Jean-François Cizain, responsable de la pratique Restructuring au sein de la banque d’affaires Messier & Associés, a deux amours, le financement de projets et les entreprises en difficulté. Une compétence bicéphale héritée du dossier Eurotunnel, celui d’une vie, et qu’il s’attache à encourager au sein de ses équipes.

Décideurs. Comment avez-vous choisi la voie du restructuring ?

Jean-François Cizain. J’ai commencé ma carrière chez Lazard à Londres en financement de projets. Mon patron, Marc Gidney – à qui je dois une grande partie de ma carrière – avait, dans les années quatre-vingt, travaillé sur la mise en place du financement d’Eurotunnel. Il avait gardé des liens au sein du département anglais des transports qui soutenait Railtrack, l’équivalent de RFF [Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau, Ndlr]. Ainsi, à la fin des années quatre-vingt-dix, nous sommes intervenus sur la modernisation du réseau ferré anglais, notamment pour la ligne à grande vitesse reliant le tunnel sous la Manche à Londres. Début 2000, Railtrack a fait faillite et nous avons conseillé le département des transports britannique pour sauver la société. Une mission qui a duré 4 ans. En 2005, quand Lazard Paris a obtenu le mandat pour la restructuration d’Eurotunnel, j’ai naturellement quitté l’équipe londonienne pour m’impliquer sur le dossier.

Eurotunnel a-t-il été le dossier le plus marquant de votre carrière ?

Forcément, car je pense que c’est aussi celui qui a été le plus marquant en France. La complexité de cette restructuration demeure incomparable à toutes les autres : la loi de sauvegarde des entreprises [loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, Ndlr] a été mise en œuvre pour la première fois, la structure de capital était sans précédent, avec pas moins de 14 tranches de dette, et la société avait été construite sur un accord intergouvernemental entre la France et le Royaume-Uni. Cela restera le dossier de ma vie.

J’ai également beaucoup aimé intervenir sur la restructuration particulièrement complexe d’Alma Consulting, juste après avoir pris mon indépendance avec la création de ma société. Et j’apprécie toujours de conseiller des entrepreneurs, comme Robert Lohr ou Luc Besson même si être aux côtés de quelqu’un qui risque de tout perdre est un enjeu tout autre.

"Il ne faut jamais perdre de vue que chaque situation est unique"

De quelles qualités doit-on disposer dans ce métier ?

Tout d’abord, il ne faut jamais perdre de vue que chaque situation est unique. Comme pour un chirurgien, il faut savoir prendre suffisamment de distance pour ne pas en faire une affaire personnelle.

Je me souviens de ce que me disait Marcus Agius, alors le patron de Lazard Londres: "Il faut toujours répondre aux trois "C"".” Être "compétent", notamment sur le droit local, que la firme dans laquelle vous travaillez soit "committed", afin de ne pas vous lâcher quand la pression est trop forte pour sauver des deals M&A, et être "connecté", particulièrement en France où il faut comprendre tout l’écosystème.

De même, il ne peut y avoir de bonne équipe restructuring sans une pratique solide en M&A, ce que Rothschild a parfaitement compris. Sinon, vous serez forcément cantonnés à un rôle de conseil des créanciers. Pour autant, il ne faut pas être un banquier qui navigue entre les deux car les codes sont différents. En M&A, le diner de closing réunissant l’acheteur et le vendeur fait partie de la tradition, mais il est inimaginable en restructuring.

En revanche, mon équipe est essentiellement composée d’ingénieurs. La discipline sur le cash-flow et la structuration est inhérente au financement de projets, puisque les règles sont d’allouer les risques à la partie qui peut le mieux les supporter. C’est assez similaire au restructuring, ce qui facilite le passage de l’un à l’autre.

Quelle est votre vision du marché ? Comment le voyez-vous évoluer ?

Grâce au travail formidable de l’État avec les PGE, nous n’avons pas vu ce fameux mur de la dette. Aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge : tension financière, inflation et augmentation des coûts. S’il n’y a pas de crise demain, il n’y en aura jamais. Et les sociétés ne pourront pas tout imputer à leurs clients. La question est de savoir si elles passeront par la phase de l’amiable ou si elles iront directement au judiciaire.

Parcours

  • 1995 : double diplôme HEC et École spéciale des travaux publics (ESTP).
  • 1995-2013 : 17 ans de carrière au sein de Lazard à Londres et Paris en financement de projet et debt advisory, où il débute comme analyste et termine gérant.
  • 2013 : fonde Special Debt Situations ltd, un cabinet de conseil spécialisé dans le conseil en structure de capital et restructuration financière.
  • 2015 : rejoint Messier & Associés.

Propos recueillis par Béatrice Constans 

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