Auteur de la biographie de Mikhaïl Gorbatchev, Bernard Lecomte revient sur l’héritage du dernier dirigeant de l’URSS.

Décideurs. À quel moment Mikhaïl Gorbatchev a-t-il perdu le contrôle de la situation en URSS ?

Bernard Lecomte. Il est très dur de répondre précisément à la question puisque la chute de l’empire soviétique s’est faite très rapidement et a surpris les contemporains. Elle est liée à plusieurs facteurs. Le fait de ne pas avoir utilisé la force lors des premières contestations nationalistes ou d’avoir mis fin à la doctrine de souveraineté limitée a encouragé les velléités indépendantistes, notamment des Russes. Il ne faut pas oublier que c’est le nationalisme russe incarné par Boris Eltsine qui a achevé la décomposition de l’URSS. La fin du parti unique a également accéléré le processus en encourageant de multiples forces centrifuges telles que les partis politiques ou les médias indépendants.

Aurait-il pu maintenir le régime ?

La Chine et la Corée du Nord sont parvenues à faire perdurer un régime communiste, parfois de façade, en continuant à placer la gestion du pays sous le contrôle d’un parti unique et en utilisant la violence contre le peuple en cas de besoin. Mais Mikhaïl Gorbatchev n’avait pas l’âme d’un dictateur. C’était un démocrate à la tête d’un régime totalitaire. Cela ne pouvait pas marcher.

Quelle est l’opinion du peuple russe à son égard ?

Lors de son accession au pouvoir, elle a accueilli favorablement son franc-parler et ses réformes. Mais son action a mené à plus de pénurie, de corruption, de pauvreté, a causé la fin de l’empire et sonné le début d’années très difficiles pour la majorité des Russes, qui ont vu leurs certitudes s’effondrer. L’opinion a donc une très mauvaise image de lui, contrairement à l’Occident qui le perçoit comme l’homme qui a mis fin à la guerre froide. En 1996, il s’est présenté à l’élection présidentielle et n’a récolté que 0,5 % des suffrages. Aujourd’hui, rares sont les nostalgiques. On le considère comme un faible, un naïf, un utopiste voire un agent américain.

"Vladimir Poutine a construit son identité politique comme l’antithèse de Mikhaïl Gorbatchev"

Quel regard Vladimir Poutine porte-t-il sur Mikhaïl Gorbatchev ?

Comme de nombreux compatriotes, il ne l’estime guère et le perçoit comme un fossoyeur d’empire. Il n’a jamais caché que la fin de la période soviétique a été pour lui une catastrophe. Par ailleurs, Vladimir Poutine a construit toute son action politique en opposition complète avec l’architecte de la glasnost et de la perestroïka. Celui-ci, à l’instar du Pape Jean-Paul II prônait une maison européenne où l’Est et l’Ouest partageaient des valeurs communes. Influencé par des théoriciens tel Alexandre Douguine, le président actuel considère les Occidentaux comme dégénérés, décadents et défend le repli sur le monde slave. Mikhaïl Gorbatchev a cherché à se concilier l’Occident que Vladimir Poutine voit comme un ennemi. En bon dictateur, Vladimir Poutine semble n’écouter personne alors que Mikhaïl Gorbatchev aimait se confronter à des avis différents. Sur tous les plans, les deux hommes forment une antithèse parfaite. Le seul point commun serait le rejet de l’alcool. Vladimir Poutine met en avant sa sobriété et sa forme physique pour incarner l’image d’une Russie forte et virile. Peu porté sur la bouteille, Mikhaïl Gorbatchev préférait le thé pris en compagnie de son épouse Raïssa aux beuveries entre apparatchiks pourtant institutionnalisées.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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