Coup de massue dans le dossier Volkswagen : le Bureau fédéral d’investigation (FBI) américain a arrêté un compliance officer présumé coupable d’avoir organisé la fraude aux émissions de carbone. Et si la sécurité des entreprises passait par la mise en cause pénale de ces professionnels chargés de la conformité ?

Lorsqu’il y a quelques années, certains cabinets d’avocats américains se sont positionnés sur le contentieux à forts enjeux financiers, ils ne se sont pas trompés. Les enquêtes internationales de corruption se sont multipliées et la menace de poursuites pénales ne cesse de croître. Affaire Alstom, Siemens, BNP, Total, etc. Les entreprises européennes sont sous le feu des projecteurs des autorités judiciaires et de régulation.

 

Dans la recherche des coupables, le scandale Volkswagen ajoute un maillon à l’enchaînement des responsabilités. Selon le Financial Times qui révèle la dernière enquête du FBI dans ce dossier, de lourds soupçons portent sur Oliver Schmidt, un «?head of compliance?». L’autorité de poursuites américaine suspecte fortement la personne chargée de mettre l’entreprise allemande aux normes réglementaires d’avoir dissimulé des informations à charge pour le constructeur et même d’avoir falsifié certains documents. De quoi engager sa responsabilité pénale.

 

Avertissement

Haro sur les compliance officers (CO)?? Il semblerait qu’Oliver Schmidt – dont le nom est assez répandu pour être le Nicolas Martin de n’importe quelle entreprise française, ce qui accentue le caractère d’exemplarité de ce dossier – ne soit pas le haut responsable de la conformité chez Volkswagen mais un ingénieur qui occupe à temps partiel le poste de chargé de la réglementation des émissions de carbone. «?Il est impératif que le compliance officer soit exempt de conflits d’intérêts. S’il est partagé entre le contrôle du respect de la réglementation et la mise en œuvre des opérations, il manquera d’indépendance pour rapporter au comité de direction les éventuels dysfonctionnements?», explique Philippe Montigny, fondateur d’Ethic Intelligence, une société de certification anticorruption. Blandine Cordier-Palasse, fondatrice du Cercle de la compliance, a une autre vision des choses?: «?Certains opérationnels ou fonctionnels peuvent aussi être des relais à temps partiel en plus de leur activité principale et insuffler une culture de la compliance au quotidien dans l’entreprise?», poursuit-elle.

 

Pas de recette infaillible donc, mais un constat?: la mission, mal définie, est périlleuse. En France, le contexte législatif en rajoute. La loi Sapin 2 vient de créer l’Agence nationale anticorruption. L’enjeu?: doter la France d’un régulateur capable de contrôler les entreprises et de sanctionner les éventuelles fraudes. Le Department of Justice (DOJ) américain arrive… Ou plus exactement sa petite sœur. Si nul ne sait encore qu’elle sera exactement la force de frappe du nouveau régulateur, toutes les entreprises de plus de cinq cents salariés et au chiffre d’affaires supérieur à cent millions d’euros craignent déjà de faire l’objet de sa première enquête?: à n’en pas douter, elle servira d’avertissement.

 

«?Un auxiliaire de justice?»

Dans tous les cas, le mode de fonctionnement de ce nouveau régulateur semble s’apparenter à celui du «?deal de justice?» américain, à la transaction pénale ou encore à la procédure de clémence en vigueur devant l’Autorité de la concurrence. Si, dès lors qu’il remplirait sa mission, le CO était protégé, «?les choses seraient trop simples?», constate Jean-Yves Trochon, vice-président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE). «?Le changement de paradigme se situe dans l’arrivée en Europe de la culture judiciaire américaine qui veut que le CO soit une sorte d’auxiliaire de justice, ce qui induit qu’en cas d’enquête, il doit, comme un juge, instruire à charge
et à décharge,
poursuit-il. Son rôle est donc de contribuer à établir la réalité des faits.?» En d’autres termes, apporter son concours à l’enquête dans la recherche de preuves permettrait la négociation en vue de l’allégement de la sanction.

 

Là où la conformité n’a pas empêché Kerviel, la compliance y aurait fait obstacle.

 

Étant en charge de diffuser dans l’entreprise une culture du respect de la réglementation, le CO est donc sous le feu des projecteurs des enquêteurs. Une exposition qui n’est déjà plus anecdotique?: en 2015, six responsables de la compliance des secteurs industriel et bancaire ont été inquiétés par le DOJ et, en janvier dernier, celui de Deutsche Bank a dû présenter sa démission. Six mois après sa prise de fonction, l’homme a expliqué ne pas être en mesure de remplir ses fonctions, la banque allemande lui ayant confié une équipe de quatre cents professionnels contre les six cents réclamés. «?Plusieurs CO du secteur bancaire ont déjà fait l’objet d’amendes ou de mesures de suspension d’exercice par des régulateurs américains ou anglais parce qu’ils ont été défaillants ou très négligents dans la mise en œuvre des programmes de conformité effectifs?», explique Iohann Le Frapper, ancien cadre supérieur d’Alcatel-Lucent et dont les multiples casquettes1 lui confèrent une solide expertise en la matière.

 

«?Goût du risque?»

Ces experts de la réglementation doivent être en lien direct avec le conseil d’administration ou le comité exécutif de la société, faute de quoi ils n’ont pas les moyens d’être entendus. Un point mis en lumière par le dossier Volkswagen, un groupe doté de programmes de compliance détaillés mais dans lequel la culture interdirait la contestation du chef, rendant ainsi inopérants les outils d’alerte interne. Pour la justice américaine, les indices de compromission des dirigeants peuvent même se trouver dans l’immobilisme interne à l’entreprise. Ce qui induit que parfois, s’il ne démissionne pas, le CO fait l’objet d’un licenciement, un moyen pour l’entreprise de montrer qu’elle agit pour se débarrasser des éléments gênants. Une leçon que retiendra la BNP, condamnée le 1er?mai 2015 à une amende de 8,9?milliards de dollars pour non-respect des embargos imposés par les États-Unis. «?Le niveau élevé d’amendes est le reflet d’un scoring influencé en partie par l’agacement des autorités américaines du fait de l’absence de sanctions disciplinaires à l’encontre des cadres impliqués?», commente Iohann Le Frapper.

 

Ce qui induit que la plupart des professionnels qui exercent cette mission le font avec un certain «?sens du risque?», selon l’analyse de Blandine Cordier-Palasse, également fondatrice d’une société de recrutement dédiée aux dirigeants, BCP Executive Search. «?Il doit avoir le courage de donner un avis ou tenir une position?; du leadership pour entraîner l’adhésion?; de la pédagogie et de la diplomatie pour expliquer le sens donné à l’action de chacun, en ligne avec la stratégie du groupe?; et de l’empathie?», explique la professionnelle du recrutement qui ne manque pas de souligner les difficultés à trouver les bons candidats.

 

Car «?au-delà de la conformité, la compliance instille une culture de la performance opérationnelle dans le respect des valeurs de l’entreprise qui va plus loin que le simple respect de la règle. C’est un changement d’état d’esprit?», relève-t-elle. Là où la conformité n’a pas empêché Kerviel, la compliance y aurait fait obstacle. De quoi alourdir le poids que portent déjà ces professionnels d’une réglementation en constante augmentation.

 

Maquiller la mariée

Pour les aider, il semblerait que les juges et les régulateurs regardent les normes ISO comme des marques de bonne foi. Un jugement du bureau du procureur suisse dans le dossier Alstom voit le programme de compliance comme un indice de respect des avertissements2. En France, une norme Iso 37001 a été élaborée en octobre?2016 pour aider les entreprises à établir des programmes anticorruption. Un outil qui permet à l’entreprise de faire appel à un tiers certificateur, dont l’indépendance est garantie par un processus d’audit mené avec plusieurs étapes de contrôles. «?Le juge est et restera indépendant, explique le certificateur Philippe Montigny. Mais il est certain qu’il repérera une entreprise qui a maquillé la mariée et, à l’inverse, tiendra compte d’une véritable démarche d’amélioration du système.?» Et d’ajouter?: «?Selon la loi Sapin 2, les entreprises concernées doivent justifier d’un programme de conformité. La certification ISO 37001 permet à l’entreprise de prouver aux autorités qu’elle répond à cette obligation.?» Une obligation légale cohérente avec le modèle américain puisque «?la transaction pénale à la française ne met pas fin aux poursuites contre les individus?» conclut Iohann Le Frapper.

 

Pascale D’Amore

 

Iohann Le Frapper est vice-chair de la commission internationale anticorruption et responsabilité sociétale de la CCI, chair du conseil d’administration global de l’Association of Corporate Counsel (ACC) et directeur juridique de Chetwode. Il est l’auteur du blog «?About governance, ethics and risk?». II était auparavant vice-président general counsel and compliance leader de la branche réseaux d’Alcatel-Lucent.

2 Order to dismiss proceedings, Bern, 22 novembre 2011, Office of the Swiss Attorney General

 

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