Les négociations 2022 ont révélé les lourdeurs administratives d’Egalim 2. L’empilement des lois entraîne un degré de complexité nécessitant des juristes chevronnés, et désormais des commissaires aux comptes, au détriment des PME et TPE qui ne disposent pas toutes de ces ressources. Et pour un intérêt limité puisque les accords annuels sont déjà à renégocier du fait de la crise ukrainienne.

Les professionnels du secteur agroalimentaire ont dû s’adapter vite car la loi "visant à protéger la rémunération des agriculteurs", dite Egalim 2, a été adoptée le 18 octobre 2021, c’est-à-dire en même temps que le début des négociations commerciales 2022 qu’elle encadre et dont elle a modifié substantiellement les conditions.

Rappelons que l’un des objectifs de la loi est de "sanctuariser" le coût de la matière première agricole, pour éviter que la négociation ne porte sur celle-ci. Cet objectif suppose une certaine transparence de la part des fournisseurs de produits alimentaires sur la valeur de celle-ci dans leur construction du prix tarif. Ils ont désormais l’obligation de choisir entre trois options pour indiquer le coût de la matière première agricole dans leurs CGV : soit une présentation détaillée, soit une présentation agrégée, soit aucune présentation, mais un contrôle de la négociation a posteriori effectué par un tiers indépendant (commissaire aux comptes) chargé de certifier que celle-ci n’a pas porté sur la part correspondant à l’évolution du prix des matières premières agricoles.

Lourdeur des mécanismes de sanctuarisation du coût  de la matière première agricole

En pratique, il ressort des négociations 2022, que sans surprise, la première option, très transparente, a été très peu retenue par les fournisseurs, qui ont majoritairement opté pour la troisième option (tiers indépendant), et de façon plus limitée pour la seconde option. L’intérêt de la troisième option est de maintenir une certaine opacité sur la construction du prix, mais l’on mesure sa complexité à la lecture de la note technique de 54 pages que la Compagnie nationale des Commissaires aux comptes a publiée le 28 janvier 2022 en urgence. 

Celle-ci présente l’ensemble des documents et la note méthodologique devant être transmis au commissaire aux comptes par les fournisseurs pour la certification, ce qui représente un travail conséquent pour les fournisseurs. On mesure également à sa lecture les incertitudes de l’analyse, notamment sur le prix convenu à retenir pour s’assurer du respect de l’interdiction de négocier sur l’évolution des matières premières  agricoles. Enfin, les PME et TPE, qui  représentent en nombre la très grande majorité des plus de 12 000 fournisseurs travaillant avec la grande distribution, n’ont pas toutes les ressources pour adapter leurs CGV aux subtilités de la nouvelle loi, ce qui entraîne un risque, regrettable, de sanctions pour ces entreprises.

"Les fournisseurs de produits alimentaires ne sont pas les seuls  à subir la lourdeur des obligations relatives aux CGV"

Les fournisseurs de produits alimentaires ne sont pas les seuls à subir la lourdeur des obligations relatives aux CGV : les distributeurs ont eu également une charge de  travail accrue puisque, s’agissant des produits alimentaires, la loi prévoit désormais que les distributeurs disposent d’un mois uniquement pour répondre aux CGV et qu’ils ont l’obligation de motiver explicitement et de manière détaillée, par écrit, le refus des CGV ou la volonté d’en négocier  certaines dispositions. Or, eu égard aux milliers de fournisseurs approvisionnant la grande distribution, la tâche est de grande ampleur pour les services juridiques des  distributeurs.

La complexité administrative (et les coûts associés) tant côté fournisseur que distributeur, atteint donc son paroxysme avec la loi Egalim 2, alors même que les négociations commerciales doivent être rapidement revues du fait de l’inflation liée au contexte international.

La mise en jeu des clauses de révision et de renégociation dès la fin des négociations annuelles

En effet, la guerre en Ukraine a débuté à la toute fin des négociations annuelles 2022, et le gouvernement et les acteurs de la grande distribution, fournisseurs et distributeurs, ont pris des engagements de renégociations tarifaires pour tenir compte de l’impact de la guerre sur les filières agricoles (augmentation des prix de l’énergie, de l’engrais, des céréales, de l’alimentation animale, des transports, des emballages, etc.) dans le cadre d’une charte signée le 22 mars 2022, dont le suivi est réalisé par un comité de liaison hebdomadaire.

Cette renégociation doit reposer sur les clauses de révision automatique et de renégociation prévues par les contrats, et à défaut d’application de ces clauses, sur le droit applicable (imprévision, déséquilibre significatif, etc.).

La clause de révision automatique des prix pour les produits alimentaires, rendue obligatoire par la loi Egalim 2, pourrait en théorie permettre, sans renégociation, de prendre en compte l’inflation récente et brutale des prix de ces produits. Cependant, il ressort des négociations qu’en pratique, ces clauses ne sont pas satisfaisantes. Parmi les difficultés rencontrées, les professionnels ont pu constater qu’il n’existe pas toujours d’indices pertinents, que certaines formules de révision ne reposent pas sur des indices publics, que des formules uniques s’appliquent à des produits dont la composition est hétérogène, voire qu’elles incluent des indices autres que la matière première agricole, comme le coût du travail, etc. Dans certains cas, les parties ont même signé leur convention en indiquant que la clause serait rédigée ultérieurement.

"Selon IRI, les prix des PGC ont enregistré une inflation de près de 2,9 % en avril 2022, et de 3 % dans les filières « Egalim »"

La charte d’engagements du gouvernement se réfère également à la clause de renégociation non automatique, dont la loi Egalim 2 a généralisé l’application à tous les produits alimentaires subissant des hausses de prix portant sur les matières premières agricoles, mais également sur le coût de l’énergie, du transport et des emballages. Pour plus d’efficacité, la charte prévoit que les seuils de déclenchement contractuellement définis peuvent être adaptés. Si, en pratique, certains utilisent cette clause de renégociation, d’autres préfèrent émettre un nouveau tarif, dont ils souhaitent l’application immédiate. La charte comprend également la limitation de l’application des pénalités logistiques pour les fournisseurs impactés par la crise.

Selon IRI, les prix des PGC ont enregistré une inflation de près de 2,9 % en avril 2022, et de 3 % dans les filières "Egalim", ce qui laisse penser que fournisseurs et distributeurs ont joué le jeu de la loi Egalim 2 malgré les difficultés rencontrées. Les mois qui viennent seront le théâtre d’échanges vigoureux entre fournisseurs et distributeurs sur une répartition équilibrée des hausses de coûts sur leurs marges respectives, répartition qui, malgré les efforts répétés du législateur, ne peut être décidée par la loi.

LES POINTS CLÉS.

• La sanctuarisation de la matière première agricole pour l’exclure des négociations entraîne la mise en place  de mécanismes lourds administrativement ;

• Les fournisseurs ont majoritairement choisi l’option 3 limitant la transparence sur leur construction du prix ;

• Les résultats des premières négociations sous Egalim 2 ont été remis en cause par les conséquences de la guerre en Ukraine ;

• Les professionnels ont signé une charte encadrant la renégociation, les clauses de révision automatique des conventions annuelles ne pouvant suffire.

Marianne Le Moullec et Violaine Ayrole : associées au sein du cabinet Renaudier, qui est dédié exclusivement au droit économique et qui est l’un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant  en conseil qu’en contentieux.

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