La tech est désormais partout : il y a quelques jours, Ankorstore (place de marché pour marques et créateurs), Qonto (services financiers) et Back Market (reconditionnement) ont levé en seulement 72 heures plus de 1,1 milliard d'euros, soit l’équivalent de toutes les levées en 2015.

Disons-le clairement : la tech a pénétré tous les pans de l’économie (énergie, transport, tourisme, agriculture, services financiers, etc.). Aucun exécutif auparavant n’avait autant poussé l’écosystème des startups à se structurer : définir des objectifs chiffrés en vue de suivre l’évolution (nombre de licornes), l’attractivité (montant levés, valorisations) et la performance (création nette d’emplois) de ces sociétés était impératif. En termes de communication, il s’agissait aussi d’un formidable levier pour le gouvernement.

Il faut maintenant passer la seconde. A mouvement structurel, réponse structurelle : au-delà du digital, nous devons penser et piloter la technologie de façon globale pour réussir la 4e révolution industrielle.

Cela peut passer par la nomination d’un Chief Technology Officer à l’échelle nationale, avec trois objectifs majeurs. Le premier serait d’accélérer la tech-isation de sujets quotidiens : comment s’assurer que nos collégiens et lycéens puissent coder en masse, que nos jeunes actifs comprennent l’intérêt de la gestion de leurs données numériques, ou que nos séniors soient formés aux outils digitaux, notamment en matière de santé et de dépendance ?

Le deuxième objectif doit être de développer nos deeptech, ces technologies, complexes, et issues de plusieurs années de recherche en laboratoire qui ont vocation à provoquer une rupture massive dans nos modes de vie et de production. Car là ou notre époque laisse la part belle à l’applicatif et à une économie dite "de plateforme", les grandes innovations du XXIIe siècle reposeront sur des sociétés à fortes intensités technologique et industrielle. C’est une opportunité qu’il convient de saisir : d’abord parce que nous disposons d’un terreau fertile en France et en Europe (Ynsect dans la consommation, Valneva dans la santé, Aledia dans la micro-électronique ou Symbio dans l’hydrogène pour ne citer qu’eux), ensuite parce que la réindustrialisation par la technologie nous permettra d’exporter plus (et donc de rééquilibrer notre balance commerciale), et cela participera, enfin, à la reconquête de notre souveraineté dans de nombreux secteurs critiques (spatial, chimie, électronique, énergie, défense).

"Le "CTO" aurait, par exemple, la charge de refondre notre politique d’investissements directs"

En ce sens, le plan France 2030 est une avancée significative, et le fait d’être coordonné par Bruno Bonnell, expert de la robotique envoie un signal positif. Mais il si l’on souhaite l’émergence de nouveaux géants mondiaux, il faut être plus ambitieux encore.

Le "CTO" aurait, par exemple, la charge de refondre notre politique d’investissements directs (via la BPI, considérant que son rôle sur l’amorçage a été un succès mais qu’elle perd en efficacité dans les sociétés déjà matures) de manière à mieux flécher les liquidités vers des fonds "deeptech" spécialisés, rompus à l’accompagnement de l’hypercroissance commerciale et technologique. Dans la même veine, il est prioritaire d’encourager les chercheurs à faire de l’entreprenariat leur voie privilégiée, sans avoir à partir dans la Silicon Valley, ou encore d’assurer la simplification de l’accueil des talents étrangers aux compétences technologiques affirmées (l’European Tech Visa poussé par France Digitale et Scale-Up Europe est intéressant).

Enfin, on pourrait imaginer un troisième objectif intégrant une dimension de conseil et de consultation vis-à-vis des organes de régulation. La course aux licornes dans laquelle nous sommes engagés aux côtés d’autres puissances (USA, Chine, Royaume-Uni, Allemagne, Israël en particulier) va donner naissance à de grands champions : Back Market est né en 2014 et vaut déjà 4 fois plus que FNAC-Darty. Exotec, implantée à Lille, dynamite la logistique et va changer le visage du e-commerce dans le monde.

"L’idée n’est pas ici de donner naissance à un nouveau régulateur (nous en avons déjà beaucoup trop)"

Facilement "scalables" ou basées sur une forte propriété intellectuelle, et bien aidées par les capitaux massifs de leurs investisseurs, ces entreprises sont tentées très tôt par une croissance externe agressive afin d’atteindre rapidement une taille critique. Comment les pouvoirs publics appréhenderont-ils leur consolidation ? Projetons-nous à horizon 5-10 ans : ne serait-ce pas utile de pouvoir compter sur un "commando" d’experts capable d’analyser les conséquences d’un rapprochement entre Klarna et Revolut dans les paiements, Spotify et Deezer dans la musique ou Uber et Bolt dans la mobilité par exemple ?

C’est toute la complexité de la réflexion du moment de l’Autorité de la concurrence, qui s’attelle à l’analyse du marché pertinent dans le cadre de la fusion TF1-M6, et de façon sous-jacente à la place des technologies digitales dans le secteur publicitaire. L’idée n’est pas ici de donner naissance à un nouveau régulateur (nous en avons déjà beaucoup trop). Le véritable enjeu, c’est de pouvoir s’appuyer dès à présent sur un Chief Technology Officer, catalyseur d’une vision à long-terme de la technologie et de ses implications dans le new normal de demain.

Tribune signée par Charlotte Bourgeois-Cleary, Associée et Florian Ridard, Consultant senior chez VAE SOLIS

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