Comme les cadres, les légionnaires de César sont en quête de sens et pratiquent la Grande Démission. Pour les fidéliser et les remotiver, un médecin romain s’improvise coach en bienveillance et "contamine" le village gaulois. Contre toute attente, c’est plutôt réussi !

"Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute ? Non un village d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur." Une sacrée épine dans le pied de Jules César qui se retrouve avec un nouveau problème plus important à gérer. Le même que les chefs d’entreprise en période d’après-Covid. À l’instar de nombreux cadres du secteur privé, les légionnaires s’adonnent à la Grande Démission. Ils refusent d’obéir à leurs managers (ici les centurions), désertent en masse, cherchent un sens à leur vie, entendent privilégier leur épanouissement personnel à leur vie professionnelle.

Jules César réunit son "codir" pour trouver la parade. Vicévertus, médecin chef des armées propose de recourir à une méthode qu’il vient d’inventer : l’Iris blanc. Il s’agit de fidéliser les légionnaires et d’améliorer leur efficacité en recourant à la bienveillance, l’écoute, la pensée positive et l’alimentation saine. Toute ressemblance avec les coachs jargonneux qui pullulent depuis quelques années est évidemment fortuite. Vicévertus est envoyé au camp de Babaorum pour expérimenter sa technique et en finir avec ce satané village. Mais tout ne se passe pas comme prévu…

Gaulois inclusifs et bienveillants

Si les légionnaires adhèrent à la méthode, deviennent zen, multiplient les aphorismes, les Gaulois adoptent l’Iris blanc et se métamorphosent eux aussi ! Ils se mettent au sport et à la méditation, abandonnent la chasse aux sangliers pour se nourrir de graines et de poissons frais pêchés par Ordralfabétix qui ne fait plus venir sa marchandise en char à bœufs de Lutèce. L’esprit querelleur disparaît, place à la bienveillance. Même le barde Assurancetourix est toléré car "il est important de laisser les minorités audibles s’exprimer".

Bobos et hipsters lutéciens

La seconde partie de l’intrigue (que nous ne divulguerons pas pour ne pas fâcher Toutatis) se déroule à Lutèce. L’Armorique est reliée à la ville grâce au Char à Grande Vitesse (CGV) retardé pour cause de "châtaignes sur la voie" et autres "sabot défectueux". Sur place, on retrouve des bobos qui rêvent d’une vie rurale et simple, dégustent des "suaves mélodies de sangliers virevoltant dans leur écrin forestier de printemps radieux" et se déplacent sur des charinettes pour éviter les rues congestionnées.

I2

Retour aux grandes heures d’Astérix

Soyons honnêtes, ce quarantième album ne suscitait guère d’attentes tant les précédents étaient catastrophiques dans leur scénario et leur humour. Les désastres causés par l’affreux Astérix chez les Pictes ou l’abominable Astérix et le griffon ont tué les attentes des amateurs de Goscinny et Uderzo qui pouvaient se sentir floués. Certes, le duo Fabcaro-Didier Conrad n’égale pas les maîtres. Mais il s’en sort avec les honneurs. Au dessin, Didier Conrad trouve peu à peu son propre style et son identité. Au scénario, Fabcaro qui livre son premier album, donne un coup de fouet bienvenu à la série.

Comme le duo originel, il s’inspire de problématiques contemporaines et les transpose à l’Antiquité. Ici, il s’agit de la grande démission, des coachs d’entreprise et de la quête de sens. Après tout, pourquoi pas. Nos célèbres héros moustachus ont expérimenté les affres de la technocratie et du libéralisme (Obélix et compagnie), le tourisme de masse (Astérix en Hispanie) ou encore la promotion immobilière (Le Domaine des Dieux). Globalement, l’humour s’intègre plutôt bien au scénario, on retrouve des classiques tels que les pirates, les noms à coucher dehors, les banquets. Même si Vicévertus ressemble à Prolix le devin (Le Devin) ou à Tullius Detritus (La Zizanie), il reste original. Cet album disponible depuis le 26 octobre s’avère être un bon cru. On en arriverait presque à attendre le prochain. Un sentiment inédit depuis 1979, année de parution d’Astérix chez les Belges, dernière BD du duo Goscinny Uderzo.

Lucas Jakubowicz

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