouter qu’il faudrait aussi réformer le système des aides, pourquoi pas avec un guichet unique : "Il y a des appels à projets de tous les côtés, des aides éparpillées. Il faudrait faciliter l’accès aux financements."

Car pour l’heure, les fonds d’investissement n’aident pas vraiment. Leur frilosité serait alimentée par quelques échecs sur le marché, qui "n’aident pas à dire que le secteur va être florissant". Ceux qui investissent le font prudemment, là où en, matière de NFT, par exemple, les mises s’envolent. L’hostilité d’une partie de la justice n’aide pas non plus, pense Philippe Latombe. Certes, la Chambre de commerce internationale a conclu un partenariat avec la legaltech française Jus Mundi, qui diffuse des décisions arbitrales à l’échelle mondiale. Mais globalement, résume Philippe Latombe, "les legaltech, on ne s’y intéresse pas, parce que le ministère de la Justice ne s’y intéresse pas". C’est guère mieux au sein de la justice commerciale. Dans un rapport « Numériser la justice commerciale française : l’outil et l’esprit » publié au printemps 2022, Paris, place de droit relève une "faible volonté exploratoire de la part des acteurs français" en matière d’outils numériques. Et ce n’est pas seulement un problème de souveraineté : c’est aussi une question d’attractivité de la place de Paris.  Le rapport propose, à cet effet, d’accroître la connaissance des praticiens en matière d’outils numériques...  et leur esprit critique face aux outils, ce qui pourrait passer par des sessions de formation et de sensibilisation organisées au sein du tribunal de commerce de Paris.

Olivia Fuentes

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