La crise sanitaire a mobilisé nombre d’avocats, cabinets de conseil et directeurs juridiques autour du télétravail. La pandémie a sans commune mesure accéléré les questions relatives à cette nouvelle organisation du travail. Mais quelles sont les règles devant l’encadrer ?

Une évidence. Voilà comment une partie des salariés définissent le télétravail qui ne cesse de gagner du terrain. Pourtant, il bouscule de nombreux fondamentaux en matière de droit du travail français. Sa mise en place de façon pérenne ne peut s’effectuer sans redéfinir certaines prérogatives de l’employeur. Par conséquent, de nouvelles questions sociales et juridiques émergent. Si en l’espace d’un an seulement, un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) relatif au télétravail a été signé, suffit-il à encadrer juridiquement les contours de ce nouveau mode de travail ? 

Des outils juridiques insuffisants 

Traditionnellement perçu comme une source d’inquiétude pour les employeurs, le télétravail a longtemps été vu comme une entrave au bon fonctionnement d’une société aussi bien par les managers que les syndicats. Une année de télétravail obligatoire a indéniablement changé la donne. Reste que sa mise en place "exceptionnelle" durant la crise sanitaire n’est pas comparable avec une mise en place dite "habituelle".

Selon une enquête du Boston Consulting Group et de l’ANDRH, 85 % de DRH sont favorables à la mise en place de façon pérenne du télétravail mais 93 % savent que cela doit s’accompagner d’une refonte managériale importante. En effet, la loi est formelle : l’employeur est responsable des conditions de travail de ses salariés et les droits sociaux acquis ne peuvent disparaître avec le télétravail.  

"Quelle est la responsabilité pénale des employeurs en cas de difficultés face au télétravail ?"

Cependant, le constat est clair : les outils juridiques traditionnels ne sont pas nécessairement adaptés à l’exercice des fonctions en distanciel. Pour exemple, la question des coûts de transport avait déjà fait débat. Celle des tickets restaurant illustre encore davantage la fragilité des outils juridiques dont nous disposons : le tribunal judiciaire de Paris et celui de Nanterre ont rendu, dans un premier temps, des dispositions opposées. Les injonctions contradictoires dont souffraient les directions juridiques durant la crise ne sont toujours pas résolues.

Franck Raimbault, directeur juridique social d’Air France, enjoint donc "le gouvernement a continué de faire preuve de pragmatisme par la suite, comme cela fut le cas durant la crise". Il souligne aussi que "le rôle des juristes en droit social n’a jamais été aussi indispensable afin de trouver des solutions". Deux obligations corollaires de l’employeur se trouvent en effet mises à mal : son pouvoir organisationnel et celui de prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés. 

Prévention des RPS altérée  

Les employeurs ont pris en compte qu’à leur pouvoir d’organisation se joignait le devoir de prévenir les RPS, même à distance. Leur marge de manœuvre est toutefois assez faible. Des primes sont données aux salariés pour leur assurer des conditions ergonomiques mais cela ne satisfait pas les directions des ressources humaines. Le risque est grand, en effet, de voir l’écart se creuser entre employeurs et employés et ne plus pouvoir effectuer un suivi de l’évolution de ces derniers. L’ANI, signé en novembre 2020, a révélé la nouvelle nécessité de prendre en compte la gestion de l’isolement des télétravailleurs, déclaré comme nouveau RPS.

Les directions juridiques et les cabinets d’avocats ont déjà été soumis aux questions relatives au temps de travail et au droit à la déconnexion. Certes, de nouvelles législations ont été mises en place afin d’assurer le temps de repos des salariés mais des vides juridiques subsistent. Doit-on par exemple exiger d’un salarié de mettre sa vidéo lors d’un call ? Peut-on lui imposer de soumettre l’adresse de laquelle il exerce ses fonctions ? Alors même que le droit du travail se renforce autour de la notion de prévention en santé, le télétravail semble venir chambouler les dispositifs usuels de suivi des risques psychosociaux.

Alexandre Speicher, directeur juridique RH de La Poste, se questionne alors au sujet "de la responsabilité pénale des employeurs en cas de difficultés face au télétravail". De nouveaux contentieux relatifs au management ou à la mise en danger d’un salarié dans le cadre du télétravail risquent d’émerger. Le double volontariat entre salarié et employeur sur lequel se base l’accord du télétravail semble être la clé de voûte à une mise en place optimale. Toutefois, en vue de diminuer les zones grises, un nouveau cadre juridique se dessine sans conteste pour redéfinir les droits des salariés nouvellement télétravailleurs. 

"Les règles du Code du travail datant de l’ère industrielle ne sont plus adaptées"

Vers de nouveaux droits sociaux 

Forcés par la crise à mettre en place le télétravail sans accords préalables, beaucoup d’employeurs ont déjà innové pour combler les points restés encore obscurs par la législation.

Alexandre Speicher explique en effet que l’on peut user de nouveaux outils ou dispositifs afin de s’assurer du respect du droit à la déconnexion. Il est possible de mettre en place un système de contrôle du temps de repos par auto-déclaration régulière du salarié ou bien d’installer des pop-ups alertant les collaborateurs lors d’une durée excessive de connexion. Une régulation naturelle se met donc en place au sein des entreprises. Cependant, l’ingénierie des entrepreneurs ne peut pas tout.

Comment s’exercera l’Inspection du travail dans une entreprise full remote ? Peut-on assurer le droit à la formation à distance ? Le directeur juridique social d’Air France note que "les règles du Code du travail datant de l’ère industrielle ne sont plus adaptées". Le télétravail serait alors l’occasion de remanier certains aspects obsolètes. Par conséquent, deux axes se distinguent : le contrôle et le management des collaborateurs mais aussi les brèches qui vont s’ouvrir côté RGPD. Lorsqu’en présentiel il pouvait être demandé autant la présence du salarié que les résultats de ses missions, le télétravail a mis en évidence une plus grande productivité avec un temps retrouvé pour le salarié. La perméabilité déjà existante entre vie privée et vie professionnelle semble donc nécessiter une prise en compte par le droit du travail.

Aussi, l’usage massif du digital comme hub principal d’informations génère des questions sur la sécurisation des données. Plus qu’un aménagement du droit du travail, le télétravail semble devenir un levier pour accélérer certains pans entiers du Code du travail laissés en jachère jusque-là, comme l’intégration des personnes handicapées, le prolongement de l’activité des femmes enceintes, le maintien de l’emploi pour des personnes à risque. Bouleversant les us et coutumes des entreprises, le télétravail questionne la législation. Pourvoyeur de libertés, il n’en reste pas moins un outil à penser habilement afin de ne pas être ségrégatif mais opportun et novateur. 

Elsa Guérin

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