Les grands cabinets doivent-ils se mettre au métavers ? Oui, s’ils veulent pouvoir répondre aux problématiques juridiques de leurs clients qui souhaitent se lancer. Mais ils peuvent attendre avant de s’y installer eux-mêmes : leur entrée dans le métavers doit être minutieusement préparée.

“Ding dong”. Dans le métavers de PacisLexis Family Law, notre avatar rencontre celui d’Antoine Bert, le directeur technique du cabinet. Ses collègues gravitent autour de lui. Dans une salle de réunion, dans un bureau, dans la salle de team building“Les zones géographiques permettent à chaque membre du cabinet de décrire ses intentions, avec, si besoin, une option ‘ne pas déranger’.” Ce n’est pas un “outil de flicage”, insiste Antoine Bert – il n’y a aucune obligation de s’y connecter. C’est un support en plus : le cabinet s’est dit que sa présence dans le métavers profiterait aux relations en interne, mais aussi à la relation client. “L’outil permet de résoudre un problème, celui de la disponibilité et de l’accessibilité de l’avocat”. PacisLexis Family Law a opté pour un univers fermé, développé par la start-up Lemlist, sans lunettes 3D. Le prix varie en fonction du nombre d’utilisateurs : l’imagination d’Antoine Bert est presque la seule limite à l’expansion des bureaux virtuels du cabinet. Outre-Atlantique, plusieurs cabinets se sont lancés. En France, PacisLexis Family Law a ouvert le bal. Le premier d’une longue série ? Pas si sûr.

“Offre de service”

Aleph Avocats a bien envie de sauter le pas, “par curiosité avant tout”. Le cabinet pense que la maîtrise de la technologie – qui passe, entre autres, par l’ouverture d’un bureau en son sein – est “indispensable pour comprendre, identifier et proposer des solutions techniques pertinentes”.

“Il y a beaucoup d’effervescence, mais il faut garder la tête froide”

Chez ORWL, Gide et Osborne Clarke, le son de cloche est différent : ces espaces numériques sont en construction, pas encore matures. Ils ne collent pas, pour le moment, à l’activité des avocats. Les promesses d’interopérabilité, de scalabilité et d’expérience d’immersion ne sont pas tout-à-fait au point. D’autant que l’une des principales caractéristiques du métavers est l’immersion, et cette immersion requiert de l’équipement. Tous les cabinets et clients n’ont pas accès à des casques et capteurs. Les lunettes peuvent peser lourd, si portées trop longtemps.

“Il y a beaucoup d’effervescence, mais il faut garder la tête froide”, soutient Franck Guiader, à la tête de l’équipe Gide 255, qui se consacre à la transformation numérique. Pas question de brûler les étapes trop vite : “Il faut que l’expertise des cabinets soit durable, comprendre d’abord ce qu’est le métavers, ce qui n’impose pas forcément d’y être présent.” S’ils décident de s’y plonger eux aussi, les cabinets doivent toujours penser à la pierre angulaire de leur activité : “Quelle offre de service apporter dans le métavers ? Quel est l’outil qui pourrait être utile dans cet univers, en plus des livrables juridiques déjà proposés par les cabinets ?”, s’accordent Xavier Pican et Stéphane Catays, associés chez Osborne Clarke.

"Pour un plus grand cabinet de réseau, le sujet engage potentiellement de gros travaux d’infrastructure et de sécurisation"

Prudence et recul

La bonne nouvelle, c’est que les cabinets ont encore un peu de temps pour construire leur offre, en attendant que le métavers soit bien ficelé. À ce moment-là, ce monde virtuel dévoilera ses atouts : la possibilité de se rendre dans un cabinet virtuel, d’assister à des consultations ou des réunions en 3D, dans un environnement immersif. “C’est l’étape d’après la visioconférence, l’occasion de donner aux collaborateurs une nouvelle expérience de travail, la possibilité de pouvoir travailler avec ses collègues depuis chez soi”, souligne Stéphane Catays, qui dirige le département immobilier d’Osborne Clarke.

Il permettra d’aller chercher une nouvelle clientèle. Ce sera un “nouveau terrain marketing, un nouveau sujet de communication”, anticipe Franck Guiader. Qui devra aller de pair avec un autre sujet, “absolument fondamental” : la sécurité des données. Un cabinet de réseau, qui compte plusieurs bureaux dans le monde, se doit de se doter d’une plateforme sécurisée. “Y réfléchir prend du temps, explique Xavier Pican, spécialiste des sujets de technologie et de propriété intellectuelle. C’est peut-être plus facile pour un petit cabinet de prendre position rapidement sur la question du métavers. Pour un plus grand cabinet de réseau, le sujet engage potentiellement de gros travaux d’infrastructure et de sécurisation.” Prudence et recul sont de mise.

Compréhension technique

D’autant que les clients n’expriment pas un besoin immédiat de voir leurs conseils se lancer dans le métavers, témoignent les cabinets. En revanche, tous suivent les sujets Web 3 de près. C’est indispensable, s’ils veulent pouvoir accompagner leurs clients. Les entreprises, dans tous les secteurs d’activité – luxe en tête – ont envie d’y être. Elles veulent l’offrir à leurs propres clients. “C’est un secteur très dynamique”, confirme William O'Rorke, associé compliance – numérique au sein d’ORWL. Peut-être trop : “Certains clients investissent très rapidement, sans anticiper les problématiques juridiques ; notre rôle est alors de les aider à se structurer juridiquement et à se prémunir des risques, confie Franck Guiader.

C’est exactement ce qu’attendent les clients d’Osborne Clarke, que le cabinet les forme et les alerte. Conséquence : les avocats auront le même rôle qu’aujourd’hui, “mais devront maîtriser la technologie sous-jacente afin d'adapter les solutions juridiques aux nouveaux modes d'expression des conflits, pour qualifier les infractions”, précise Sarah Compani, associée chez Aleph Avocats. Il faut connaître les sujets historiques de protection des données, de propriété intellectuelle, et y ajouter le savoir-faire Web 3, crypto, blockchain. Ces nouvelles compétences, assure Franck Guiader, “sont indispensables dans les cabinets d’avocats”. À eux de développer le triptyque essentiel : compréhension économique, compréhension technique et compréhension juridique de ces enjeux.

"Il faut voir l’entrée dans le métavers en deux temps : celui des clients, plus proche, car la demande est croissante. Et celui des cabinets, une fois que le tout sera bien rodé"

“Faire de la transposition”

Reste une difficulté : le droit autour du métavers est, pour l’heure, une zone grise. D’où l’importance de comprendre l’environnement pour adapter les réponses juridiques. Il est déjà possible de se faire une idée des problématiques qui pourraient se poser : celles, habituelles, de harcèlement en ligne, de confidentialité des données personnelles, de légalité du contenu “vont naturellement être prolongées dans cet environnement virtuel”, analyse Sarah Compani. Se poseront aussi des problèmes de commerce électronique de nouvelle génération, complète Franck Guiader. L’avocat pense aux nombreuses possibilités d’achat offertes par ce monde virtuel. Xavier Pican confirme : “Ce qui sera intéressant, ce sera de confronter le métavers aux dispositions existantes”. Le métavers, en somme, est un déplacement de ce que l’on connaît bien dans les sites internet classiques, un “objet juridique dans lequel il faut que l’on fasse de la transposition”.

Comment se forme-t-on ? Franck Guiader a créé l'équipe Gide 255 il y a trois ans. Elle est entièrement consacrée au conseil en transformation numérique, donc “prête à y répondre”. Pour les cabinets qui n’auraient pas anticipé, Franck Guiader recommande de s’entourer d’experts. “Il y a des zones floues, pas d’harmonisation des règles internationales, des arbitrages qui vont se faire d’une juridiction à une autre, des questions de territorialité.” Tous les cabinets, petits et grands, doivent monter en puissance sur ces sujets.

À la fin, l’entrée des cabinets d’avocats dans le métavers reposera sur un langage compris par les clients, les prestataires technologiques et le cabinet. Mais il faut voir l’entrée dans le métavers en deux temps : celui des clients, plus proche, car la demande est croissante. Et celui des cabinets, une fois que le tout sera bien rodé.

Olivia Fuentes

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