Élu l’an dernier président de l’Association française des investisseurs institutionnels (AF2i), Jean-François Boulier revient sur les tendances qui ont marqué le paysage institutionnel français en 2018.

Décideurs. Votre association regroupe 82 investisseurs institutionnels. Quelles sont les évolutions qui ont marqué votre année ?

Jean-François Boulier. Il n’y a pas eu de changement de cap sur la stratégie de l’Af2i cette année. Nous avons continué à défendre l’investissement de long terme, tout en intégrant des facteurs extra-financiers dans les politiques de placement.

Le développement s’est essentiellement centré vers les cinq moteurs suivants : la formation et recherche, l’international, l’enquête, la fintech et le numérique, ainsi que la vie associative.

Quelle est votre vision concernant la fintech ?

La fintech et la transformation numérique sont en plein essor. La conséquence en est par exemple des valorisations de Google, ou même d’Amazon, entreprise qui réalise à peine un profit, tout en se trouvant au-dessus de 1 000 milliards de dollars. La fintech touche tout le monde, du consommateur final jusqu’à l’investisseur institutionnel. Son impact prend différentes formes. D’une part, si on ne comprend pas ce phénomène, il est possible de ne pas percevoir une partie des risques et des opportunités à saisir en tant qu’investisseurs.

D’autres part, la fonction d’investissement pourrait être également impactée notamment en matière de blockchain, de cryptomonnaie ou d’intelligence artificielle.

Ainsi, nous avons décidé de nous mobiliser sur le sujet, notamment à travers notre événement qui a eu lieu le 15 octobre dernier, consacré aux invest techs..

Notre idée est de faire venir et s’exprimer les investisseurs institutionnels, car ils peuvent contribuer à la maturation du secteur, aider la fintech à faire aboutir son produit, certainement pas sur les aspects numériques, mais davantage sur la pertinence des applications, par exemple des méthodes d’allocation, ou des traitements opérationnels.

Quel est le rôle de l’AF2i dans le cadre du rapprochement entre fintech et investisseurs ?

Nous souhaitons être en mesure d’interagir de façon plus directe auprès de la fintech pour accélérer la maturation et l’adoption de ses services par la communauté des investisseurs. C’est un projet qui va prendre du temps et dans lequel il nous faudra être sélectifs. Travailler avec l’AF2i pourra pour la fintech, leur permettre de mieux appréhender le métier d’investissement dans sa diversité, qui s’exprime de façon naturelle dans l’association. Nous sommes convaincus d’avoir un rôle intéressant à participer à l’émergence du secteur. La fintech ne représentait pas un thème majeur il y a deux ou trois ans. Aujourd’hui, c’est un sujet avec une dimension générationnelle. Il y a une aisance et une acculturation technologique très forte dans les générations plus jeunes. Nous tentons, en tant qu’association, de faire en sorte que cette sensibilité soit bien exprimée.

Comment la France se positionne-t-elle sur ce marché ?

On avait l’impression que la place de Paris était en avance mais ce n’est pas le cas. À titre d’exemple, la France représente, selon le Pôle Innovation, le quatorzième marché du monde, alors qu’en comparaison nous sommes le quatrième marché en termes d’investissement institutionnel. Pas de complaisance donc.

Je comprends que l’on ait beaucoup d’idées sur le marché français, cependant les spécialistes constatent une difficulté symétrique à transformer ces idées en entreprises viables. Comment sortir de ce que le secteur du private equity appelle le « désert de la mort », c’est-à-dire le moment ou l’entreprise n’a ni profits ni clients ? C’est lors de cette période de démarrage que les investisseurs institutionnels pourraient apporter leur aide. Sans sur-représenter ce que l’investisseur peut faire, son impact sur le marché pourrait bien être conséquent.

Vous expliquiez que l’un des objectifs de l’Af2i était de développer votre travail de référencement des pratiques au sein du monde institutionnel.

Notre enquête représente pour la communauté un moment important à de nombreux titres. Désormais entièrement online, elle permet aux membres d’obtenir les références du secteur par rapport aux années précédentes. En 2018, le premier élément qui ressort est la stabilité. Cela est assez caractéristique de l’investissement institutionnel en France. Le second élément notable est la baisse de la part d’investissements en obligation, qui passe de 73 % à 72 %. On relève ensuite une légère hausse des investissements dans l’immobilier qui monte de 5 % à 5,75 %. On assiste par ailleurs, assez logiquement, à une augmentation des appétits pour les prêts en direct. De manière plus surprenante, on observe un statu quo en ce qui concerne le private equity. En effet, les flux nets pour les investisseurs institutionnel sont quasi nuls sur cette classe d’actifs.

Concernant la partie obligataire, comment expliquez-vous la baisse des investissements de vos membres ?

Le premier changement réside dans la baisse des maturités moyennes qui ont chuté d’environ 10 %. Ce n’est pas homogène concernant les maturités mais la duration a baissé d’environ 10%. On pourrait considérer que cela ne représente pas un mouvement très important, néanmoins il convient de prendre en compte le volume traité par les acteurs institutionnels. Un autre facteur est intéressant à mrettre en avant : le cash a baissé dans les portefeuilles. Cela n’est pas très étonnant au regard des taux négatifs que l’on a pu observer ces derniers mois.

Les critères ESG font partie intégrante de l’écosystème global. Qu’avez-vous pu observer dans le paysage des investisseurs institutionnels ?

En effet, c’est une tendance extrêmement forte. L’année dernière, la moitié des membres disait incorporer des critères extra-financiers dans sa politique de gestion. Ce chiffre est désormais de 60 %, ce dont nous nous satisfaisons. 30% d’entre eux déclarent vouloir continuer à analyser le périmètre sur lequel ils intègrent les critères ESG. Ce sont donc environ 90 % des investisseurs institutionnels qui se préoccupent de l’intégration de critères ESG dans leurs portefeuilles. Le message est absolument clair sur le sujet.

Quelle tendance observez-vous concernant la délégation de gestion ?

Une tendance se précise, notamment vis-à-vis des asset managers. Nous avions un courant d’augmentation de la délégation qui s’est inversé cette année. Le taux de délégation a baissé par rapport à ’année dernière. La tendance était à l’augmentation depuis plusieurs années, aujourd’hui nous sommes revenus presque trois ans en arrière. Le phénomène porte essentiellement sur la partie obligataire. Une de nos interprétations renvoie à la mise en oeuvre de Solvabilité II. Les investisseurs institutionnels ont besoin de mieux maîtriser la partie obligataire, prépondérante dans les portefeuilles.

Propos recueillis par Yacine Kadri

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