La forte remontée des taux en réponse à la succession de crises que nous traversons n’est pas une bonne nouvelle pour le fonds euro. Les conseillers en gestion de patrimoine se tournent peu à peu vers une allocation de convictions, mettant ainsi à l’honneur des gestions moins plébiscitées par les épargnants averses aux risques.

Décideurs. De moins en moins d’épargnants se tournent vers le fonds euro, comment l’expliquez-vous ?

Clément Haenggi. Je dirais tout simplement que c’est un phénomène dû à la généralisation des taux réels négatifs. Cela fait un moment que, structurellement, les taux de rendement servis par ces fonds baissent, masqués par l’absence d’inflation d’une part et des taux de marchés qui étaient encore plus faibles d’autre part. Par exemple, les taux des épargnes bancaires tendaient vers zéro alors que nous avions encore un peu de réservoir de rendement sur les fonds euros. Cette latence, inhérente au fonctionnement de ce support permettait tout de même aux assureurs d’avoir des retours sur investissement bien supérieurs à ce que nous pouvions retrouver sur les épargnes bancaires, et beaucoup d’investisseurs s’en sont contentés. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où les taux remontent, avec des niveaux d’inflation que nous n’avions pas connus depuis plus de 40 ans. Ce qu’il faut comprendre, c’est que si nous avons un rendement de 1 % et une inflation à 5 %, le taux réel est de – 4 % par an. Ils ont rarement été aussi bas. Nous avons face à nous des épargnants qui ne souhaitent pas prendre trop de risques, mais s’ils n’en acceptent pas un minimum, ils vont perdre des sommes relativement importantes sur la durée.

Le contexte géopolitique actuel apporte-t- il le coup de grâce au fonds euro ?

C’est une certitude que le contexte géopolitique que nous connaissons ne milite pas en faveur des fonds euros, mais nous avons toujours connu des crises de différentes ampleurs et les marchés doivent s’adapter en permanence. Je pense que le fonds euros existera toujours mais prendra de moins en moins de place au sein des allocations que nous proposons.

Quelles solutions sont davantage plébiscitées ?

Il n’y a pas réellement d’équivalent car il offre à la fois la garantie en capital à 100 % et de la liquidité à tout moment. Maintenant, nous avons plusieurs alternatives qui se présentent. Je pense notamment aux produits structurés défensifs, les unités de compte immobilières ou encore la gestion alternative. 

"Il ne faut pas se leurrer, aucune de ces solutions ne remplacera complètement les fonds euros"

Ces solutions offrent-elles les mêmes avantages qu’un fonds euro ?

Nous pouvons considérer que le risque de certaines UC immobilières est très diversifié et faible, mais existe quand même. De même, si leur liquidité est garantie par l’assureur, il y a des frais d’entrée acquis au fonds puisqu’ils achètent des biens et sont amenés à acquitter des droits de mutation. Sur les produits structurés, rares sont ceux au capital garanti, il est possible de moduler le niveau de garantie en fonction des demandes et des contraintes de nos clients de façon à les paramétrer comme une alternative au fonds euros. Cependant, il faut garder à l’esprit que ce sont des produits qui fonctionnement avec un horizon défini dans le temps, une sortie anticipée ne permet pas de mettre en oeuvre tous les mécanismes définis au départ. L’une des solutions qui émerge est la gestion alternative.

Quels sont ses avantages ?

Nous pourrions considérer que la gestion alternative est la mise en place de stratégies ayant pour but d’être décorrélées des marchés financiers. Autrement dit, elle profite des dysfonctionnements boursiers. Lors de la mise en place de ces solutions, l’objectif n’est pas de générer une performance à deux chiffres mais plutôt de tendre vers un retour sur investissement le moins risqué possible et régulier. Nous pensons que cette typologie a et aura un grand intérêt au cours des prochaines années si nous considérons l’obsolescence du fonds euro et le fait que les marchés seront certainement de moins en moins lisibles. 

"Rester positionné de manière importante sur du fonds euro est l’assurance de perdre"

Comment l’expliquez-vous à vos clients ?

Il y a un travail de pédagogie qui débute en leur expliquant et en leur prouvant que rester positionné sur du fonds euro est l’assurance de perdre. Une fois qu’ils ont compris cela, il faut piloter le risque. C’est à ce moment-là que nous leur présentons les différentes solutions ayant finalement vocation à être complémentaires.

Que préconisez-vous à vos clients et pourquoi ?

La gestion alternative est assez technique et il y a un certain nombre de stratégies qui existent. Nous pouvons par exemple citer "Global Macro", solution qui vise à tirer profit des déséquilibres macroéconomiques en prenant des positions qui peuvent être directionnelles sur des monnaies ou des matières premières par exemple. Le "Long short equity" implique la prise de positions longues sur des actions dont nous considérons que la valeur va augmenter et, corrélativement, la prise de positions courtes, où nous parions à la baisse sur des indices. Cela vise à minimiser notre exposition et à gagner sur le delta entre nos convictions et la Bourse. Une fois que nous avons compris le fonctionnement, ce type de placement a vocation à avoir un niveau de risque limité et peut fonctionner quel que soit le contexte de marché. C’est là l’ADN de la gestion alternative. Les fonds "Event Driven" sont également une possibilité, avec l’exemple le plus simple à donner de la fusion-acquisition. Lorsque vous avez une OPA déclarée, l’acheteur propose une prime sur la valorisation des titres de la société ciblée. Une fois l’annonce faite, ces titres vont augmenter. L’idée est d’aller chercher le delta entre la prime annoncée et la valeur des parts. Dernier exemple qui est d’actualité, le "Break-even", stratégie rempart contre l’inflation. Elle consiste à acheter une obligation indexée sur l’inflation et simultanément d’en vendre une autre à découvert de même maturité sous le même sous-jacent mais dont le coupon est fixe. De cette façon, nous tirons profit de ce que nous appelons l’inflation anticipée. La clé réside dans la diversification. Tous ces outils ont vocation à être mixés en adéquation avec le profil investisseur du client.

Comment anticipez-vous le second semestre 2022 ?

La période actuelle cumule de nombreuses incertitudes. La pandémie, la crise en Ukraine et l’inflation des prix de l’énergie notamment, le resserrement monétaire… Sur ce dernier point, nous sommes dans l’inconnu car jamais une politique monétaire n’était allée aussi loin. En revanche, il me semble assez clair que les banquiers centraux souhaitent ne pas aller trop vite et piloter les remontées de taux de manière à trouver un équilibre entre lutte contre l’inflation et croissance. La situation sur les large caps est certainement bien meilleure qu’elle ne l’a été en temps de crise, ces valeurs ont su prouver leur résilience durant la Covid. Les inquiétudes d’aujourd’hui vont se maintenir dans les prochains mois avant un rebond qui au regard de la faculté d’anticipation des marchés, pourrait être plus rapide que certains ne le prédisent.

Le mot de la fin ?

Nous vivons une période assez riche en enseignements, qui marque un changement de paradigme pour les marchés. Nous vivons certainement la fin de l’ère des taux négatifs et parallèlement un retour durable de l’inflation. À mon sens, ce changement de paradigme sur les marchés conduira à effectuer un tri plus sélectif entre les entreprises dont la croissance est soutenable et les autres. Il va y avoir une forme de retour à la réalité et dans notre métier. À l’avenir, un CGP ou un banquier ne pourra plus se limiter à réaliser une allocation en mettant plus ou moins de fonds euro couplés à des ETF. Nous ne sommes plus sur une autoroute et je pense que cela marque le retour de la gestion de conviction. Il ne faut pas avoir peur du changement mais plutôt voir cela comme une opportunité. 

Propos recueillis par Marine Fleury 

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