Pendant la Paris Arbitration Week, le cabinet Addleshaw Goddard a proposé de réfléchir au rôle que pourrait jouer l’arbitrage, qu’il soit commercial ou d’investissement, dans la lutte contre le changement climatique. Entretien croisé avec Nathalie Allen, legal director au sein du bureau londonien d’Addleshaw Goddard, et François-Xavier Mirza, managing associate à Paris.

Décideurs. En matière de litiges liés à des questions environnementales, quel type d’arbitrage est concerné ? Est-ce l’arbitrage commercial, l’arbitrage d’investissement, les deux ?

N. Allen. Il s’agit des deux. L’arbitrage d’investissement est public, on en parle davantage, il est souvent possible de savoir quelles affaires sont en cours ou ont été traitées, mais pas toujours. La confidentialité de l’arbitrage commercial fait que l’on en sait beaucoup moins. Mais si l’on regarde ce qu’il se passe dans les juridictions de contentieux classique, nous remarquons que les litiges liés à des questions environnementales se développent. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas en arbitrage commercial.

F.-X. Mirza. Certains litiges sont directement en lien avec la transition énergétique et les actions qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais il y a également un autre pan très développé de litiges à composante climatique indirecte. Le contentieux s’est effectivement d’abord développé devant les États. C’est logique : les justiciables ont l’habitude de saisir les tribunaux étatiques. Il faut montrer que l’arbitrage aurait des avantages.

"Le changement s’impose aussi à travers la pression médiatique, les actions menées par la société civile"

Pouvez-vous nous donner un exemple d’affaire ?

N. A. Les cas contre l’Espagne sont une bonne illustration. Le pays avait lancé des initiatives pour attirer les investisseurs, avant de réaliser qu’elles leur coûtaient trop cher. Ils les ont changées, les investisseurs ont agi.

F.-X. M. Plus généralement, il s’agit d’affaires où un État invoque une mesure en faveur de la lutte contre le changement climatique pour limiter ou revoir les conditions d’investissement d’un investisseur étranger qui a des actifs sur son territoire. De façon indirecte, le changement de réglementation dans l’État d’accueil, adopté pour se mettre en conformité avec les accords internationaux, rend moins intéressantes les conditions d’investissement pour l’investisseur. En arbitrage commercial, on pourrait imaginer un litige entre des investisseurs ou des actionnaires  contre des sociétés ou  des fonds d’investissement.

L’arbitrage convient-il à ce type de litiges ?

N. A. J’aimerais pouvoir dire que oui, mais la réalité, c’est qu’il y a des pour et des contre de tous les côtés. L’arbitrage permet la flexibilité et offre la possibilité de choisir un expert. Mais la confidentialité de l'arbitrage commercial n’est pas toujours un atout.

F.-X. M. C’est vrai. Le changement s’impose aussi à travers la pression médiatique, les actions menées par la société civile. La confidentialité de l’arbitrage peut être un obstacle, en ce sens. Néanmoins, certaines institutions, comme la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) par exemple, laissent davantage de liberté aux parties. Concernant le niveau d’expertise, c’est en effet très utile sur des sujets aussi techniques de pouvoir choisir un arbitre spécialisé. Toutefois, nous constatons que le niveau de connaissance en matière environnementale augmente aussi chez les juges étatiques. La différence s’efface un peu sur ces sujets.

"Sans les investisseurs, les États ne pourraient pas progresser. Il faut conserver cette confiance"

Dans l’absolu, peut-on reprocher à un État de vouloir agir et de modifier ses réglementations pour s’adapter à la lutte contre le changement climatique ?

N. A. C’est un sujet. Je pense qu’il va devenir de plus en plus difficile pour un investisseur de se reposer sur l’argument d’un changement de réglementation qui a diminué son retour sur investissement. Il faudra voir ce qu’il se passe avec les deux cas contre la Hollande : les arbitres auront-ils de la sympathie pour les investisseurs ? Il est possible que les tribunaux attendent de l’investisseur qu’il cherche à comprendre quel est le programme de l’État en matière environnementale avant d’investir. C’est une question de vigilance : les litiges risquent d’augmenter car les réglementations risquent de se durcir.

Est-ce possible, pour les avocats, d’anticiper ces litiges ?

F.-X. M. Le travail de l’avocat est d’agir par anticipation, mais nous ne pouvons pas prédire l’avenir. La situation climatique évolue, la prise de conscience se renforce, les États basculent vers une action plus concrète. Ils réalisent qu’il y a des projets auxquels il faut renoncer. Mais lorsque l’on rédige un contrat ou un traité d’investissement, la situation change forcément avec le temps. Pour les avocats spécialisés en arbitrage, ces évolutions deviennent un sujet de plus en plus  important. C’est aussi un enjeu quotidien pour les avocats d’autres spécialités, et notamment ceux qui conseillent sur la négociation des contrats.

Et du côté des institutions arbitrales ?

F.-X. M. Un travail d’anticipation est mené par les institutions arbitrales, qui s’interrogent pour savoir dans quelle mesure il serait nécessaire de mettre à jour les règlements d’arbitrage. L’un des inconvénients de l’arbitrage est son coût – la justice étatique est bien moins onéreuse. À la CCI, il y a des discussions pour envisager d’éventuelles dispositions spécifiques aux contentieux climatiques et notamment du côté des coûts et des frais d’arbitrage.

La lutte contre le changement climatique peut-elle aussi passer par les traités ?

N. A. Il y a toute une nouvelle génération de traités qui intègrent de plus en plus ces aspects, c’est par exemple le cas d’un traité entre le Nigéria et le Maroc. On s’attend à ce que les nouveaux traités abordent le sujet du changement climatique et la responsabilité. Et, pourquoi pas, qu’ils prévoient la possibilité que les États poursuivent les investisseurs. La clause de la nation la plus favorisée pourrait aussi tirer vers le haut les traités existants. Actuellement, le traité sur la charte de l’énergie est d’ailleurs en train d’être retravaillé. Mais il ne faut pas oublier que ces traités sont aussi en place pour permettre aux investisseurs d’avoir confiance et de se sentir protégés. Sans eux, les États ne pourraient pas progresser. Il faut conserver cette confiance.

Propos recueillis par Olivia Fuentes

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