Les émeutes qui secouent la France montrent à quel point notre système judiciaire est impuissant du fait d’un sous-investissement chronique qui sera mis au grand jour dans les semaines qui viennent. Le danger ? Qu’une partie de la population se fasse justice elle-même.

Les scènes d’émeutes et de razzias qui secouent la France depuis quelques jours font l’objet d’incantations et de phrases "toutes prêtes" de la part de nos responsables politiques. À l’extrême gauche, on rêve de la convergence des luttes entre banlieues en colère, féministes, écologistes radicaux et autres groupuscules. Certains espèrent même que les pilleurs d’Apple Store, de Zara ou les brûleurs de bus et de médiathèques soient les "nouveaux prolétaires" prêts à renverser le système. D’où, dans les premiers temps, une sympathie d’une partie des députés LFI et EELV.

À l’extrême droite, on ressort les traditionnels appels à la remigration et la carte "grand remplacement". Les termes de "guerre civile" ou de "l’appel à l’armée" sont dans de nombreuses bouches. Peu dans celles des dirigeants du RN qui restent silencieux et attendent leur heure.

Le sous-investissement se paie

La plupart des responsables politiques conservent toutefois une attitude pragmatique et digne. Depuis trois jours, de nombreuses voix appellent à la "tolérance zéro" et à la "justice", ce qui est la solution la plus logique. Mais en l’état actuel, la justice est impossible.

Rappelons quelques données. En 2022, la France met sur la table 72 euros par habitant pour financer son système judiciaire contre 82 en Italie, 88 en Espagne ou encore 141 en Allemagne. Comme l’écrit pudiquement la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) dans son rapport annuel, « la France appartient au groupe d’États qui investit peu son budget dans la justice ».

La France consacre 72 euros par habitant pour financer son système judiciaire contre 141 en Allemagne

Les conséquences sont les suivantes : l’Hexagone compte 11 juges pour 100 000 habitants contre 22 en moyenne pour les pays membres du Conseil de l’Europe. Le ratio est encore plus impressionnant concernant les procureurs (3,2 contre 11,8). N’évoquons même pas les greffiers et autres professions indispensables à la bonne marche de la justice. Même appréhendés et traduits en justice, beaucoup d'émeutiers peuvent attendre leur jugement un bon bout de temps.

Certains méritent probablement leur place derrière les barreaux. Mais où peuvent-ils purger leur peine ? En juin, la densité carcérale dans les établissements pénitentiaires est de 121%. Regardons les choses en face, du fait d’un sous-investissement chronique, il est quasi impossible de juger et punir un bon nombre de fauteurs de troubles. Et cela, les émeutiers le savent.

Qui rendra la justice ?

Cyniquement, les pouvoirs publics n’ont qu’une seule chose à faire : attendre que cela passe et prier très fort pour que la situation reste sous contrôle. La plus grande crainte pour le futur du pays est la suivante : qu’une partie de la population acte l’impuissance de l’État et décide de se faire justice elle-même. Par chance, peu d’armes à feu circulent dans la population et il est toujours ancré dans les mentalités que la loi prime sur tout. À condition qu’elle soit pleinement appliquée. Et c’est là que le bât blesse. L’Histoire l’a montré à plusieurs reprises, des autorités défaillantes amènent souvent au pire. D’où l’intérêt d’investir massivement dans la justice qu’il s’agisse du recrutement de professionnels ou d’ouverture de places de prison.

Lucas Jakubowicz

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