Alors que l’Assemblée nationale s’est prononcée en faveur d’une réforme des tribunaux de commerce, les nouveaux tribunaux des affaires économiques, aux compétences élargies, seront testés 4 années durant à titre expérimental. Maxime de Guillenchmidt, avocat associé du cabinet DGA, revient sur l’incidence du projet de loi sur les entreprises en difficulté. Rencontre.

Décideurs. Le tribunal de commerce sera-t-il encore considéré comme le "tribunal des marchands pour les marchands"?

Maxime de Guillenchmidt. Il s’agit d’une expression ancienne pour parler des tribunaux de commerce. La majeure partie du projet, avec l’élargissement à différentes professions, ne la remet pas en cause. Les agriculteurs sont aussi des marchands, ils produisent et vendent leurs produits en suivant le même processus économique. Quant aux professions libérales, il ne me parait pas incohérent de les inclure dans les futures compétences des tribunaux d’activité économique. La SAS est d’ailleurs de plus en plus utilisée par des cabinets d’avocats. Les professions libérales réglementées sont pour le moment exclues de l’élargissement mais la discussion est en cours devant l’Assemblée nationale. En tant que professions libérales, nous avons notamment recours aux procédures de sauvegarde. Il y a un sens à les soumettre à un même tribunal spécialisé. Dès lors, pour l’uniformité du droit et l’égalité devant la justice, il est cohérent de rassembler tous ces contentieux.

La remise en question des juges consulaires a été une des pierres d’achoppement du projet de loi, le Sénat ayant retiré cet élément du texte, le pouvoir des juges consulaires est-il sauf ?

La proposition d’introduire des juges de carrière aux côtés des juges consulaires – l’échevinage – est un serpent de mer depuis plus de trente ans. Cela n’a pas été fait avant, notamment pour des questions de budget. Il faut aussi rappeler que le taux de réformation en appel est parmi les plus faibles : il n’y a pas plus de décisions rendues par des tribunaux de commerce annulées que de décisions rendues par des tribunaux judiciaires. Un signe objectif que la justice consulaire fonctionne bien. Ce qui a le plus été critiqué dans cette partie du projet de loi est le fait que les juges de carrière auraient été assesseurs. Le magistrat, en titre, aurait donc eu une importance moindre que celle du juge consulaire. Difficile à accepter pour les premiers. D’anciens juges d’instruction ou procureurs auraient été placés dans des chambres par d’anciens chefs d’entreprise aujourd’hui présidents de tribunaux de commerce. Au stade actuel des discussions, le projet d’échevinage est abandonné.

Le cumul des compétences économiques et juridiques est nécessaire dans les tribunaux de commerce. La formation des magistrats et des tiers est-elle adaptée à cette évolution ?

Il est également nécessaire que les juges consulaires aient une compétence juridique. Ils ont une formation en droit de plus de 80 heures, doublée d’un contrôle continu. Plutôt que de faire venir des magistrats pour juger avec eux, il serait plus intéressant que chaque tribunal de commerce ait un ou deux magistrats référents avec un rôle de conseil, notamment pour les questions procédurales. Il serait aussi pertinent d’accroître la formation des juges qui statuent sur des affaires économiques en cour d’appel pour les décisions rendues en première instance par les tribunaux de commerce. Un magistrat peut également passer d’une chambre sur les affaires immobilières à une chambre qui va juger des appels des tribunaux de commerce, sans avoir de connaissance approfondie des problématiques de l’entreprise. Il ne faut pas que certains juges n’aient qu’une compétence juridique et les autres une strictement économique, mais qu’ils aient tous une double connaissance .

"La justice économique risque d’être plus onéreuse pour les sociétés" 

Au regard du rattrapage du taux de défaillances en 2023, la réforme du cadre juridique n’est-elle pas de nature à présenter un risque d’instabilité pour les entreprises en difficulté ?

Tel que le projet se présente aujourd’hui, cela ne devrait pas changer grand-chose pour les entreprises. Il y aura cependant plus de travail car des professions vont s’ajouter aux dossiers à traiter. Le risque est d’augmenter les délais de traitement des affaires. À ce titre, il faut espérer que la réforme s’accompagne de recrutements. Des agriculteurs ou des professions libérales ont été évoqués pour accroître les effectifs, notamment car les dossiers les concernant ne seront plus au rôle des tribunaux judiciaires. Il faut garder la rapidité et la fluidité de traitement des dossiers devant les tribunaux de commerce, qu’il s’agisse des défaillances d’entreprise ou de contentieux, ce sont souvent des cas d’urgence. Ce qui risque de changer réellement pour les entreprises est le projet de contribution financière de 5 %, plafonnée à hauteur de 100 000 euros. La justice économique risque d’être plus onéreuse pour les sociétés, même si l’Assemblée nationale vient d’adopter un amendement excluant les entreprises de moins de 250 personnes de cette contribution.

Quelles conséquences sur les procédures amiables ? 

Le recours aux procédures amiables sera ainsi encouragé, notamment pour éviter cette contribution financière et la durée de la procédure. Mais la question de la constitutionnalité de cette contribution se posera, car elle remet en cause l’accès à la justice.

Comment aller plus loin dans l’amélioration de la justice commerciale ?

La justice doit se saisir du sujet de l’intelligence artificielle. Il y aura toujours des hommes et des juges qui statueront, mais l’IA va devenir un outil incontournable. Les sociétés jugées, et leurs avocats, l’utilisent déjà. Les tribunaux de commerce peuvent montrer la voie de la modernisation de la justice en s’appropriant ces outils. Leur structure organisée avec des greffes privés largement informatisés et qui fonctionnent bien facilitera cette tâche.

 

Propos recueillis par Céline Toni

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