Il aura fallu attendre 2023 pour voir le célèbre prix de la Banque de Suède récompenser les travaux d’une économiste qui, durant toute sa carrière, a cherché à quantifier l’un des phénomènes socio-économiques les plus marquants du XXe siècle : la place des femmes sur le marché de l’emploi.

Claudia Goldin, âgée de 77 ans, a été la première femme titularisée au sein du prestigieux département d’économie de Harvard en 1990. Célèbre pour sa méticulosité et ses travaux croisant datas économiques et faits historiques, on lui doit d’avoir remis en cause des idées préconçues concernant les inégalités entre les femmes et les hommes au travail.

La courbe en U de l’emploi féminin

La première idée corrigée par Claudia Goldin est celle de l’impact des femmes actives sur l’économie des États-Unis. Compilant les données collectées depuis le XIXe siècle, les croisant avec des recherches historiques et sociologiques, les travaux de la chercheuse ont mis en évidence la place méconnue, mais pourtant réelle des femmes dans l’économie du XIXe siècle. Si elles n’étaient pas identifiées comme travaillant, elles étaient pourtant des actrices centrales de l’économie agricole jusque dans les années 1850. Le taux de femmes en emploi décline ensuite fortement lorsque les économies se marchandisent à l’ère industrielle, pour enfin remonter lorsque les femmes ont accès à des métiers dits "à cols blancs". Sur cette période de deux siècles, Claudia Goldin a donc modélisé la place des femmes en emploi sous la forme d’une courbe en U. Résultat : une avancée considérable pour les sciences économiques, qui, souvent axées uniquement sur le XXe siècle, tendaient à montrer une corrélation entre la croissance économique et le nombre de femmes actives.

Claudia Goldin part des femmes mariees en emploi Etats Unis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

source :Le taux de participation des femmes au marché du travail suit une courbe en U  -  Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences

Une émancipation sociétale

Reléguées aux rôles d’épouses et de mères lors de la révolution industrielle, le marché de l’emploi n’ayant pas besoin de main-d’œuvre féminine, le taux de femmes qui travaillent augmente dès le début du XXe siècle, mais souvent dans le secteur du service à des postes peu rémunérés. Il faut attendre les années 1960 pour voir advenir ce que l’économiste nomme "la révolution silencieuse", signant ainsi l’émancipation économique des femmes.

Dans ses récents travaux avec l’économiste Lawrence Katz, Claudia Goldin met en avant la mutation de perception des femmes quant à leur position sur le marché de l’emploi. Celles nées au début du siècle travaillent pour gagner un salaire d’appoint, alors que celles qui viennent au monde dans les années 1950 envisagent davantage d’embrasser une carrière en bonne et due forme. Ce phénomène s’explique par le recul de l’âge du mariage et de la maternité. L’économiste souligne bien sûr l’importance de la pilule contraceptive orale dans les années 1970 comme facteur déterminant pour que les femmes entrent, sans freins biologiques, sur le marché de l’emploi et prétendent enfin à une pleine indépendance financière.

"Les femmes bénéficient de divers avantages dans leur travail, mais elles gagnent moins aujourd’hui et gagneront souvent encore moins à l’avenir"

Plafond de verre et parentalité

Par conséquent, l’évolution sociale favorise la carrière des femmes. Toutefois, les inégalités salariales restent encore présentes. Si les femmes ne se sont que tardivement autorisées à se diriger vers des études et des carrières rémunératrices et que les biais de discrimination existent encore, Claudia Goldin trouve toutefois une autre raison à cette différence persistante entre les rémunérations femmes-hommes : la parentalité. Aux États-Unis, les femmes et les hommes auraient des parcours professionnels assez similaires jusqu’à l’arrivée des enfants : c’est à ce moment que le "gender gap" se crée. Pourquoi ? La professeure d’Harvard pointe du doigt les horaires de travail longs et non flexibles des postes qui rémunèrent le mieux. Dans une interview donnée à la Harvard Business Review en 2021, Claudia Goldin explique : "Elles sont, de manière disproportionnée, professeures auxiliaires plutôt que titulaires, elles travaillent dans des cabinets comptables et juridiques plus petits que les hommes, et elles occupent des postes dans la finance comme les ressources humaines, qui exigent moins d’heures qu’un emploi tel que la banque d’investissement. Elles bénéficient de divers avantages dans leur travail, mais elles gagnent moins aujourd’hui et gagneront souvent encore moins à l’avenir."

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source : Johan Jarnestad - The Royal Swedish Academy of Sciences

Grâce à Claudia Goldin, le caractère systémique des inégalités de salaire entre femmes et hommes a ainsi été prouvé, brossant le portrait d’une société qui valorise ce qu’elle nomme les "emplois cupides" qui rémunèrent la totale disponibilité du salarié. D’ailleurs, la popularisation du télétravail, à la suite de la crise sanitaire, est soulignée par l’économiste comme une avancée majeure pour la parité.

Analysant et mettant au jour les travailleuses méconnues, les femmes au foyer et la réalité des "working girls" confrontées au plafond de verre, les travaux de l’économiste relatent, sur une période de deux siècles, la lente évolution vers l’émancipation économique des femmes américaines. À l’heure actuelle, les politiques d’entreprise semblent ne pas être à la hauteur pour permettre l’égalité attendue des salaires entre femmes et hommes, trop peu flexibles et trop enclines à valoriser les heures à rallonge. Si les travaux de Claudia Goldin se limitent aux États-Unis, nul doute toutefois que la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle devra être considérée à l’avenir comme l’un des axes forts des politiques de responsabilité sociale des entreprises.

Elsa Guérin

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