Un parti, des troupes fidèles, un fief, une popularité. En théorie, Édouard Philippe a tout pour monter en puissance durant le quinquennat. Mais la préparation des législatives le prouve : son chemin est pavé d’embûches.

L’ancien premier ministre ne s’en cache pas, il est passionné par la tactique politique qu’il nomme affectueusement la "poloche". Utile lorsque l’on veut grimper au sommet de l’État. Cela tombe bien, depuis son départ de Matignon le 3 juillet 2020, Édouard Philippe met en place une stratégie pour être en position de succéder à Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2027, à laquelle l’actuel président ne pourra concourir.

Une stratégie savamment penséz

Pour le moment, Édouard Philippe n’a rien laissé filtrer de ses ambitions, mais il se prépare au cas où. Parmi les "armes" à sa disposition, une popularité gagnée en grande partie durant la crise sanitaire. Certes, de l’eau a coulé sous les ponts, mais l’ancien membre de LR reste à ce jour l’homme politique le plus populaire de l’Hexagone. Le dernier baromètre Elabe-Les Échos-Radio Classique lui accorde 44 % de bonnes opinions, soit 11 points de plus que Roselyne Bachelot, deuxième membre de la majorité la mieux classée.

Autre atout dans sa manche, une implantation locale solide dans son fief du Havre. Ajoutons à cela une loyauté envers Emmanuel Macron. Jusqu’à présent, Édouard Philippe a joué le jeu en soutenant sans tergiverser le président de la République durant la campagne présidentielle. Désormais, il espère être payé en retour. Le Normand sait aussi que, pour peser, il faut une machine de guerre en bon ordre de marche, composée de personnes dévouées au service des ambitions d’un seul homme. Une organisation qui existe et qui porte un nom : Horizons.

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Édouard Philippe a soutenu sans tergiverser Emmanuel Macron durant la présidentielle. Désormais, il espère être payé en retour...

La machine Horizons

Ce nouveau parti politique est né officiellement le 9 octobre 2021 lors d’un meeting au Havre qui a rassemblé près de 3 000 personnes. Positionné au centre-droit de l’échiquier, il possède déjà un excellent maillage local. Plusieurs élus de grandes villes issus de LR ont embarqué dans l’aventure. Citons notamment Christophe Béchu (Angers), Arnaud Robinet (Reims), Hubert Falco (Toulon) ou encore Frédéric Valletoux (Fontainebleau) et Laurent Marcangeli (Ajaccio). Une quinzaine de députés et quatre sénateurs sont également encartés à Horizons, même si, faute de groupe parlementaire, ils émargent pour le moment chez LREM ou Agir la droite constructive. Parmi les adhérents, mentionnons également deux députés européens : son ami de longue date Gilles Boyer et Nathalie Loiseau.

Pour les prochaines législatives, l’objectif du patron d’Horizons est clair : bénéficier d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Cela lui permettrait de compter ses troupes, de "jouer sa partition" si besoin et de disposer d’un trésor de guerre (pour obtenir des financements publics, un mouvement politique doit investir aux législatives au moins 50 candidats qui doivent obtenir un minimum de 1% des suffrages, score a priori atteignable). Seul hic, de nombreuses personnalités politiques ne l’entendent pas de cette oreille et font de leur mieux pour torpiller Édouard Philippe tant que cela est encore possible.

Agacement

Il faut dire que la stratégie des « philippistes » fait grincer des dents. Les Marcheurs historiques, qui veulent préserver le "en même temps" originel, ne souhaitent pas d’une majorité trop à droite. Il en est de même pour les macronistes de gauche qui se méfient d’une droitisation trop forte susceptible d’handicaper leurs candidats aux législatives. Et ce, d’autant plus que la gauche semble bien partie pour présenter des candidatures unies face à eux.

Enfin, et c’est un grand classique de la vie politique, les meilleurs ennemis de l’ancien locataire de Matignon proviennent de sa famille politique. Comme le démontrent parfaitement les journalistes Nathalie Schuck et Olivier Beaumont dans l’ouvrage Chérie j’ai rétréci la droite, Nicolas Sarkozy se rêve en "super DRH" de la droite. À défaut de se représenter à une élection un jour, il souhaite rester le patron officieux de se famille politique d’origine, en faisant et défaisant les carrières. La défaite de Valérie Pécresse, qu’il n’a pas soutenue officiellement, prouve qu’il compte beaucoup sur le président de la République. Un Édouard Philippe trop fort l’affaiblirait. Alors s’il faut "flinguer"…

À droite toujours, certains gros poissons doivent s’imaginer, eux aussi, un destin présidentiel. Pour des personnalités comme Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin, une trop grande influence de l’ancien chef de gouvernement pourrait perturber certains plans de carrière. Mieux vaut éviter l’émergence d’un concurrent trop puissant…

C'est un classique, ses meilleurs ennemis sont dans sa famille politique

Dans la semaine qui a suivi le second tour, la presse se fait écho de relations très tendues entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe. La profusion de "taupes" montre que le maire du Havre est vu comme un danger par toutes les composantes de la majorité macroniste.

Édouard Philippe est-il utile à Emmanuel Macron ?

Plus préoccupant encore, entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe, la situation semble tendue et l’octroi d’un quota d’une cinquantaine de députés Horizons, objectif initial, est pour le moment au point mort. Les journaux rapportent des propos peu amènes du président réélu à l’égard de son ancien premier ministre. Il faut dire que, pour Emmanuel Macron, la montée en puissance du "philippisme" est, à ce stade, aussi dangereuse qu’inutile.

Horizons n'a pas la garantie d'obtenir 50 députés comme souhaité

Le président se prépare à gouverner avec une majorité plus restreinte qu’en 2017. A-t-il besoin d’un poil à gratter dans ce contexte ? Non. Donner trop d’importance à Édouard Philippe reviendrait à désigner ce dernier comme un dauphin. Est-ce utile ? Non. Emmanuel Macron a envie de rester au « sommet » jusqu’à la fin du quinquennat, et proclamer implicitement un successeur l’affaiblirait. Enfin, à l’origine, Horizons avait une utilité pour la Macronie : créer un sas de décompression pour les élus LR désireux de prendre la clé des champs. Ce sas est désormais inutile

Durant la campagne présidentielle, plusieurs cadres de LR, à l’instar d’Éric Woerth, ont quitté leur parti, sans passer par Horizons. Les 4,8 % obtenus par Valérie Pécresse pourraient accélérer l’exode et rendre caduc l’intérêt apporté par Horizons il y a quelques mois.

Les semaines qui viennent, rythmées par les investitures aux législatives, seront déterminantes pour Édouard Philippe, qui a dévoilé très tôt son jeu. Le féru de "poloche" le sait, cela peut mener à la présidence de la République comme Nicolas Sarkozy. Ou conduire à l’enfermement dans le rôle de responsable politique populaire, écouté, entouré. Mais tenu à l’écart de l’Elysée. Comme Michel Rocard ou Alain Juppé, mentor du barbu le plus célèbre de France.

Lucas Jakubowicz

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