Fondée en 2004, Prévention & Retournement regroupe les professionnels des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la question du restructuring. Bernard Valla, son Président, et Paolo Zoppi, son vice-président, membre fondateur, nous racontent les enjeux actuels et les mesures mises en place.

Décideurs. Dans un premier temps, pourriez-vous présenter votre association ? 

Bernard Valla. L’association est un lieu de rencontre entre les professionnels du restructuring, qui offre la possibilité de discuter de nos pratiques et des diverses problématiques rencontrées sur le terrain. Les profils de nos 140 membres sont multiples, répartis entre Marseille et Lyon, ce qui nous apporte un ancrage régional et la perspective d’appréhender une réalité différente de celle de la place parisienne. La crise sanitaire a accéléré notre volonté de participer à l’effort national : nos actions sont désormais orientées vers des exercices de pédagogie et de compréhension des différents mécanismes de traitement d’une crise, pour lesquels nous avons d’ailleurs été régulièrement sollicités par les pouvoirs publics, pour aider les entreprises. Avant cette pandémie, les questions de restructuration n’intéressaient que ceux qui y étaient confrontés. Nous sommes désormais attendus sur des sujets bien plus vastes, qui nous interrogent sur la compréhension de nos métiers. 

La crise sanitaire et le premier confinement ont lourdement affecté les entreprises. De nombreuses mesures gouvernementales ont été mises en place pour soutenir leurs trésoreries, qu’en pensez-vous ? 

Paolo Zoppi. Deux types de mesures sont à considérer. Celles à fonds perdus pour l’État et l’économie en général car non remboursables, qui ne créent pas de dettes pour les sociétés, telles que le chômage partiel, et qui représentent un coût de 15 milliards d’euros par mois de confinement. D’autres mesures, telles que le report d’URSAFF, le PGE, sont une aide destinée à alléger les trésoreries pour que les entreprises passent ce cap difficile. Mais celles-ci, qui amènent une panoplie impressionnante de reports et de soutien, créent donc une sorte de mur de dettes à terme pour les sociétés.  

B. V. Tous ces dispositifs sont exceptionnels et ont été mis en œuvre en un temps record dans un esprit, en quelque sorte, d’expérimentation. Si l’aide marche, tant mieux, elle sera adaptée, si elle ne marche pas, on l’oubliera. Toutefois, quand la situation s’améliorera, il faudra être très attentifs aux mesures à garder. Il n’y a pas que du temporaire dans ces dispositifs, du moins je l’espère. En tout état de cause, je pense que nous militerons pour cela.  

Quel bilan faites-vous ?  

B. V. Trois types de cas se profilent : pour les entreprises pour lesquelles l’impact aura été très limité, les actions ne seront pas si compliquées. Ensuite, viennent les sociétés qui vont avoir des trous de trésorerie mais qui auront toujours de l’activité. Il leur faudra du cash pour se relancer. C’est là que l’État doit intervenir, c’est son rôle et c’est celui qu’il s’est donné. Enfin, il y a les entreprises qui devront réinventer leur modèle économique, comme le secteur du tourisme. Ce sera plus difficile car elles nécessitent des soutiens longs avec des enjeux sociaux et une prise de risque bien plus grands. Aussi, il faut prendre en note que la situation est différente en fonction du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, et de son emplacement géographique. Il n’y a donc pas de remède miracle, c’est un travail d’orfèvre de trouver une solution sur mesure à chaque cas.  

"Ces transformations ne peuvent pas se réaliser sans recours aux procédures amiables et judiciaires" B. Valla

Quelles sont vos propositions pour améliorer et assouplir le financement PGE ?  

P. Z. L’État a déjà étendu la période pour faire appel aux PGE jusqu’au 30 juin 2021. Ne faut-il pas l’étendre jusqu’au 31 décembre 2021 ? De même, faut-il l’augmenter de 25 % à 33 % du chiffre d’affaires au regard du second confinement ? Parallèlement, nous trouvons la durée de remboursement du capital, trop courte. Un an de différé et cinq ans d’amortissement, cela fait 5 % du chiffre d’affaires à rembourser par an. C’est énorme par rapport aux capacités réelles et actuelles des entreprises. Depuis, Bruxelles a décidé d’un délai de 6 ans. Mais avec la loi récente, le PGE est porté d’un an de différé à deux ans, ce qui amplifie le problème, puisqu’on remboursera les 25 % du PGE sur quatre annuités. Avec cette nouvelle loi, ne faudrait-il pas porter le PGE sur des durées de remboursement beaucoup plus longues ? Ensuite, pour les PME et les ETI, il faudrait que celles-ci puissent transformer une partie du PGE en prêts participatifs simplifiés sur une durée qui irait de huit à dix ans pour faire face à la réalité des aptitudes des sociétés à rembourser la dette. Par rapport à ce soutien massif, une des propositions de notre commission finance, c’est aussi un accompagnement très soutenu, notamment de l’État, pour les assureurs crédits, car aujourd’hui les crédits interentreprises sont beaucoup plus importants que le crédit bancaire, en faveur des sociétés. 

B. V. On peut imaginer qu’une ligne du PGE soit mise "à la disposition" des tribunaux de commerce, qui ont l’expérience suffisante pour faire le tri, sélectionner et contrôler les entreprises qui auront besoin d’aide pour redémarrer après la crise, en sortie de procédure. C’est là que les choses se joueront. Dans une affaire en difficulté, on ne peut rien construire sans cash or le jour où il n’y en a plus, vous ne pouvez plus rien faire. C’est alors qu’il faudra trouver un dispositif qui, à travers la procédure amiable ou judiciaire, annulera la dette. Enfin, il est nécessaire de penser des mécanismes pour les sociétés qui n’ont défailli qu’à cause du Covid afin de leur attribuer des fonds pour qu’elles redémarrent.   

Avez-vous des propositions concernant d’autres mesures ? 

B. V. La loi a ouvert un peu plus la possibilité aux dirigeants de se porter acquéreur de leur propre entreprise afin de nettoyer les dettes dans le cadre de procédures judiciaires. À cause de divers débats médiatiques, le prolongement de certaines mesures temporaires ne comprend pas celle-ci, qui s’arrête au 31 décembre 2020. Et ce, alors que ce sont surtout les petites structures qui en auraient bénéficié, sous le contrôle des tribunaux qui déterminent le cadre dans lequel cette mesure est appliquée ou pas. Il aurait été profitable au tissu économique de prolonger cette mesure. De nombreux secteurs comme le retail ont déposé le bilan et sont en mutation profonde. Ces transformations à opérer ne peuvent pas toujours se réaliser sans le recours aux procédures judiciaires.  

Enfin, s’il n’y avait qu’un unique conseil à donner aux entreprises aujourd’hui, quel serait-il ?  

P. Z. Le principal conseil est de bien gérer sa trésorerie au moment de la reprise d’activité. Toutes les mesures sont là pour en faciliter la gestion. Pour les PME et TPE, la difficulté du rebond sera plus délicate et nécessitera de leur part une meilleure gestion de la trésorerie, peut-être avec l’appui des tribunaux de commerce qui pourront aider à ce redémarrage. Il faut aussi savoir s’adapter, ce dont a fait preuve le gouvernement.  

B. V. Il faut imaginer les remèdes essentiels car nous sommes à un moment où tout est possible, envisageable et discutable. Des évolutions ont été constatées depuis six mois, qui n’avaient jamais été vues auparavant. Aussi, Il est nécessaire de croire aux échanges avec les professionnels et de ne pas hésiter. Nous n’avons pas la recette miracle mais nous avons l’expérience de l’accompagnement des entreprises en situation de crise. Il faut continuer d’y croire. Collectivement, nous allons trouver des solutions.   

NB : Bernard Valla et Paolo Zoppi sont les rapporteurs de la "Commission finance" de l’association Prévention & Retournement et relaient, au travers de leurs propos, les travaux de l’ensemble de la Commission composée également de Patrick Chianalino, Floraine Baritel, Bernard Cotte, Thierry Crassard, Eric Etienne-Martin, Claudia Fernandes. 

Propos recueillis par Agathe Giraud 

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