Dans son dernier ouvrage, Sylvain Waserman, Vice-président de l’Assemblée nationale et député Modem du Bas-Rhin, revient sur les moments marquants de son mandat. Il propose également des idées concrètes pour améliorer la vie démocratique. Découvrez les bonnes feuilles de ce livre, tantôt truculent, tantôt force de propositions.

Les 5 grandes catégories de députés (p57-60)

La première, ce sont les stars. Ils sont plutôt connus médiatiquement. (...). Chacune de leur prise de parole est une prestation tout autant qu’une intervention. Ils brillent et le savent, ils sont extravertis et occupent l’espace, ils sont souvent excellents orateurs et en jouent. (...). Les passes d’armes avec eux sont fréquentes, mais ils ont en général un vrai respect pour la fonction de président de séance et savent ne pas dépasser les limites, sauf lorsqu’ils sentent la possibilité d’un beau coup médiatique.

La seconde, ce sont les experts. Ils connaissent certains de leurs sujets grâce à leurs expériences professionnelles, leurs responsabilités passées, leur commission où ils travaillent d’arrache-pied (...). Les experts ne supportent pas qu’on leur coupe le micro à la fin de leur intervention. Ils privilégient le fond et trouvent donc insupportable qu’un débat si important auquel ils contribuent tant puisse être corseté par un règlement intérieur. Difficile, donc, de leur expliquer que le règlement est le même pour tous, que les temps de parole alloués ne sont pas un jugement de valeur sur la qualité des propos exprimés.

La troisième catégorie, ce sont les performateurs. Ils ont comme but explicite de « faire un score ». Ils pondent des amendements à la pelle, sans aucune chance de les passer, mais uniquement pour être bien notés sur le site nosdéputés.fr et briller vis-à-vis de leurs électeurs. Chaque intervention compte comme un bâton qui sera, là aussi, répertorié dans nosdéputés.fr. Ils considèrent que ne pas leur donner la parole est une atteinte à leur score (...). Les députés performateurs peuvent jouer avec les règles, soutenir l’insoutenable pour se distinguer un peu plus encore.

La quatrième catégorie, ce sont les rationalistes. Ils ont le sens du devoir, sont concernés mais trouvent que nos débats sont le signe d’une démocratie déconnectée de la vraie vie. Ils voudraient des débats plus courts, un nombre d’amendements limités, des interventions plus ciblées. Les rationalistes font souvent partie de la majorité (...) et revendiquent l’efficacité du monde professionnel dont ils sont issus.

La dernière catégorie, enfin, ce sont les inconnus. Il arrive de les voir demander la parole et vous n’avez aucune idée de qui ils sont (...). Ils donnent l’impression de ne jamais être là et ils le sont probablement très peu. L’on se demande ce qu’ils font là, et eux aussi probablement. Ils sont peu nombreux et leur absence parisienne est insupportable à tous ceux qui ont à cœur de défendre la fonction parlementaire.

Le risque de « marcheurs frondeurs à l’Assemblée nationale (p64-65)

Il n’y aura pas de frondeurs. En tout cas, pas dans les nouveaux élus, pas dans ceux qui viennent de la « vraie vie ». Parce que notre « mythe fondateur », c’est Emmanuel Macron : c’est son projet qui nous a amenés jusqu’ici. Et tant qu’il sera notre Président, il saura nous fédérer (...). Si ma théorie est bonne, peu d’entre nous se représenteront. Nous échapperons au syndrome de la politique comme métier. Notre passage à la députation restera un engagement, une étape majeure de notre vie, mais pas notre vie. (...). La prochaine législature sera profondément différente de celle que nous connaissons.

La présence des lobbys (p183)

Sur un sujet concernant les mutuelles, LR, le PS et le PCF proposaient les mêmes amendements. Dans ma naïveté des premiers jours, je pensais qu’ils avaient travaillé ensemble pour imaginer une proposition commune. J’ai bien vite compris qu’ils avaient copié-collé un amendement provenant de je ne sais quel groupe mutualiste. Les mêmes mots, le même exposé des motifs. J’avais été choqué, non pas qu’on reprenne en l’état l’amendement d’un lobby, mais qu’on oublie de mentionner d’où venait cet amendement. (...). Notre tradition d’absence de transparence pour faire « comme si » on avait eu une idée soi-même est visiblement à des années-lumière des exigences citoyennes d’aujourd’hui.

Profanation du cimetière juif de Quatzenheim (p221)

Ce que j’ai vu ce jour-là m’a fait une peine que je ne sais décrire. Voir ces quatre-vingt-seize croix gammées sur notre cimetière, sur nos tombes est d’une violence que je ne pouvais imaginer. À ce moment plus rien n’existe que ces croix, ce cimetière et les regards familiers que je croise et qui partagent cette peine. Je croise le regard du président de la République. Un regard plein d’empathie et de sincérité profonde que je n’oublierai pas. Ce moment est hors du temps. Le Président va dialoguer avec les habitants, je déambule de mon côté. Je lui dis ma tristesse et que j’aurais voulu qu’il découvre mon village à une autre occasion. Il me répond, réconfortant, qu’il sait qu’aujourd’hui, ce n’est pas son vrai visage.

L’avis de Décideurs

Du haut de son perchoir de vice-président du Palais Bourbon Sylvain Waserman est aux premières loges pour observer les travers, mais aussi l’engagement sans faille des députés. Il revient avec émotion sur le quotidien de sa circonscription alsacienne touchée par l’attentat au marché de Noël de Strasbourg en décembre 2018 ou par la profanation du cimetière juif de Quatzenheim, son village, deux mois plus tard. Ce témoignage, loin du « livre programme », permet de vivre la fabrique de la loi de l’intérieur. Il est aussi un véritable plaidoyer en faveur de l’utilité de la politique, de l’engagement citoyen et de la coconstruction des politiques publiques.

Chroniques du perchoir. Confidences d’un vice-président de l’Assemblée nationale, Sylvain Waserman, Armand Colin, 320 pages, 19,90 euros. Sortie le 8 janvier.

Lucas Jakubowicz

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