Rapatrier 130 000 Français en un laps de temps réduit à travers des pays qui ont, pour la plupart, fermé leurs frontières. Le défi s’annonçait de taille, il est en passe d’être remporté. Retour sur un pont aérien inédit.

C’est l’histoire d’un plan d’évacuation jamais vu dans l’histoire de France : 130 000 Français répartis dans plus de 100 pays, quasiment tous rapatriés en quelques semaines ; non sans stress, non sans heurts. Courant mars, alors que la pandémie de Coronavirus contamine peu à peu toute la planète, de nombreuses nations ferment leurs frontières. Un drame pour les ressortissants français, qu’ils soient en voyages d’affaires ou en vacances. Les voici coincés pour une durée indéterminée dans des lieux où ils ne pensaient qu’être de passage.

Identifier les partants

Du côté des ambassades et des consulats, les consignes sont claires : les Français doivent rentrer chez eux au plus vite. La première étape est de les recenser. "Lorsque nous avons été informés que l’Inde serait confinée à compter du 25 mars, nous avons commencé à compter nos ressortissants et à déployer une cellule de crise d’une douzaine de personnes", explique un fonctionnaire travaillant à l’ambassade de France en Inde à New Delhi. Une tâche relativement aisée "Nous possédons un logiciel conçu pour la gestion des crises de ce type ; nous l’avons par exemple utilisé lors du tremblement de terre au Népal en 2015. Nous avons également demandé aux Français de se signaler par Facebook, Twitter ou par téléphone". Résultat, 95% des 2 500 Français concernés ont été identifiés. Sur tous les continents, des groupes Whatsapp ont permis d’échanger les bons plans, de proposer des solutions d’hébergement. De quoi patienter avant de rentrer à bon port. Ce qui n’est pas une mince affaire.

À la pêche aux Français

"L’objectif est de réunir les Français dans des capitales d’où peuvent partir des vols internationaux. Pas toujours évident dans un contexte où certains pays ont fermé leurs frontières terrestres, ou d’autres interdisent les vols de transit", explique Paula Forteza, députée des Français d’Amérique du Sud et des Caraïbes qui, avec les fonctionnaires du Quai d’Orsay, a mené des dialogues bilatéraux entre États pour "laisser passer nos concitoyens". Ainsi, les Français d’Amérique centrale ont été rassemblés à Guatemala City et à Mexico.

Même problématique du côté de l’Inde, pays-continent où vols intérieurs et trains ne fonctionnent plus. Pour corser les choses, les déplacements entre régions demandent l’obtention de formulaires adéquats. L’ambassade a donc désigné cinq points de rassemblements : New Delhi, Goa, Mumbai, Kochi et Chennai d’où partent des vols spéciaux pour l’Hexagone. L’ambassade s’est également chargée d’affréter des bus pour aller à la "pêche aux Français". Un véhicule est ainsi parti de la capitale pour rallier le Pendjab, région située à la frontière pakistanaise.

Rentrer à tout prix

Loi du marché oblige, ce qui est rare est cher. Alors que la demande de vols pour la France augmentait à mesure que les vols se raréfiaient, les prix des sièges se sont mis à flamber. "Les algorithmes sont devenus hors de contrôle et certaines places se sont arrachées pour des prix très supérieurs à la normale", s’indigne la députée. Certes, le gouvernement a officiellement demandé aux compagnies aériennes de revenir à des tarifs raisonnables, mais ces dernières n’ont pas toutes obtempéré. Après tout, les profiteurs de crise ont toujours existé.

Heureusement, le Quai d’Orsay, à la manœuvre, a tout fait pour que les prix soient encadrés, et payables au retour en France. De quoi permettre aux touristes parfois fauchés de rentrer à bon port. "J'ai quitté l'Amérique du Sud avec 5 jours de retard sur mon planning, mais le billet ne m’a coûté que 400 euros", témoigne ainsi une vacancière initialement partie pour un séjour de plongée sous-marine.

Évidemment, la France n’est pas le seul pays dans cette situation et les ambassades européennes se sont coordonnées pour améliorer l’efficacité des ponts aériens. Ainsi, en Inde, "nous avons été aidé par les Allemands, et nous avons aidé les Néerlandais et les Espagnols. Dans ce type de situation de crise, la solidarité est fondamentale", explique le diplomate.

"À Roissy, une personne handicapée a été prise en charge par un salarié sans masque et sans gants ! "

Gestes barrières ?

Une fois les passagers rassemblés et les avions réservés, une autre tâche s’annonce épineuse pour les autorités françaises : éviter toute contamination. Le risque est grand puisqu’une centaine de Français de l’étranger ont été testés positifs au Covid-19. Du côté de l’ambassade d’Inde, les moyens adéquats ont été mis sur la table : « On se lave les mains, un pédiluve a été installé, nous distribuons des masques qui sont renouvelés régulièrement, nous prenons systématiquement la température, respectons les distances de sécurité et, pour le moment, nous n’avons pas eu de cas », expose le fonctionnaire.

En revanche, une fois dans les avions, les choses se compliquent : impossible de respecter les distances de sécurité. Les vols sont remplis, tant le nombre de Français à évacuer est important. Impossible de faire voler des avions à moitié vides, alors que des milliers de Français sont coincés loin de chez eux… Sur les vols longs courriers, les masques finissent par se périmer et ne sont pas toujours remplacés. Une fois arrivé à Paris, les choses sont pires : « Nous vivons dans la peur de la contagion et à Roissy nous avons eu une désagréable surprise… », déplore la voyageuse de retour d’Amérique du Sud : « Nous étions entassés au niveau du contrôle des passeports, les agents n’étaient pas tous masqués. J’ai été choquée de voir qu’une personne handicapée a été prise en charge par un salarié sans gants et sans masque ». Triste ironie du sort, certains rapatriés ont pu être contaminés dès leur retour sur le sol français.

Lucas Jakubowicz

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