Avec un peu de retard sur d’autres démocraties, la France met l’accent sur les applications de tracking pour lutter contre le Coronavirus. Logiquement, certaines craintes sont perceptibles dans la population et la classe politique. Pour Julie Jacob, avocate spécialisée dans les nouvelles technologies, elles sont compréhensibles mais infondées.

Décideurs. Israël, Taïwan, Corée du sud, Allemagne… Plusieurs démocraties misent sur les applis pour combattre le Covid-19. Quelle est leur efficacité réelle ?

Julie Jacob. Ces pays ont réussi à limiter la propagation du virus et les applications y sont pour quelque chose. Elles permettent d’identifier les malades à proximité, de limiter la contagion, de circonscrire l’épidémie. Les gouvernements ont expliqué clairement à quoi elles servaient, tout en insistant sur leur caractère anonyme, facultatif et provisoire. Résultat, elles ont été massivement téléchargées et ont aidé à la gestion de la crise sanitaire. En Israël le nombre de morts est de 140, à Taïwan, il est seulement de six. Même l’Allemagne qui accorde une grande importance aux libertés individuelles a lancé son application nommée Corona Datenspende. Statistiquement, les pays les plus en avance en matière d’applications sont ceux qui comptent le moins de victimes.

Attention toutefois à ne pas tout miser sur les nouvelles technologies qui, pour être efficaces, doivent être combinées avec une politique sanitaire efficace. Les pays évoqués sont certes en pointe en matière d’applications. Mais ils le sont également dans le domaine des tests, de l’équipement en masques…  

"Les pays les plus en avance en matière d'applications sont ceux qui comptent le moins de victimes"

Lors de son discours du 13 avril, Emmanuel Macron a indiqué que la France était en train de concevoir une politique publique de tracking et que le Parlement serait consulté. Or, aucun vote n’est à l’ordre du jour… Comment expliquer cette situation ?

S'il y a un vote, celui-ci sera positif puisque le gouvernement possède la majorité absolue. Mais, au sein de LREM, certains députés sont opposés au tracking. D’autres estiment qu’il faut accélérer sur la question. Un vote pourrait fracturer la majorité dans une période où l’union nationale doit primer.

Sur le fond, faire voter les parlementaires ne permettra pas forcément de mieux protéger les données personnelles. La législation est déjà bien encadrée. Le RGPD s’applique au droit français et offre suffisamment de garanties en matière de protection des libertés publiques. Soulignons que la Cnil et l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) sont également associées à l’élaboration de Stop Covid. Les parlementaires peuvent soulever les points les plus préoccupants en commission. Je ne vois pas de déni de démocratie.

Comment expliquez-vous cette méfiance envers le tracking ?

Le terme fait peur ; il fait penser à la surveillance généralisée, à la série Black Mirror. D’où une certaine méfiance que je conçois tout à fait. Mais la réalité, c’est que nous sommes déjà trackés par des applications. Waze ou Tinder, pour ne citer qu’elles, sont au courant de notre localisation, de nos goûts et de certains aspects de notre intimité. Les protestations contre ces outils sont faibles. Pourtant, Stop Covid est bien plus respectueux des libertés individuelles qu’une appli de rencontres… En somme, elle peut sauver des vies, tout en étant plus éthique que certaines applications que nous sommes amenés à télécharger sans réfléchir… Ces applis, si elles sont bien utilisées, permettent de limiter la propagation de l’épidémie à un cluster contrôlé. Elles sont selon moi indispensables à la réussite du déconfinement.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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