Presque un an après avoir annoncé une série D de 486 millions d’euros, Alexandre Prot, cofondateur et CEO de Qonto, revient sur cette levée de fonds record. Laquelle, selon lui, n’aurait probablement pas eu lieu à des conditions aussi favorables aujourd’hui.

Décideurs. Comment avez-vous vécu cette levée de fonds record ? 

Alexandre Prot. Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que le contexte actuel est un peu différent de celui où nous avons dévoilé notre levée de fonds. Les annonces de licornes se font plus rares, la guerre en Ukraine et, semble-t-il, le retour de la Covid incitent à la prudence. Mais cette série D a marqué une étape importante dans la construction de Qonto. Nous avons réussi à atteindre une croissance satisfaisante, à conquérir des clients et à donner envie à des investisseurs du monde entier d’investir dans notre entreprise. C’est une grande satisfaction car, en plus de l’argent, ils nous apportent des connaissances et leurs réseaux. Par exemple, Exor nous aide en Italie quand d’autres sont des experts de la fintech disposant de connaissances réglementaires ou ont l’habitude d’assister des entreprises à des stades avancés.

De quelle manière avez-vous travaillé sur cette opération ? 

Nous avons tout fait en interne, sauf la partie juridique sur laquelle nous avons été accompagnés par un cabinet d’avocats même si nous également beaucoup travaillé dessus. En tout, la levée de fonds a mobilisé une dizaine de personnes chez nous. Cela a un peu commencé au lendemain de notre série C, en 2020. À l’époque, nous avions en tête que nous devrions avoir à relever des fonds environ 18 mois plus tard, c’est-à-dire à partir du moment où nous aurions atteint certains objectifs financiers et d’expansion. On a bien tenu nos promesses et 18 mois plus tard nous avons préparé cette série D. Durant l’été 2021, nous avons bien formaté nos fichiers Excel, élaboré des présentations sur Qonto, ses produits, ses services, ce qu’aiment ses clients avant d’annoncer à une quinzaine d’investisseurs internationaux qu’on ouvrait le processus. Nous leur avons donné accès à une data room électronique et à un mini site qui répondait à une centaine de questions sur l’entreprise (gestion de la fraude, politique d’attractivité des talents, plan d’expansion, etc.). En novembre, nous recevions plusieurs offres. Nous avons examiné les conditions financières mais aussi ce que les investisseurs pouvaient nous apporter au-delà de l’argent et fait jouer la concurrence. À la fin, nous avons retenu sept offres co-leadées par Tiger Global et TCV auxquelles se sont ajoutées celles de nos investisseurs historiques.

Pensez-vous que si vous aviez voulu lever ces fonds aujourd’hui, les montants auraient été les mêmes ? 

Probablement pas. Les levées dépendent de deux choses : la qualité intrinsèque de l’entreprise et de son business mais aussi, et de manière significative, le contexte, l’humeur des investisseurs et du marché. Nous sommes loin d’être au niveau des Gafa mais leurs valorisations ont beaucoup baissé ces dix derniers mois. Les investisseurs dans la tech sont plus regardants, voire plus précautionneux et frileux aujourd’hui. Si nous avions dû mener notre levée de fonds aujourd’hui, nous l’aurions peut-être fait dans des conditions moins avantageuses pour nous. Toutefois, depuis notre dernier tour de table, nous avons grandi et sommes très à l’aise avec cette série D. Nous disposons des moyens de nous développer et nous ne voyons pas la nécessité de lever des fonds à court ou moyen terme. La question se reposera dans quelques années.

"Pour le public, parler uniquement de valorisations et de montants mirobolants peut provoquer, à juste titre, de l’incompréhension"

Depuis quelques mois, certains annoncent la fin de l’âge d’or de la Silicon Valley. Partagez-vous cette analyse ? En tirez-vous des enseignements pour votre propre business ? 

Je ne sais pas si la Silicon Valley n’est plus dans son âge d’or. Elle reste l’endroit où il y a le plus d’innovations. On a peut-être été un peu trop dans l’excès. On entendait auparavant que les licornes constituaient la panacée. Maintenant, on brûle ce que l’on a adoré. La vérité se trouve sûrement au milieu. Pour le public, parler uniquement de valorisations et de montants mirobolants peut provoquer, à juste titre, de l’incompréhension. Surtout lorsque les entreprises sont très récentes et pas encore rentables alors que des groupes industriels très connus affichent des valorisations relativement faibles. Les gens n’ont pas toujours en tête que les investisseurs prennent des risques lorsqu’ils valorisent une start-up plusieurs centaines de millions d’euros. Lors de notre dernier tour de financement, nous avons été valorisés 4,4 milliards d’euros. Mais nous n’avons pas les yeux rivés sur ce montant. Nous sommes contents de ce qu’il nous permet d’accomplir et de ce que nous serons bientôt rentables. Mais, à l’heure du changement climatique ou de la guerre en Ukraine nous devons prendre nos responsabilités. Il nous faut être de bons citoyens, pas juste de bons leveurs de fonds.

De quelle façon ? 

Nous avons travaillé sur la partie inclusion et diversité avant même de devenir une licorne. Nous sommes passé de 34 % de femmes dans nos équipes en 2020 à 44 % en 2022, y compris dans nos métiers tech. Un autre point important dans le contexte de guerre et alors que l’hiver arrive : la partie environnementale. Nous avons lancé des initiatives pour calculer notre empreinte carbone. Conserver l’historique de 300 000 clients nécessite des serveurs. Il nous faut travailler sur notre architecture technique qui, mal gérée, peut consommer du simple au triple. Réduire notre consommation au maximum s’avère bon pour l’environnement et pour notre portefeuille. Mais notre impact le plus visible reste la raison d’être de Qonto, à savoir simplifier la vie des créateurs d’entreprise. Les PME qui utilisent notre service déclarent gagner en moyenne deux heures de temps par semaine dans leur gestion administrative. Elles font également des économies financières. Nous sommes accessibles 24h/24h 7j/7, que vous soyez en ville ou dans une petite commune. C’est là toute notre contribution à la société et à l’économie européenne.

"Nous pourrions lancer de nouveaux rachats quand nous serons prêts"

Comment comptez-vous conquérir un million de clients d’ici à 2025 ? 

Nous enrichissons au quotidien notre produit. Nous avons, par exemple, lancé il y a quelques mois un outil de facturation, qui permet aux clients d’émettre des factures. Nous avons aussi ouvert un centre dédié uniquement au service client à Barcelone. Ces nouvelles briques que nous ajoutons les unes après les autres permettent à des entreprises de taille importante d’utiliser Qonto. Nous menons aussi des actions pour nous faire connaître. Peut-être avez-vous vu nos publicités dans le métro ou les avez-vous entendues à la radio ? Nous assistons et sponsorisons des événements en lien avec l’entrepreneuriat. Nous allons également poursuivre notre expansion européenne, que ce soit en redoublant d’efforts sur nos marchés actuels (la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne qui sont les plus importants du continent) voire dans d’autres pays. Nous comptons également sur les recommandations de nos clients, qui sont un levier très précieux.

Cet été, vous avez racheté votre concurrent allemand Penta. Il s’agit là de votre première acquisition. Y en aura-t-il d’autres ? 

Nous allons consacrer les prochains mois à digérer cette opération. Nous venons de déjeuner, il convient d’attendre un peu avant de dîner. Mais il pourrait y avoir d’autres rachats quand on sera prêt, quand on aura intégré les 200 personnes de Penta et que nos équipes auront un peu de bande passante. Nous pourrons nous intéresser à des sociétés qui proposent soit un produit similaire au nôtre, comme Penta, soit un produit connexe qui offrirait un service important pour nos clients, comme l’outil de facturation lancé un peu plus tôt. Des partenariats sont également envisageables. Par exemple, nous nous sommes associés à la plateforme de prêts aux PME October afin de proposer en France et en Italie des crédits de 15 000 à 30 000 euros sur 24 mois. Il s’agit d’un très bon partenariat mais qui pose des conditions strictes et ne répond pas à tous les besoins de nos clients, par exemple des besoins en financement plus ou moins importants. Nous pourrions étoffer ces offres.

Le gouvernement souhaite pousser les introductions en Bourse des tech. Êtes-vous tenté par une IPO ? 

Il ne faut jamais dire jamais mais ce n’est pas du tout notre priorité pour les prochaines années ! Nous avons des objectifs ambitieux annoncés pour 2025, par exemple d’atteindre le seuil de 1 million de clients TPE-PME à travers l’Europe. Mais ce qui est le plus important pour nous aujourd’hui, c’est de nous concentrer sur l’année prochaine.

Propos recueillis par Olivia Vignaud 

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