Les anticorps sont des molécules de type protéique, produites par l’organisme lors de la réponse immunitaire à une agression extérieure, typiquement par un virus ou une bactérie. Chaque anticorps est spécifique d’une cible, "l’antigène". La protection des anticorps par brevets est un enjeu majeur de l’industrie pharmaceutique, phénomène encore accru par la pandémie de Covid-19.

La spécificité antigène/anticorps est exploitée tant dans le domaine du diagnostic, pour détecter la présence d’une molécule caractéristique d’un état physiologique ou pathologique dans un prélèvement, que dans le domaine des médicaments, pour agir spécifiquement sur une cible thérapeutique. Parmi les dix médicaments les plus vendus dans le monde en 2019, cinq ont pour principe actif un anticorps monoclonal1 ou une protéine comprenant un fragment d’anticorps : 

- Enbrel® et Humira® ciblent le facteur de nécrose tumorale, cytokine impliquée dans différentes pathologies inflammatoires chroniques 

- Stelara® cible d’autres cytokines et est efficace dans le traitement de plusieurs maladies inflammatoires  

- Keytruda® et Opdivo® sont deux anti-cancéreux visant à activer les défenses immunitaires pour combattre les cellules cancéreuses. 

Protection des anticorps par brevet 

Un brevet est un titre délivré par une administration et accordant, pour une durée de 20 ans et un territoire donné, une exclusivité sur l’exploitation d’une invention, en contrepartie de sa divulgation.  Conséquence de l’intérêt médical des anticorps, un nombre croissant de demandes de brevets portant sur des anticorps produits artificiellement, ou sur leurs utilisations sont déposées devant les offices de brevets. Entre 2010 et 2020, le nombre de familles de brevets publiées annuellement a plus que doublé, passant de 2426 à 5208. Les 30 plus importants déposants de ces brevets incluent des sociétés pharmaceutiques ou biotechnologiques, des universités et des organismes publics de recherche, répartis en : 

- 19 déposants nord-américans, dont Genetech, l'Université de Californie et Regeneron Pharmaceuticals 

- 7 déposants européens, dont Hoffman La Roche, Novartis et l’Inserm 

-  et, 4 déposants asiatiques, dont Chugai Phamarceutical et l'Université de Jiangnan 

Parmi les conditions pour qu’un brevet soit délivré, figurent la nouveauté et l’activité inventive de l’objet pour lequel le monopole est demandé. Ces conditions sont plus faciles à remplir si le déposant revendique un monopole pour un objet défini de façon très précise – mais son monopole sera alors très étroit et facile à contourner. 

En ce qui concerne les anticorps, cette balance entre l’étendue de la protection et la satisfaction des critères de brevetabilité doit être abordée en tenant compte des exigences parfois divergentes des offices des brevets, et de la nature spécifique de ces molécules. Le déposant peut choisir de définir un anticorps par des caractéristiques structurales et/ou par des caractéristiques fonctionnelles.  

"La levée des droits de brevets liés au Covid-19 créerait un précédent dangereux, décourageant les investissements privés."

Les caractéristiques structurales sont liées à la séquence même de l’anticorps, en particulier au niveau de sa région responsable de la reconnaissance de l’antigène. Un anticorps défini structurellement sera jugé nouveau dès lors que cette séquence n’a jamais été décrite. Toutefois, son caractère inventif sera apprécié différemment selon les offices de brevets. Ainsi, devant l’office américain des brevets (USPTO), un anticorps défini par une structure nouvelle sera considéré comme inventif, alors que, si cet anticorps cible un antigène contre lequel des anticorps ont déjà été décrits, l’office européen des brevets (OEB) exigera qu’un effet inattendu soit démontré.  

Les caractéristiques fonctionnelles utilisables pour protéger un anticorps peuvent porter sur l’antigène reconnu par l’anticorps, et plus précisément sur le motif structural reconnu au niveau de cet antigène. Si une telle caractérisation est possible devant l’OEB, l’USPTO ne devrait plus l’accepter depuis une décision de février 2021 de la Cour d’Appel Fédérale (Amgen v. Sanofi). Cette décision pourrait également être citée pour remettre en cause la validité de brevets américains protégeant des anticorps définis par leur cible.  

D’autres caractéristiques fonctionnelles peuvent être utilisées pour définir un anticorps, telles que son affinité par rapport à la cible, une compétitivité par rapport à une autre molécule, une activité neutralisante ou apoptotique, etc.  La caractérisation fonctionnelle des anticorps offre une portée beaucoup plus large qu’une caractérisation structurale mais, a contrario, obtenir un brevet portant sur un anticorps défini par des caractéristiques fonctionnelles est plus difficile. Il est donc pertinent de cumuler les deux types de définitions dans un même brevet. 

Par ailleurs, rappelons que pour commercialiser un anticorps thérapeutique, il est nécessaire, comme pour tout médicament, de se conformer à des exigences réglementaires telles que l’obtention d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).  

Cas du Covid 19 

Depuis 2019, 228 familles de brevets sur des anticorps liés au coronavirus SARS-CoV2, responsable du Covid-19, ont été déposées et rendues publiques. La publication des demandes de brevets intervenant généralement 18 mois après leur dépôt, ce nombre devrait significativement augmenter dans les mois à venir. Parmi ces 228 familles, plus de 80% ont été déposées par des sociétés ou des universités chinoises. Cette surreprésentation n’est certainement pas significative et semble liée au fait que les déposants chinois ont demandé une publication anticipée de leurs demandes de brevets, qui sont donc apparues rapidement dans les bases de données. 

Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, les anticorps sont utilisés en diagnostic, dans les tests antigéniques. Plusieurs traitements à base d’anticorps monoclonaux sont également en cours de développement, dont certains ont déjà été approuvés aux Etats-Unis et en Europe. 

On ne peut que s’émerveiller de la rapidité avec laquelle de tels traitements, ainsi que les vaccins contre le SARS-CoV2, ont été développés. Ce développement record est le fruit d’une mobilisation sans précédent, financée par des investissements considérables. 

Il est actuellement question de lever les droits de brevets, afin d’accélérer la diffusion des vaccins et traitements aux pays pauvres. Pourtant, rien ne prouve que ces mesures permettraient de lutter plus efficacement contre la pandémie. En revanche, il est certain que la levée des droits de brevets créerait un précédent dangereux, décourageant les acteurs privés d’investir dans la lutte contre les variants et, en cas de nouvelle pandémie, dans la recherche contre l’agent infectieux à son origine.

           Nombre de Familles de brevets publiées entre 2010 et 2020 

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Sur les autrices : 

• Stéphanie Gadal - Conseil en propriété Industrielle, Mandataire en Brevets Européens, associée chez Brevalex, membre de Santarelli Group

• Véronique Marcadé - Conseil en propriété Industrielle, Mandataire en Brevets Européens, associée chez Santarelli, membre de Santarelli Group

• Emmanuelle Fourcade - Conseil en propriété Industrielle, Mandataire en Brevets Européens, associée chez Ipside, membre de Santarelli Group

 

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