En 1998, il était le premier Français à se lancer da le commerce équitable pour aider les producteu des pays en développement. Aujourd'hui, son entreprise Alter Eco réalise un chiffre d’affaires de 15 millio d’euros et travaille avec 53 coopératives da le monde.

En 1998, il était le premier Français à se lancer dans le commerce équitable pour aider les producteurs des pays en développement. Aujourd'hui, son entreprise Alter Eco réalise un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros et travaille avec 53 coopératives dans le monde. Retour sur le pari un peu fou mais gagné, d’un homme piqué d’éthique.

Début mai, Tristan Lecomte faisait son entrée dans le Time 100, le classement des personnes les plus influentes au monde, établi par le magazine Time. Une belle consécration pour cet entrepreneur qui a lancé en 1998, Alter Eco, la première société spécialisée dans le commerce équitable en France. Cette pratique, née aux États-Unis dans les années 1960, prône une rémunération « juste ». L’idée : verser aux petits producteurs un salaire leurs permettant de développer leur activité et non plus seulement de survivre.
En moyenne, Alter Eco achète les matières premières 15 % plus cher que le marché. Dès que cela est possible, il fabrique le produit sur place afin d’apporter encore plus de valeur ajoutée au pays producteur. Au total, ce sont 700 000 euros de valeur ajoutée par rapport au marché conventionnel qui ont été versés aux coopératives en 2009.


Des débuts difficiles

Initialement limité au chocolat et au café, Alter Eco produit désormais jus de fruits, thé, riz et biscuits. Aujourd’hui, la société dispose d’une gamme de 150 produits alimentaires et cosmétiques. Mais avant d’en arriver là, les débuts de la société ont été difficiles. En 1998, il ouvre une première boutique de 30 m2 à Paris. Mais le public n’est pas au rendez-vous. Fin 1999, il inaugure alors un plus grand magasin et lance un site Internet. L’échec est encore plus cuisant. Le modèle économique mis en place ne s’avère pas efficace. Les frais de fonctionnement des magasins sont trop élevés et les retombées pour les producteurs pas assez importantes. L’aventure s’arrête.
Après une parenthèse d’un an passé chez PricewaterhouseCoopers où il développe des outils d’audit appropriés à la filière du commerce équitable, Tristan Lecomte se relance dans le projet. Il parvient à la conclusion qu’il faut se spécialiser sur une gamme de produits restreinte et passer par des canaux de distribution plus importants. Alter Eco se fixe pour objectif l'augmentation des ventes. Le groupe se concentre sur un petit nombre de produits susceptibles d'être fabriqués en grande quantité et d'être vendus en grande distribution. Il prend contact avec les supermarchés. En 2002, il signe son premier partenariat avec Monoprix. Et sept ans plus tard, se retrouve dans les rayons de plus de 3 500 supermarchés. Une couverture qui permet à la société de développer rapidement son chiffre d’affaires qui franchit la barre des 15 millions d’euros en 2009. Avec 15 % de part de marché, il est le leader multiproduits sur le marché équitable. Sa domination est incontestable pour le chocolat (44 %), les biscuits (41 %) et les jus (28 %).


Une envie de changer le monde

 Une belle performance pour cet entrepreneur de 37 ans que rien ne prédestinait au commerce équitable. En sortant d'HEC, il travaille pour L'Oréal en tant qu'auditeur interne et contrôleur de gestion. « Je m'ennuyais. Il manquait un sens à mon travail. Le déclic est venu en lisant un article du Réverbère [journal de rue, NDLR]. Ce dernier parlait de commerce équitable, de l'ambition de participer au développement des pays pauvres avec une activité commerciale rentable », raconte-t-il.

Son envie de changer le monde a fait le reste. Pour ses proches et ses collaborateurs, là se situe sa principale qualité. Grâce à ses convictions, il arrive à les motiver pour obtenir le meilleur d’eux-mêmes. Selon le magazine Time, « il fait partie de ces gens qui, en utilisant leurs idées, leur vision, transforment le monde et les gens ». Peu importe la situation, il demeure toujours optimiste. Mais Tristan Lecomte nuance : « Pendant des années, j’ai plutôt été quelqu’un de violent, toujours énervé. Je suis ?ls de militaire et, quand j’ai créé ma boîte, j’ai projeté une image paternelle de l’autorité. Mais j’étais malheureux, isolé de mes collaborateurs qui redoutaient mes colères. »


Pour un "capitalisme conscient"

Son moteur ? Les autres. « Le commerce se doit d'être un lien, sinon le monde ne tourne pas rond. La vrai richesse de la vie ce sont les gens », insiste-t-il. L’entrepreneur est persuadé qu’un « capitalisme conscient  » est possible. Selon lui, le commerce équitable est un moyen de replacer l’Homme au centre de l’économie plutôt que le produit. « Notre société de consommation défend les valeurs de l'avoir, à l'opposé de l'être. Nous pensons nous nourrir de cet "avoir", alors que plus nous possédons, moins nous "sommes" réellement », s’emballe-t-il.

Une vision assez idéaliste qui a fait naître beaucoup de scepticisme à son égard. Certains le jugent rêveur, d’autres naïf. Mais, pour ceux qui doutent et qui lui font remarquer qu’il n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’économie de marché, il se contente de citer le dalaï-lama : « Si vous avez l’impression que vous êtes trop petit pour changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique. Vous verrez lequel des deux empêche l’autre de dormir. »

150 000 euros de résultat net

Aujourd’hui, face au succès d’Alter Eco et de son fondateur, ses détracteurs sont bien forcés de constater qu’ils avaient tort. Tristan Lecomte a réussi à faire rimer éthique et économie. En 2009, le résultat net de la société a atteint 150 000 euros, soit 1 % du chiffre d'affaires. Mais, si son objectif est différent des autres entrepreneurs, ses outils sont les mêmes : marketing, audit, canaux de distribution. Pour cela, il met à contribution ses expériences dans l’économie traditionnelle. Tristant Lecomte a développé des outils de contrôle interne spécifiques (méthodologie « Fair Trade Audit 200 », « Alter Eco Value Reporting », « Alter Eco Development Index »), afin d’offrir des garanties aux consommateurs et aux distributeurs. Cela lui permet également de faire état des retombées chiffrées de son activité en termes de développement pour les producteurs avec lesquels l’entreprise travaille. Grâce à cette expertise, la société est la seule à proposer une triple labellisation. Les produits sont à la fois certifiés équitables, bio et zéro carbone.

  « Je veux montrer que l’on peut faire du commerce équitable tout en étant compétitif ». Une dégustation à l'aveugle de vingt-quatre chocolats noirs, réalisée en 2009 par Que Choisir, a donné la meilleure note au « Noir Intense-Force Brute » d'Alter Eco.


S'imposer face au bio

Au niveau mondial, le commerce équitable représente 3 milliards d’euros. Et les ventes progressent de façon significative, malgré un contexte de crise qui aurait pu conduire les consommateurs à bouder des articles vendus en moyenne 10 % plus cher. En France, les produits équitables ne représentaient, en 2009, que 0,35 % du chiffre d'affaires dans l'univers épicerie-liquide des supermarchés, soit 120 millions d'euros. Mais les résultats grimpent à 3,7 % pour le café et 2,1 % pour le chocolat, les deux produits phares du secteur. La croissance est portée par la multiplication des références commerce équitable dans les rayons des distributeurs. Une tendance qui tire les tarifs vers le bas. Mais le président d'Alter Eco, qui a créé le Laboratoire du commerce équitable (organisme d'informations et d'échanges des bonnes pratiques entre les acteurs du marché), estime que le secteur ne réussira à s’imposer que si les grandes marques se mettent à adopter la démarche.

 

Encourager une concurrence vertueuse

Pour le moment, ce n’est pas encore le cas. Elles sont plus attirées par le marché bio qui, en France, est dix fois plus important que le commerce équitable. En 2009, chaque foyer français y consacre seulement 17 euros par an. Nos homologues anglais font cinq fois mieux. Les Français seraient-ils plus sensibles à leur santé qu’à la justice sociale ? Tristant Lecomte ne veut pas y croire. Selon lui, cela viendrait d’un manque d’information : « Les labels ne sont pas assez compréhensibles et strictes. »
Entre produits équitables, éthiques et bio, les consommateurs peinent à s’y retrouver. Pour améliorer cela, la Commission nationale pour le commerce équitable (CNCE) examinera les systèmes de certification existants, à l'image de Max Havelaar ou d'Écocert, afin de vérifier le respect des critères fondamentaux avant de leur accorder une reconnaissance spécifique. Mais pour Tristan Lecomte, cela n’apportera pas grand-chose. Au contraire. « La Commission s'aligne sur ce qui existe déjà, et risque d'établir un consensus vers le bas au lieu d'encourager une concurrence vertueuse », prévient-il. En effet, les standards de Max Havelaar ne sont pas assez exigeants. Il existe dans leur système de labellisation deux types d'organisation de producteur contrôlée : les plantations et les coopératives de petits producteurs. Les plantations sont détenues et gérées par un propriétaire unique ou un groupe d'investisseurs, tandis que les coopératives sont par définition participatives. Les travailleurs des plantations labellisées restent souvent tributaires du bon vouloir du patron. Le président d’Alter Eco milite donc pour qu’une distinction claire soit faite entre ces deux notions du commerce équitable.


 Du militantisme jubilatoire

C'est pourquoi, depuis sa création, Alter Eco n'achète qu'à des coopératives de petits producteurs et non aux plantations. Aujourd’hui, la société travaille avec 167 000 producteurs dans 29 pays dans le monde et se positionne dans le haut du panier. Alter Eco se veut une marque engagée et militante. Et Tristan Lecomte refuse les discours culpabilisants et condescendants. 

« S'engager doit être un plaisir. Nous attachons d'ailleurs une attention particulière à la qualité gustative de nos produits. C'est ce que nous appelons le militantisme jubilatoire », conclut-il, sourire aux lèvres.

Juin 2010

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