La crise sanitaire, et les nouveaux usages qu’elle a introduits dans le monde du travail notamment, a bouleversé le marché de l’immobilier d’entreprise, particulièrement le secteur tertiaire. La Défense n’échappe pas à cette révolution. Pierre-Yves Guice, directeur général de l’établissement public local chargé du quartier d’affaires, revient sur ces perturbations et détaille son implication dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Décideurs. Qu’attendez-vous du Championnat de France des économies d’énergie en tant qu’hôte et acteur ?

Pierre-Yves Guice. Paris La Défense s’est donné, depuis quelques semaines, une nouvelle raison d’être : son ambition est de devenir, d’ici quelques années, le premier quartier d’affaires post-carbone sur le plan mondial. Aujourd’hui, La Défense est le premier quartier d’affaires européen en matière de surfaces de bureaux et de rayonnement économique. Ces atouts historiques ont été remis en question par la crise sanitaire et toutes les interrogations qui se sont exprimées sur les univers de travail et de bureau. L’enjeu est de redonner du souffle et un nouvel élan à ce quartier pour les décennies à venir. Il nous faut retrouver l’esprit d’inventivité qui a construit La Défense dans les années 1960-1970 pour répondre aux enjeux de la transition écologique. Nous ne partons pas d’une feuille blanche, mais d’un quartier, d’une ville déjà constitués, avec leurs habitants, leurs 3,8 millions de mètres carrés de bureaux et tout un tas de complexités techniques afférentes. Les acteurs publics ne peuvent pas prétendre avoir à eux seuls la solution pour lutter contre le réchauffement climatique et opérer la transition écologique d’un quartier aussi particulier que celui de La Défense. Tout l’enjeu pour nous réside dans la mutualisation des bonnes pratiques, des connaissances, des savoir-faire : public, privé, monde associatif et institutions doivent travailler ensemble et rassembler leurs énergies pour inventer une nouvelle manière de fabriquer la ville.

"Aujourd’hui, La Défense est le premier quartier d’affaires européen en matière de surfaces de bureaux et de rayonnement économique"

L’enjeu du concours Cube c’est ça. Le point commun de tous les participants c’est cette volonté de changer les choses, ce désir d’innover. Nous allons tâcher de mobiliser toute notre communauté d’acteurs de l’immobilier dans cette optique. Pour cette première édition, douze opérateurs immobiliers se sont engagés. Peut-être y en aura-t-il plus au fil de l’eau. Ce n’est pas autant qu’on aurait pu le souhaiter, mais c’est un début et l’on parle, tout de même, de 20 % de la surface bâtie de La Défense soit 750 000 m². Un test grandeur nature grâce auquel nous allons pouvoir, tout au long de l’année, identifier les leviers de réduction de la facture énergétique du quartier.

Comment coordonner les acteurs de l’immobilier dans cette démarche ?

Aujourd’hui, il est nécessaire que chacun travaille activement à ces questions de lutte contre le changement climatique. Mais ni un architecte, ni une entreprise de construction, ni un investisseur, ni un acteur public ne peut le faire tout seul. L’intérêt c’est que tout le monde travaille ensemble. Le défi c’est d’agir sur le terrain, de profiter de la force de frappe dont dispose La Défense en matière d’entreprises et de ressources techniques pour concevoir des solutions. Pas de constituer un énième groupe de travail pour discuter du sexe des anges.

Les besoins des utilisateurs évoluent, comment La Défense s’ajuste-t-elle ?

Aujourd’hui, nous avons des intuitions et observons plusieurs tendances. Tous les jours se pose la question du télétravail et les entreprises sont encore en train de stabiliser leurs stratégies immobilières. Ce que nous constatons, c’est une véritable appétence des gens pour revenir au bureau. Nous avons testé le 100 % télétravail, la virtualisation des rapports sociaux, et cela a nourri une conclusion : c’était invivable. Les salariés souhaitent revenir au bureau, mais dans de bonnes conditions.

"Nous avons testé le 100 % télétravail, la virtualisation des rapports sociaux, et cela a nourri une conclusion : c’était invivable"

Nous sommes convaincus qu’une partie de nos surfaces de bureaux, de nos immeubles, ne répondent plus en l’état à la demande. Plus personne ne veut de l'open-space des années 1970, ils ne veulent plus de journées qui se limitent aux seuls trajets entre leur domicile le RER, entre le RER et le bureau, l’inverse le soir, sans oublier le fait d’aller à la cantine le midi. Il apparaît nécessaire de proposer une expérience de vie au travail différente, qui justifie le fait qu’on veuille s’y rendre plutôt que de rester chez soi ou d’aller vendre des chaussures dans le Larzac comme certains l’ont fait en sortie de crise. Pour que nos jeunes continuent d’avoir envie de travailler dans les entreprises du conseil, de la banque, de la finance, de l’industrie que l’on accueille à La Défense, il convient de leur proposer des conditions de vie qui répondent vraiment à ce qu’ils recherchent aujourd’hui. Nous n’y sommes pas encore tout à fait et cela nécessite de travailler sur la manière dont on conçoit les immeubles comme sur la façon dont on vit le quartier au quotidien pour ce qui est des transports, de la mobilité douce, des services du quotidien, des commerces, de la restauration, de la végétalisation. C’est notre feuille de route pour les années à venir.

Quelle est votre vision de la ville de demain ?

C’est une question qui s’apprécie à plusieurs échelles. Comment va s’organiser l’aménagement du territoire français demain, je n’en sais rien. Mon intuition, qui est partagée par des acteurs du quotidien de La Défense et de l’immobilier tertiaire, c’est qu’il y aura toujours de la place et toujours une demande pour de grands pôles tertiaires avec une concentration de bureaux de grande qualité, une excellente connectivité que ce soit à La Défense, à Saint-Denis ou à Saint-Ouen parce qu’ils répondent à un besoin des entreprises.

"Nous nous devrons probablement d’introduire plus d’immobilier résidentiel à La Défense"

Personne ne pourra s’exonérer des questions de responsabilité environnementale ou sociale, de mixité fonctionnelle. À titre d’exemple, nous nous devrons probablement d’introduire plus d’immobilier résidentiel à La Défense. Aucun hébergement n’y a été construit en trente ans, à l’exception de quelques résidences étudiantes. Aujourd’hui, c’est un problème car la question du temps de trajet est fondamentale pour les salariés qui rejettent tous l'idée de passer trop de temps dans les transports. Je ne sais pas si l’on arrivera au fameux paradigme de la ville du quart d’heure qui n’est pas forcément adapté aux zones métropolitaines un peu exceptionnelles comme Paris ou La Défense, mais la proximité est recherchée ainsi que l’apaisement de la vie urbaine plus généralement. C’est un enjeu central auquel on doit faire face dans les années à venir.

La COP26, par la faiblesse des mesures qui y ont été prises, a-t-elle marqué la fin du fait que l’individu se défausse sur les entreprises, les entreprises sur les États, et les États sur la coopération internationale ? Le Championnat de France des économies d’énergie n’illustre-t-il pas cette prise de responsabilité, cette contribution à l’effort général ?

Nous nous sommes rendu compte que miser simplement sur le pouvoir prescriptif du politique, en général, qu’il soit national ou local, et sur la bonne volonté des gens, était insuffisant. Tout le monde croyait en l’accord de Paris de 2015, tout le monde se rend compte qu’on en est assez loin. Il est important, dans le contexte que nous traversons, d’être modestes et pragmatiques. Cela nécessite que tout le monde se serre les coudes et s’abstienne de dire : "Il faut faire ci, il n’y a qu’à faire ça." Il n’existe pas de solution systémique qui résoudrait toute l’équation du changement climatique à elle seule. Il y a, en revanche, beaucoup de bonne volonté, beaucoup d’initiatives qu’il faut concrétiser. Notre rôle en tant qu’acteur public, responsable d’un territoire comme celui-ci, c’est de permettre cette concrétisation, plutôt que de faire à la place des autres, d’interdire ou de contraindre. C’est par cette coopération entre le local et le global, le privé et le public, que l’on y parviendra.

Propos recueillis par Alban Castres

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