C'est le récit d’un homme qui ne devait pas gagner, qui a gagné et qui n’a jamais cessé de lutter. Au point de faire basculer une ville à droite depuis 1947.

Bordeaux va entrer en état d’urgence. Non pas en état d’urgence sanitaire, mais en état d’urgence climatique. Telle est la première mesure symbolique que va prendre le nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic. Annoncée depuis le début de sa campagne, il tenait à cette décision comme à la prunelle de ses yeux, et penser qu’il allait l’abandonner serait remettre en cause l’une de ses caractéristiques premières : l’obstination.

Rien n’a arrêté Pierre Hurmic, et surtout pas les défaites à répétition lors des précédents scrutins ou les sondages d’opinion, ceux qui lui octroyaient 13 % au moment de sa candidature, en septembre dernier, où ceux qui le donnaient battu, à quelques jours du premier tour. Une abnégation au service d’une idée, la lutte contre le réchauffement climatique, et pour ce faire, une méthode : la contestation.

Tout commence à Wuhan

"J’ai considéré que la meilleure façon de résister était de faire de la politique" assure-t-il dans le portrait officiel qui lui est consacré sur son site internet. Déjà une façon de contester le mot d’ordre de son maître à penser et professeur à Sciences-Po Bordeaux : Jacques Ellul, le philosophe auteur de L’illusion politique et qui écrivait à propos du suffrage universel : "c’est en réalité la démocratie de propagande, celle où le citoyen […] se borne à adhérer avec enthousiasme à toutes les décisions prises en son nom". Il est certain que Pierre Hurmic ne doit pas regretter son émancipation…

Résister encore et toujours, peu importe l’adversaire, quel que soit le danger. Jeune avocat en voyage en Chine, "il n’hésite pas à réclamer la libération de deux prisonniers politiques détenus à Wuhan, Tong Yi et Quin Yo Min. Il l’obtiendra, malgré les menaces officielles, les intimidations, les coups de fil nocturnes et sa chambre saccagée", décrit son site de campagne. Ne pas croire qu’une forme de sagesse ou de prudence retrouvée soit advenue avec les années. Même si, le danger était évidemment bien moindre, il fallait le voir, il y a moins de deux ans, s’enchaîner à l’un des dix-sept marronniers de la place Gambetta afin d’empêcher leur abattage imminent pour cause de travaux de réaménagement. Peine perdue, en novembre de la même année, les arbres furent abattus. Tomber sept fois, se relever huit, on croirait le proverbe japonais écrit pour le nouvel édile…

Pierre Hurmic est le premier maire de gauche à Bordeaux depuis 73 ans

Être dans les rangs de l’opposition à Bordeaux ? C’est, croyait-on le destin d’un Sisyphe girondin, d’un Don Quichotte de la Garonne, un monde où les illusions ne sont jamais perdues parce qu’on ne peut jamais gagner. Voilà sans doute pourquoi Pierre Hurmic confiait en 2005 lors d’une interview au Monde qu’"il vaut mieux se battre pour l’influence que pour le pouvoir" et ajoutait : "On a davantage de pouvoir dans l’opposition qu’en ayant un strapontin". Il a pourtant assumé pendant 25 ans, la place étroite que les électeurs réservaient à ceux qui avaient voulu défier Alain Juppé. Pendant les conseils municipaux qu’il présidait, ce dernier, mi-affectueux, mi-vachard, le hélait en le nommant "mon Vert de service".

 Juppé- Hurmic : le code de la rue 

On imagine les deux hommes se toiser en chiens de faïence, tout semblant séparer l’ancien Premier ministre souvent "raide comme un pin des Landes" de l’avocat activiste à l’humour corrosif, or ce sont des échanges souvent empreints de nuances qui caractériseront leur relation. Leurs passes d’armes se virent souvent exécutées à fleurets mouchetés, à tel point qu’on prêtera à Alain Juppé, en 2007, l’intention de nommer adjoint son opposant de vingt ans. Si Pierre Hurmic, l’histoire le démontrera, refusa la proposition, cela n’empêchera pas les deux hommes de présenter ensemble, la même année "un Code de la rue" qui, s’il visait à réglementer les nouvelles mobilités, n’en est pas moins une métaphore des relations apaisées qu’ils ont entretenues. Ainsi à peine déguisée fut l’hommage rendu par Pierre Hurmic à l’ancien secrétaire général du RPR : "Alain Juppé obligeait ses opposants à l’excellence, à bosser énormément, car il vous taclait immédiatement si vous étiez approximatif". L’ancien opposant théorisait d’ailleurs sa confrontation avec le leader de la majorité municipale en conceptualisant "une conflictualité apaisée".

À Bordeaux, certains ne supportent toujours pas qu’on mette de l’eau dans son vin, et à en croire Philippe Poutou, c’est d’ailleurs l’un des défauts dont on pouvait affubler Pierre Hurmic. Pis, le représentant du NPA, le situe "du mauvais côté de la barrière". L’avocat ne se démonte pas "il me traite de bourgeois ? Économiquement, il a raison", tout en se définissant rappelle Le Monde comme à la fois "notable et frondeur".

Monsieur non ?

C’est cette double affiliation qui a certainement su convaincre une ville qu’on imaginait rétive aux révolutions. Car il n’est pas facile à cataloguer le nouveau maire. Avocat de José Bové et des Faucheurs volontaires de champs d’expérimentation OGM, défenseur de Bertrand Cantat, catholique fervent, réservé à l’égard du mariage pour tous mais qui célébrera la deuxième union homosexuelle de Bordeaux, tout en assurant en plein conseil municipal la défense d’Hugues Martin, maire de Bordeaux entre 2004 et 2006 et élu de la majorité, quand celui-ci refusait de célébrer les mariages homosexuels au nom "de la liberté de conscience"

Pierre Hurmic féraille contre la 5G, les compteurs Linky ou la LGV

Et s’il était tout simplement mû par l’obsession de la justice, et la volonté de demeurer l’homme de gauche qui pense droit ? Pierre Hurmic, pour séduire Bordeaux, devra équilibrer le balancier auquel il s’est toujours adossé. Certains positionnements passés ou récents, contre la LGV "un transport de niche et de riches qui ne profite qu'aux métropoles", contre les compteurs Linky "au nom du principe de précaution" ou contre la 5G coupable d’émettre des "champs électromagnétiques" jamais scientifiquement démontrés, laissent craindre une propension à la régression. 

Pas sûr que les Bordelais valident, ad vitam eternam, un retour à « la belle endormie ». Rappelons-nous que pour sa première campagne municipale, en 1995, face à Alain Juppé, Pierre Hurmic s’affichait avec un slogan "Bordeaux, grandeur nature". Qu’il veille à ce que celle-ci ne se découvre rebelle comme lui, et que finalement, comme il s’est vu parfois, voir un jour la nature d’une ville reprendre ses droits…

Sébastien Petitot

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