Le parachutage est un grand classique de notre vie politique. Quel est le profil de ces candidats peu habitués au terrain ? Comment réussir son atterrissage ? Réponse dans ce petit précis de stratégie électorale…

Les législatives approchant, les états-majors des partis politiques de l’Hexagone sont en effervescence. Tous doivent répondre à des défis épineux : éviter les erreurs de casting qui peuvent nuire au résultat final, respecter la parité, ménager ses alliés, préparer d’éventuels accords d’entre-deux-tours, gérer les coûts, anticiper les rentrées financières. Et peaufiner les parachutages. Soit une technique qui consiste à investir un candidat dans une circonscription qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam.

Un phénomène qui perd du terrain

"Un phénomène aussi ancien que la République", rappelle l’universitaire Christophe Bellon, universitaire spécialiste de l’Histoire parlementaire qui explique que, pour être élu député, "il n’y a pas besoin de payer des impôts ou de résider dans la circonscription, à l’inverse d’une élection municipale". De nombreuses figures glorieuses de notre vie politique ont utilisé cette ficelle. En 1928, Léon Blum perd son mandat de député de Paris qu’il occupait depuis 1919. Pour continuer à siéger au Palais-Bourbon, la SFIO, dont il est l’un des dirigeants, le parachute en terrain plus favorable à Narbonne, ville qu’il représentera à l’Assemblée nationale jusqu’en 1940. À gauche, citons également le cas de Jack Lang, parachuté dans le Loir-et-Cher de 1986 à 2000 avant de prendre la route du Pas-de-Calais de 2002 à 2012. À droite, le cas de Michel Debré est illustratif : en 1962, l’ancien premier ministre ne s’imposant pas en Indre-et-Loire, l’état-major gaulliste l’envoie avec succès à La Réunion.

Le phénomène perdure et les parachutés les plus célèbres de ces dernières années sont sans doute Marion Maréchal Le Pen dans le Vaucluse en 2012 ou Jean-Luc Mélenchon à Marseille en 2017. Cela dit, le phénomène perd toutefois du terrain depuis une vingtaine d’années selon Christophe Bellon qui évoque  "un besoin d’éthique et le renforcement de la décentralisation qui met à l’honneur les élus locaux".

Profil type du parachuté

Existe-t-il un archétype du parachuté ? "Oui", affirme Christophe Bellon qui note toutefois l’existence de plusieurs sous-espèces. La première, sans doute la plus répandue, est celle du technocrate promis à un brillant avenir en quête d’un premier mandat électoral. Parmi les cas les plus emblématiques, le jeune couple d’énarques ambitieux formé par Ségolène Royal et François Hollande envoyés avec succès en "mission commando" dans les Deux-Sèvres et en Corrèze en 1988. Autre cas d’école : Bruno Le Maire. En 2007, le jeune et brillant surdiplômé qui s’est distingué dans les cabinets de Jacques Chirac et Dominique de Villepin cherche à s’implanter localement. Il bénéficie d’une "circo en or", celle de Jean-Louis Debré dans l’Eure. Les autres catégories sont les anciens membres du gouvernement en quête d’implantation locale, les militants médiatiques ou les personnalités issues de la société civile comme les sportifs, les journalistes ou les entrepreneurs.

Léon Blum, Michel Debré, François Mitterrand, François Hollande, Ségolène Royal, Bruno Le Maire, Jean-Luc Mélenchon font partie de la longue liste des parachutés

2022, du monde au portillon

Le cru 2022 devrait permettre de perpétuer la tradition. À gauche, les jolis scores réalisés par LFI dans certaines circonscriptions attisent bien des convoitises. Ainsi, le médiatique et jeune insoumis David Guiraud, originaire de Seine-Saint-Denis, serait pressenti pour être candidat à Roubaix. Il a d’ailleurs multiplié les déplacements sur le terrain, notamment pour attaquer les équipes de M6 qui ont réalisé un documentaire montrant l’emprise islamiste sur la ville. L’activiste Taha Bouhafs, candidat il y a cinq ans en Isère, serait investi pour porter les couleurs insoumises dans le Rhône. L’équipe d’investiture de l’Union populaire devrait également trouver un parachute électoral doré à Gabriel Amard, spécialiste de la politique de l’eau et accessoirement gendre de Jean-Luc Mélenchon. Lui aussi serait largué dans la banlieue rouge lyonnaise. Espérons pour lui que la victoire soit au rendez-vous. Après tout, il a déjà été vainement candidat aux législatives en Essonne et dans le Jura. Gabriel Amard, véritable nomade électoral, est également conseiller régional de la région Rhône-Alpes depuis 2021, après avoir échoué à remporter la mairie de Villeneuve-d’Ascq dans le Nord…

Du côté d’EELV, l’autoproclamée "éco-féministe" Sandrine Rousseau, traditionnellement implantée à Lille, souhaite se présenter dans le XIIIe arrondissement de Paris, ce qui semble mal parti. La Macronie devrait elle aussi parachuter quelques têtes d’affiche. Parmi elles, Jean-Michel Blanquer dans le Loiret, Elisabeth Borne dans le Calvados ou Amine El Khatmi, président du Printemps républicain. Difficile de savoir où pour le moment. Seule certitude, cela ne sera pas dans sa ville d’origine, Avignon, où une sortante issue de la majorité se représente. Ni dans le Val-d’Oise pour défier Aurélien Taché où il était pressenti. Parmi les parachutés, peu de cas à se mettre sous la dent au PS ou chez LR qui tenteront avant tout de sauver ce qui peut l’être.

"Pour réussir son atterrissage, le soutien des militants locaux est primordial"

Réussir son atterrissage : mode d’emploi

Mais attention, le parachutage reste un exercice périlleux et, pour réussir son atterrissage, deux règles sont à respecter. La première, loin d’être la plus évidente, est d’obtenir l’accord des militants locaux. Ce n’est pas Gaspard Gantzer qui dira le contraire. Le 11 mai 2017, celui qui était il y a quelques semaines en charge de la communication de François Hollande est annoncé candidat LREM dans la seconde circonscription d’Ille-et-Vilaine. Immédiatement, les marcheurs locaux font entendre leur mécontentement, l’obligeant à retirer sa candidature. La même situation pourrait arriver à Sandrine Rousseau, qui marche sur les plates-bandes de Claire Monod, très implantée localement et soutenue par une bonne partie des militants. Chez les Insoumis, l’autorité de Jean-Luc Mélenchon, lui-même parachuté à Marseille il y a cinq ans, devrait suffire à mettre sous cloche les états d’âme.

Globalement, pour ne pas manquer son atterrissage, mieux vaut viser une circonscription favorable. Ce qui est souvent le cas, le parachutage étant une récompense. Si se présenter en "territoire hostile" ne manque pas de panache, le choix est souvent perdant. Rappelons-nous de 2012, année où Jean-Luc Mélenchon est allé défier Marine Le Pen, très implantée dans le Pas-de-Calais. Un échec retentissant qui incitera l’ancien socialiste à migrer vers Marseille, plus favorable électoralement.

La meilleure technique est celle que Christophe Bellon nomme le "parachutage progressif". Une recette assez simple puisqu’il s’agit de commencer à s’imprégner du territoire en occupant des fonctions de conseiller municipal, conseiller départemental ou député suppléant avant de faire le grand saut. C’est notamment le cas de François Mitterrand qui s’est ancré progressivement dans la Nièvre. Plus récemment, le Parisien Laurent Wauquiez a fait de même en Haute-Loire en suppléant le député Jacques Barrot, puis en reprenant son siège avec un statut d’héritier. Revers de la médaille, cette stratégie demande une certaine patience. Ce qui n’est pas la qualité première de ceux qui veulent percer en politique. Certains préfèrent donc une méthode plus offensive, quitte à s’écraser au sol. Qui sera l’Icare de 2022 ? Les jeux sont ouverts.

Lucas Jakubowicz

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