Avec l’avènement du digital, les efforts de communication n’ont jamais été aussi soutenus. Encore faut-il en avoir le savoir-faire. Laboratoires, établissements médico-sociaux, hôpitaux et leurs soignants sont au pieds du mur : communiquer ou subir la digitalisation.

Réseaux sociaux, pages en ligne et e-réputation deviennent autant d’atouts pour les acteurs. Les établissements, comme leurs soignants, se saisissent de leur potentiel de communication. Avec la libéralisation de la communication des médecins, l’ensemble du secteur de la santé vit un moment charnière. Le digital omniprésent crée de nouveaux modes d’interaction. Au cœur de cette impulsion : le patient.

Transformation culturelle portée par le digital

Si la santé a toujours été un secteur à part, ses usagers, les patients, exigent qu’il se modernise. Qui souhaiterait revenir aux délais d’attente téléphonique pour caler un rendez-vous ? Voire, pour certains, de consulter plutôt que d’établir un autodiagnostic avec Google ? Ce besoin d’instantanéité se ressent de plus en plus. Benjamin Azogui, directeur communication et impact de l’Anap (Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale), invoque la "pression du numérique" exercée sur les entités du secteur de la santé. "Autant que le traitement, la fluidification de l’information rentre dans l’appréciation du service rendu au patient."Le patient devient tour à tour, un consommateur à la recherche d’une information instantanée, un usager qui attend une expérience sans couture

Le patient devient tour à tour, un consommateur à la recherche d’une information instantanée, un usager qui attend une expérience sans couture

Tout au long du parcours de soins, le patient devient tour à tour, un consommateur à la recherche d’une information instantanée, un usager qui attend une expérience sans couture avec des rappels par textos la veille de rendez-vous, jusqu’à s’improviser influenceur lorsqu’il donne son avis. Pour Jean-Pierre Nordmann, désormais "une belle plaque" s’apparente aussi à une belle "vitrine digitale", d’où sa création de SantePrem, une start-up qui, entre autres, met en lumière les expertises médicales de soignants. Prendre en main sa communication digitale constitue la suite logique de la recommandation entre confrères.

Patient et usager

À la manière de consommateurs éclairés, les patients appellent de leurs vœux cet accès continu à l’information de confiance. Une exigence qui pousse les professionnels du secteur à s’adapter. Le changement de statu quo est appuyé par Charles Van Labeke, CEO de l’agence de communication Havas Health & You : "Le parcours patient gagnerait à être lissé selon les même codes que le parcours utilisateur." Lui qui a vécu plus d’une décennie en Asie, dont Hong Kong, met en lumière un fonctionnement plus fluide. "L’interaction online et offline se complètent tout au long du parcours patient." Celui-ci commence dans le digital, dès la prise de rendez-vous via une plateforme numérique. Un parcours qui continue bien après l’échange en présentiel, avec des questionnaires de satisfaction notamment.

Le groupe d’hôpitaux et cliniques privés Elsan estime que l’expérience patient doit être simple et accessible, de la prise de rendez-vous jusqu’au retour à domicile. Le digital constitue un des moyens pour améliorer l’expérience patient. Par le biais de questionnaires de satisfaction e-Satis de la HAS (Haute autorité de santé), l’acteur privé analyse les retours de patients à leur sortie de l’hôpital. "L’expérience de nos patients est très importante pour nous", explique Pénélope de Fouquières, directrice de la communication du groupe Elsan. "Par l’analyse de commentaires, l’objectif est, avec les équipes soignantes, médicales et administratives de nous améliorer sur le résultat clinique, le ressenti et le vécu de nos patients, afin que leur expérience dans nos hôpitaux privés, mais aussi avant et après l’hospitalisation soit les meilleurs possible."

Communication sonnante et trébuchante

"L’interaction avec le patient devient une attente et un cycle vertueux", précise Benjamin Chevrier, CIO d’Havas Health & You. "Par opposition à une logique monopolistique, l’ouverture de la communication poussera les acteurs à faire plus attention." Cette interaction avec le patient influe de plus en plus sur sa perception des praticiens. Selon le cofondateur de SantePrem, Jean-Pierre Nordmann : "La réputation constitue un capital intangible qu'il s'agit de maîtriser et de cultiver". À ce titre, l’e-réputation a une valeur au même titre que la vente de patientèle. 

"L’ouverture de la communication poussera les acteurs à faire plus attention"

Cette gestion de la communication digitale se met en place à différentes vitesses. Si le secteur pharmaceutique et ses laboratoires sont déjà avancés sur le sujet, les établissements hospitaliers, et les soignants en particulier, n’en sont pas au même stade. Ces derniers peuvent se sentir livrés à eux-mêmes, ils ne sont pas moins motivés. Elsan regroupe quelque 140 établissements au sein desquels 28 000 soignants prennent en charge chaque année plus de 4,2 millions de patients. Pour Pénélope de Fouquières, "Les 7 500 médecins libéraux qui pratiquent dans nos établissements sont des partenaires indépendants car ils sont libéraux et donc pas salariés". Dans le groupement hospitalier, deux tiers des médecins demandent à être accompagnés sur leur communication et participent aux formations dédiées. Comment profiter au mieux de sa fiche Google ? Et de celle sur Doctolib ? Quid du référencement naturel ? "La communication a un véritable budget qui peut évoluer en fonction des enjeux et des résultats", explicite Pénélope de Fouquières. 

Toute la vérité, en moins de cinquante secondes

Le secteur de la santé n’est pas épargné dans cette "guerre des contenus," confie Benjamin Azogui, "surtout celle de l’attentionL’Anap a largement modernisé et resserré le format de ses publications." Les contenus écrits ou vidéo se font de plus en plus concis. "La publication de l’Anap, la plus téléchargée en 2022, par près de 4 000 utilisateurs, est l’affiche "Dix actions gagnantes pour réduire durablement votre consommation d’énergie" ". D’où la difficulté pour certains professionnels de franchir le pas. D’une part, il s’agit d’élaborer une communication qui soit acceptable pour l’ensemble des professionnels. D’autre part, il faut alléger le plus possible le processus de communication. Une nécessité pour les soignants qui manquent déjà de temps à consacrer à leurs patients, et l’opportunité de créer plus de contenus qui restituent le quotidien du professionnel. Pour Jean-Pierre Nordmann, montrer le professionnel en situation dans le milieu médical illustre au mieux son expertise. C’est bien ce "vrai" que recherchent les patients confirment aussi bien Charles Van Lambeke que Pénélope de Fouquières.

En plus de levier dans le recrutement de patientèle, la communication des établissements devient aussi celui du recrutement de soignants. Lors d’une simulation du Tour de France, Elsan a lancé un Clap Clap Tour 2021, une tournée nationale de recrutement dans vingt-quatre établissements du groupement hospitalier. Dans divers vidéos courtes au format "snack-content", les soignants partageaient la réalité de leur quotidien. En a résulté l’engagement de 900 000 personnes qui ont suivi la campagne vidéo, mais également celui des soignants d’Elsan. "Les soignants sont les meilleurs ambassadeurs de leur emploi et de leur établissement de santé et potentiellement de notre groupe."

Le storytelling de proximité

Charles Van Labeke ajoute que "le pouvoir des histoires est sous-estimé. Au sein de l’industrie pharma, chaque médicament mériterait une histoire." Cette proximité avec les marques surpasse le cadre médical, pour s’intégrer dans le quotidien ou les grands événements. "Le partenariat de Sanofi avec les Jeux Olympiques 2024 est la preuve que les acteurs de la santé ont un pouvoir de storytelling, dont le sens dépasse celui du parcours de soins", ajoute le CEO d’Havas Health & You. Les campagnes de communication tentent moins de redorer le blason d’un établissement que d’humaniser et mettre en lumière ses valeurs.

Le système de santé tend vers de nouveaux types d’expériences hybrides au plus près du patient-usager. Posts, sondages, notation des praticiens et établissements… tous formats de ces retours d’expériences ont leurs retombées dans le réel. Les influenceurs, et parmi eux les patients-experts, pourraient faire bouger les lignes. Si les moyens de se différencier sont variés, une chose est sûre : la communication n’attend pas. Déjà en Inde et en Chine avec WeChat, une même application permet de lister des symptômes, de caler une téléconsultation dans les 24h, puis d’accéder au traitement. Si le one-stop-shop hospitalier dans les métavers se conçoit, il n’exclura jamais les interactions de vive voix.

 Alexandra Bui

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