L’invasion de l’Ukraine par la Russie remet au goût du jour un expert tombé quelque peu dans l’oubli : le kremlinologue. Sa mission ? Décrypter ce qui se trame à l’intérieur d’un appareil d’État opaque. Et dans la tête de Vladimir Poutine…

Durant la guerre froide, une espèce peu connue occupait une place centrale dans les services de renseignements et les médias occidentaux. Son nom ? Le kremlinologue. Sa mission ? Décrypter les rapports de force et les luttes d’influence à l’intérieur du Kremlin. Qui est en disgrâce ? Quelles sont les personnalités qui montent au sein de l’appareil ? Quelle faction impose sa ligne ? Pas une mince affaire puisque le régime soviétique était, pour reprendre une célèbre citation de Winston Churchill, "un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme". En l’absence de transparence, ces spécialistes en étaient réduits à analyser des signaux faibles, voire très faibles tels que la place occupée par chacun à la tribune officielle lors de la célébration de la révolution d’Octobre, l’arrivée d’un nouveau membre au Politburo, l’attribution d’une nouvelle datcha d’État…

La récente guerre en Ukraine donne une seconde jeunesse à ces experts tombés dans l’oubli. L’appareil d’État de Vladimir Poutine brillant par son opacité, il devient stratégique de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de la "boîte noire". Qui a l’oreille du Président ? Qui écoute-t-il ? Qui est susceptible de le lâcher ? Son bellicisme est-il suivi ? Dispose-t-il encore de toute sa raison ? Pour répondre à ces questions, les kremlinologues ressortent de leur placard. Comme leurs prédécesseurs, ils en sont réduits à supputer sur le peu d’informations qu’ils reçoivent…

Aucun expert ne peut prédire l'attitude de Vladimir Poutine. C'est cela le plus inquiétant...

Le ministre de la Défense Sergeï Choïgou semble las lorsque son "patron" annonce la mise en alerte de la force de dissuasion nucléaire ? Peut-être est-ce un signe que l’armée ne le suivra pas jusqu’au bout. Le chef d’état-major Valéri Guérassimov suivra-t-il Vladimir Poutine jusqu’à la mort ? Pourquoi la présidente de la banque centrale Elvira Nabioullina ne porte plus sa broche à l’effigie d’un faucon ? Est-ce un signe subliminal de désapprobation de la stratégie guerrière du Président ? Quelle faction aura le plus l’écoute du chef dans les semaines à venir, l’appareil sécuritaire ou les milieux économiques ? Une fois encore, les kremlinologues échafaudent des hypothèses en analysant la place occupée par chacun lors des conseils de défense ou en scrutant les posts des enfants d’apparatchiks sur les réseaux sociaux. Seul hic, chaque kremlinologue dresse une analyse différente de la situation. En somme, nul n’est capable de prédire les actes d’un dirigeant naguère connu pour sa rationalité. Et c’est sans doute cela le plus effrayant.

Lucas Jakubowicz

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