Par Guillaume Bossy, avocat associé, et Hana Hassoumi, avocat. CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
Une personne qui témoigne ou relate des faits de harcèlement moral, ne peut être licenciée pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. À cet effet, la Cour de cassation nous précise que la mauvaise foi ne peut procéder que du mensonge volontaire du salarié.

Dix ans après l’introduction dans le code du travail de la notion de harcèlement moral, les dénonciations de ces faits explosent. Le contentieux est très important (255 arrêts rendus par la Cour de cassation sur ce sujet en 2011). La loi prévoit la protection absolue du dénonciateur de harcèlement moral, sauf, a déjà précisé la juridiction suprême, en cas de mauvaise foi qui ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (1). Par un arrêt du 7 février 2012 (2) , la Cour de cassation clarifie la notion de mauvaise foi en lui donnant un contour très strict.
Une salariée avait adressé à son employeur, en septembre?2007, un certificat médical d’arrêt de travail faisant état d’un harcèlement. En février?2008, elle était licenciée pour faute grave pour avoir dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral. Contestant la validité de son licenciement, la salariée saisit le juge pour demander la nullité de son licenciement, mais elle est déboutée par la cour d’appel qui relevait que les accusations de harcèlement moral avaient été formulées «?à la suite immédiate d’un entretien de recadrage fait par son supérieur hiérarchique qui, après avoir témoigné de sa satisfaction sur son travail, [avait constaté] diverses attitudes contraires à la bonne entente dans le magasin ; qu’assistée d’un avocat, et donc nécessairement informée de la légèreté de ses accusations et de ses conséquences pour elle, [la salariée] les avait néanmoins confirmées tout en omettant, encore à ce jour, d’apporter les précisions nécessaires à leur crédibilité?». Elle en avait déduit que l’intéressée était de mauvaise foi et que ses accusations caractérisaient «?une manœuvre délibérée pour se soustraire à l’exercice normal par l’employeur de son pouvoir de direction?». Sous le visa des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, la Cour de cassation affirme que «?le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis?» ; puis elle casse l’arrêt d’appel pour violation de la loi, en relevant que les motifs retenus étaient «?impropres à caractériser la mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce?».

Les limites de l’immunité légale
Les phénomènes grandissants de souffrance au travail et de comportements pouvant affecter l’intégrité physique et morale des travailleurs ont mené le législateur à prendre en compte cette notion non plus seulement dans la sphère pénale mais également sous l’angle du droit du travail, l’entreprise pouvant malheureusement constituer un terrain favorable à de tels agissements. L’article L. 1152-2 code du travail protège ainsi le salarié victime qui a «?subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral?» autant que le salarié qui «?a témoigné de tels agissements ou les a relatés ». C’est pourquoi, le licenciement intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul. Une atténuation à ce principe tient au fait que les témoignages visés doivent avoir été faits de bonne foi. Bien que cette notion ne soit pas expressément inscrite dans les articles susvisés, elle découle logiquement de l’article 1134 du Code civil.

Les contours stricts de la mauvaise foi
L’arrêt du 7?février 2012 permet donc d’assurer une protection absolue sous réserve de la mauvaise foi entendue de manière restrictive par la Cour. En effet, non seulement les faits dénoncés doivent être faux, mais en outre le salarié doit avoir conscience du caractère fantaisiste des accusations proférées, ce dont il résulte un mensonge. En précisant que la mauvaise foi «?ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce?», la Cour de cassation entend ainsi écarter autant que possible toute autre considération subjective de la mauvaise foi, qui implique de sonder l’esprit du dénonciateur. Concernant la date à laquelle elle doit être appréciée, la Cour de cassation a déjà précisé que «?ne sont mensongers que les faits de harcèlement que le salarié savait inexacts au moment où il les dénonce à son employeur ou à une autorité?» (3). Peu importe que par la suite la croyance du salarié soit démentie. La Haute Juridiction exclut par cet arrêt que soit retenu au titre de la mauvaise foi autre chose que le mensonge. Dans le sillage du législateur, elle entend donc restreindre la notion de mauvaise foi. Cette restriction, protectrice des salariés de bonne foi, peut être source de difficulté.

Les difficultés générées par cet arrêt
La mauvaise foi apparaît évidente lorsque le salarié a monté un mensonge de toutes pièces en ayant conscience de révéler des faits inventés. Il en est ainsi du salarié qui s’est livré «?à une manœuvre ayant consisté à adresser à son supérieur hiérarchique deux lettres lui imputant faussement des actes de harcèlement moral et à poursuivre en justice, sur le fondement des mêmes accusations, la résolution de son contrat de travail aux torts de son employeur?» (4) . En revanche, il existe des situations plus complexes car entre la bonne foi naïve du salarié et son mensonge délibéré, il arrive que des salariés malveillants procèdent à des accusations de harcèlement moral en se fondant sur des faits existants mais d’une légèreté qu’ils ne peuvent pas ignorer, dans le seul but de se soustraire à l’exercice du pouvoir de direction. Tel est le cas lorsque le salarié, suite à un entretien de recadrage, se saisit d’événements anodins pour porter des accusations de harcèlement moral, en réaction aux remontrances de l’employeur. Aussi, bien qu’un tel arrêt traduise la volonté de la Cour de ne pas dissuader certains salariés de dénoncer des faits dont la qualification de harcèlement moral peut être ambiguë, le risque que les dénonciations soient faites avec légèreté est bien réel et de telles dénonciations peuvent mettre à mal la santé des personnes visées. Dans ce cas, les faits de harcèlement n’étant pas établis à l’encontre de l’auteur et la mauvaise foi du dénonciateur n’étant pas démontrée, aucun des deux salariés ne pourra faire l’objet d’un licenciement et ils devront continuer à travailler ensemble dans une ambiance que l’on imagine cordiale.

1- Cass. Soc. 10?mars 2009 n°?07-44.092
2- Cass.soc. 7 fév. 2012, Mme B. c/SAS Hermès Sellier, n°?10-85.035 FS-P+B
3- Cass.soc. 5 déc. 2007 n°06-41.346
4- Cass.soc. 18 fév. 2003 n°01-11.134

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