Les plans anti-corruption issus de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi "Sapin 2" reposent sur un panel de mesures internes de prévention et de détection de la corruption. Monique Figueiredo, associée du département droit social du bureau parisien du cabinet Hughes Hubbard & Reed LLP revient pour nous sur leurs incidences en droit social, à la lumière des dernières actualités.

Décideurs. En quoi consistent les programmes anti-corruption ?

Monique Figueiredo. La loi "Sapin 2" oblige les entreprises de plus de 500 salariés et réalisant plus de 100 millions de chiffre d’affaires, à mettre en œuvre un programme de conformité anti-corruption. Celui-ci doit être composé des huit mesures citées à l’article 17 de la loi. Certaines de ces mesures ont des impacts en droit social, telle que la mise en place d’un code de conduite, d’un dispositif d’alerte à disposition des salariés ou d’un dispositif de formation destiné aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence. Ce dispositif anti-corruption n’est pas figé. La jurisprudence sociale s’est emparée des problématiques liées au non-respect des codes de conduite. Quant au dispositif d’alerte interne, il est appelé à évoluer avec la transposition en droit interne de la Directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

La première mesure du dispositif anti-corruption imposée aux entreprises est la mise en place d’un code de conduite. De quoi s’agit-il concrètement ?

Les entreprises ont dû intégrer à leur règlement intérieur un code de conduite qui définit et illustre les comportements susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence. L’Agence Française Anticorruption précise que " le code de conduite est applicable et opposable à l’ensemble des personnels de l’entreprise " (cf. AFA, recommandations janv. 2021, §159). La récente jurisprudence sociale a pris acte de son caractère contraignant tout en retenant que le manquement d’un salarié aux procédures de conformité internes peut constituer une faute grave justifiant un licenciement pour motif personnel (Soc. 31 mars 2021, n°19-23.144). Plusieurs arrêts ont encore précisé de l’absolue nécessité pour l’entreprise, afin de pouvoir opposer à un salarié l’existence d’un code de conduite dans le cadre d’un litige, d’être en mesure de démontrer que celui-ci a été porté à sa connaissance. Ce point est examiné avec attention par les juges du fond. A titre d’exemple, dans une affaire où était notamment reproché à un salarié d’avoir signé un contrat avec un prestataire sans respecter les plafonds d’engagement de dépenses et les procédures d’autorisation applicables, la Cour d’appel de Paris a considéré que le licenciement pour faute n’était pas justifié " car l’entreprise n’établissait pas que le salarié avait connaissance de ces règles, ni qu’il avait une volonté de frauder " (CA Paris, 1er juin 2021, n°19/06021). A l’inverse, dans une autre espèce, la cour d’appel d’Angers a relevé, pour retenir le licenciement pour faute grave d’une salariée qui avait accepté deux tablettes d’une valeur de 798 euros que "c’est en parfaite connaissance des exigences d’intégrité en vigueur au sein de la société [qu’elle] a accepté des cadeaux, exigences largement rappelées dans plusieurs documents internes diffusés aux salariés et exploités dans le cadre de formations" (CA Angers 29 mai 2020, n°18/00395). Il ressort donc de ces arrêts que l’entreprise doit être capable de prouver que le code de conduite a bien été remis, expliqué et assimilé par les salariés.

Comment s’assurer que les salariés ont bien assimilé le code de conduite ?

La loi "Sapin 2" prévoit que les entreprises doivent déployer un programme de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence. Si ce dispositif de formation anticorruption s’adresse prioritairement aux personnes évaluées à risque, par une cartographie, une sensibilisation de l’ensemble du personnel est vivement recommandée (par exemple, via une formation en e-learning). Une remarque complémentaire, pour les entreprises tels que les PME et les ETI, la sensibilisation du reste du personnel peut prendre la forme de discussions ouvertes avec les managers. Les actions de formation et de sensibilisation ne doivent pas se limiter au code de conduite mais doivent porter également sur la corruption en général ou sur le comportement à adopter face à des faits de corruption.

Les salariés sont mis en mesure d’identifier les actes de corruption, mais comment peuvent-ils les dénoncer ?

Les entreprises doivent mettre en place un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil de signalements émanant d’employés relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite. Le droit français est amené à évoluer sur ce point pour tenir compte des dispositions de la Directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent les violations du droit de l’Union. Le texte transposant la Directive a été adopté à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 novembre dernier. Il a été transmis au Sénat le 18 novembre et sera discuté en séance publique les 19 et 20 janvier 2022. Cette transposition est l’occasion de parfaire le dispositif actuel notamment s’agissant des canaux de révélation d’une alerte. Le droit français prévoit une hiérarchisation des canaux de signalement. Ainsi, le lanceur d’alerte doit d’abord procéder à son signalement en interne (supérieur hiérarchique, direct ou indirect, employeur ou référent désigné par celui-ci) avant de pouvoir utiliser le canal externe confidentiel (autorité judiciaire, autorité administrative ou ordre professionnel) et enfin le canal externe public (presse). La Directive exige, quant à elle, d’autoriser la saisine directe des canaux de révélation externes, même si elle encourage aussi l’utilisation du canal interne. Le rapport d’information sur l’évaluation de la loi "Sapin 2" souligne que la hiérarchie des canaux de révélation expose le lanceur d’alerte à des représailles et des pressions et propose de les assouplir " en permettant de saisir directement les autorités publiques sans procédure interne préalable " (cf. proposition n°31 du rapport d’information sur l’évaluation de la loi "Sapin 2"). Le risque pour l’entreprise est que le lanceur d’alerte se détourne du canal interne. Pour préserver leurs réputations et éviter les potentiels effets destructeurs de l’utilisation du canal public, les entreprises auront intérêt à prévoir des dispositifs internes fiables et inspirant confiance en leur capacité à traiter les alertes.

L’utilisation de bonne foi de ce dispositif de signalement permet au lanceur d’alerte de disposer d’un statut protecteur. En quoi consiste-t-il ?

Pour encourager les personnes qui ont connaissance de faits graves à les signaler, celles-ci bénéficient d’une protection complète. Au stade de l’embauche, le lanceur d’alerte ne peut pas être écarté d’une procédure de recrutement, de l’accès à un stage ou à une formation professionnelle. Il ne peut pas non plus être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte (cf. Article L. 1132-3-3 du Code du travail). Les dispositions contraires à cette protection sont frappées de nullité. Ainsi, en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes compétent en référé. Enfin, dans le cadre de tout litige, le salarié lanceur d’alerte bénéficie d’un assouplissement des règles de preuve puisqu’il doit seulement présenter des éléments de fait qui laissent présumer qu’il a relaté de bonne foi des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision de le licencier est justifiée par des éléments objectifs et étrangers à la déclaration de l’intéressé. Toutefois, il ressort du rapport d’information sur l’évaluation de la loi "Sapin 2" que le statut protecteur actuel n’est toutefois pas suffisant eu égard aux risques pris par les lanceurs d’alerte. En effet, la consultation publique du ministère de la Justice relative à la transposition de la Directive " lanceurs d’alerte " en date du 7 juin 2021 souligne la précarité que peuvent connaître les lanceurs d’alerte -victimes de représailles- leur solitude au cours du processus, le stress et l’angoisse pouvant être générés tant par l’acte de signalement en lui-même que par ses conséquences potentiellement accentuées, si l’affaire est médiatisée. La majorité des répondants à la consultation publique pensent qu’il est opportun de prévoir une assistance psychologique au lanceur d’alerte comme le prévoit la Directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019. Dès lors, la transposition de cette Directive serait l’occasion de renforcer le soutien psychologique aux lanceurs d’alerte. Plus encore, afin de renforcer le soutien financier des lanceurs d’alerte, le rapport d’information sur l’évaluation de la loi "Sapin 2" susvisé propose de "créer un fond ad hoc de soutien aux lanceurs d’alerte accessible lorsque le statut du lanceur d’alerte a été certifié par le juge ou le Défenseur des droits et que le signalement a eu une conséquence financière sur le lanceur d’alerte". Le renforcement de la protection du lanceur d’alerte est essentiel afin d’assurer l’efficacité du dispositif de signalement.

En définitive, les entreprises doivent veiller à ce que le code de conduite ait été porté à la connaissance de l’ensemble des salariés. Pour ce faire, il est conseillé de ne pas réserver le dispositif de formation aux seuls personnels exposés mais de sensibiliser l’ensemble du personnel aux risques de corruption. Le canal interne de signalement devrait faire l’objet d’une attention particulière afin d’encourager les salariés à y avoir recours, si celui-ci est rendu "facultatif " avec la transposition de la Directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019.


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