Dans un arrêt du 13 octobre 20091, la Chambre criminelle de la Cour de cassation apporte une clarification bienvenue à la question de la responsabilité pénale des personnes morales et de leurs représentants en matière d’accident du travail, dans le cadre spécifique des groupements d’entreprises.

En l’espèce, trois sociétés avaient constitué un groupement d’entreprises pour des travaux de construction d’une ligne de tramway. Le groupement d’entreprises avait choisi de déléguer ses pouvoirs en matière de sécurité sur le chantier au conducteur de travaux, également salarié de l’une des trois sociétés. Au cours des travaux, un ouvrier – salarié d’une autre société du groupement que celle employant le délégataire – a été gravement blessé.

La Cour d’appel de Paris avait déclaré coupable le délégataire et la société dont il était le salarié et condamné, le premier pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois et infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, et la seconde, pour blessures involontaires.

La Cour de cassation confirme la condamnation du délégataire. En revanche, elle casse sans renvoi l’arrêt ayant condamné la société du délégataire, considérant que la responsabilité pénale incombe à la seule personne morale qui est l’employeur de la victime2.

Par cet arrêt, publié au bulletin, la Cour suprême dégage sans équivoque le critère d’identification de la personne morale responsable, en cas d’infractions en matière d’hygiène et de sécurité commises par le délégataire désigné par un groupement d’entreprises.

La preuve de la délégation et subdélégation de pouvoirs.

Cet arrêt offre également l’occasion de rappeler les modalités de preuve en matière de délégation de pouvoirs.
Le délégataire désigné par le groupement d’entreprises soutenait qu’il avait, de manière implicite, subdélégué ses pouvoirs aux responsables de sites. Pour en attester, il produisait le plan particulier de sécurité et de protection de la santé, qui contenait notamment la définition du rôle de responsable de site incluant l’obligation, pour ce dernier, de mettre en œuvre  les « moyens de prévention ».
A cet égard, rappelons qu’une subdélégation de pouvoirs est valable dans les mêmes conditions qu’une délégation, dès lors que celle-ci est régulièrement consentie et que le subdélégataire est pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de sa mission3. Elle aura pour effet de faire échapper le délégataire au risque pénal dans le domaine qu’il aura spécifiquement délégué à son subordonné.

Par ailleurs, la validité de la subdélégation, comme celle de la délégation, n’est pas soumise à la rédaction d’un écrit. Une subdélégation peut donc être implicite. Mais, pour être admise à titre probatoire, l’arrêt rapporté nous rappelle qu’ « en l’absence d’écrit, une délégation, a fortiori une subdélégation de pouvoir, doit être claire et exempte d’ambiguïté ». Tel n’est pas le cas en l’espèce pour la Cour d’appel, tout comme pour la Cour de cassation, puisqu’elle estime que les documents produits par le conducteur de travaux ne permettent pas, en raison de leur caractère général et imprécis, de rapporter la preuve d’une subdélégation.
En effet, les juges du fond ont estimé que la référence à la prévention, dans la définition du rôle de responsable de site, n’était pas significative compte tenu de la nécessité de rappeler, à chaque niveau hiérarchique de l’entreprise, les impératifs liés à la sécurité du travail.  Ainsi, par cet arrêt, la Haute Juridiction rappelle qu’une subdélégation doit s’appuyer sur des éléments probatoires suffisamment explicites, portant sur les attributions des préposés en matière de sécurité au travail.

Quelle est la personne morale responsable ?

Par ailleurs, la Cour de cassation précise les effets produits par la délégation à l’égard de la société, membre du groupement d’entreprises, dont la victime de l’accident du travail était le salarié.

La jurisprudence affirme, de manière constante, que la délégation de pouvoirs n’exonère pas la personne morale de sa responsabilité dans la mesure où le délégataire a la qualité de représentant de celle-ci dans la matière faisant l’objet de la délégation4. Selon la formule consacrée, la délégation de pouvoirs implique la délégation de la représentation, au sens de l’article 121-2 du Code pénal5, permettant l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale, même en cas de faute simple de son préposé6. La personne morale reste donc responsable en matière de sécurité à l’égard de ses salariés.

En l’espèce, le conducteur de travaux, qui s’était vu confié par délégation des trois sociétés composant le groupement d’entreprises l’exercice des pouvoirs en matière de sécurité, devenait logiquement représentant des trois personnes morales. Mais en cas d’accident du travail, les infractions en matière d’hygiène et de sécurité commises par le délégataire des sociétés membres d’un groupement d’entreprises entraînent-elles la mise en jeu de la responsabilité pénale de chacune des sociétés ?

La Cour de cassation répond par la négative en retenant comme critère d’identification de la personne morale responsable la qualité d’employeur de la victime, dans le prolongement de son arrêt du 14 décembre 1999 concernant des faits similaires7. Elle casse sur ce point l’arrêt de la Cour d’appel qui avait désigné comme responsable l’entreprise dont le délégataire était le salarié, aux motifs que ce dernier avait agi comme le représentant et pour le compte de son employeur, par ailleurs mandataire du groupement auprès du maître d’ouvrage et jouant un rôle majeur au sein du groupement d’entreprises.

Pour la Haute Juridiction, ces circonstances sont sans effet : seule compte la qualité d’employeur de la victime.

Dès lors, seule la personne morale qui est l’employeur de la victime peut voir sa responsabilité pénale engagée. Ce qui signifie que le délégataire doit être considéré, au moment de l’accident, comme ne représentant que la personne morale employeur du salarié victime. Partant, les deux autres sociétés du groupement sont exonérées de toute responsabilité.
L’arrêt rapporté pose donc un principe clair de responsabilité pénale des personnes morales : le transfert des pouvoirs en matière de sécurité du chef d’entreprise à un préposé, par le biais de la délégation, emporte transfert de la représentation de la personne morale, laquelle ne se trouve donc pas déliée de sa responsabilité à l’égard de ses salariés victimes.

Il restera alors classiquement à vérifier, pour prétendre à une exonération de responsabilité de la part de la personne morale, que les éléments constitutifs de l’infraction poursuivie ne se trouvent pas réunis chez le délégataire.

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