Pour le secrétaire général adjoint en charge de la classe d'actifs à l'AMF, les réglementations AIFM et OPCVM définissent un cadre robuste pour les investisseurs. 
Décideurs. Pouvez-vous revenir en quelques mots sur les nouvelles obligations prévues par la directive européenne AIFM ? Qui est concerné ?
Xavier Parain. Le monde de la gestion d'actifs est découpé en deux blocs. D’une part, les OPCVM – fonds grand public – qui relèvent de la directive OPCVM et qui peuvent être passeportés et distribués partout en Europe. D’autre part, les fonds d’investissement alternatifs et tous les autres fonds qui ne sont pas des OPCVM. À l'occasion de différentes rencontres du G20, suite à la crise financière de 2008-2009, un consensus s'est détaché : une partie de la crise financière s'expliquait par le comportement des hedge funds. Ainsi, sous l’impulsion du G20, la Commission européenne a élaboré et adopté un texte permettant de mieux réguler les gestionnaires de ces types de fonds et d’apporter, en particulier, plus de protection aux investisseurs. Les fonds relevant de la directive AIFM sont appelés « fonds d’investissement alternatifs » (FIA). En France, beaucoup de fonds évoluent dans cet univers puisque l'on dénombre 9 000 FIA contre environ 3 000 OPCVM ! Ainsi, de nouvelles règles encadrent désormais les gestionnaires de fonds AIFM, avec, par exemple, des règles sur le risque de liquidité, l’effet de levier du fonds, ou sur le reporting à effectuer auprès des investisseurs et des régulateurs. L’une des obligations imposées par la directive et qui constitue une protection majeure pour les investisseurs est l’obligation de désigner un dépositaire. Ainsi, les actifs des clients gérés par les sociétés de gestion ne sont pas en risque car ils sont conservés par un dépositaire indépendant de la société de gestion. En France, cette obligation existait déjà, sauf pour les SCPI, mais ce principe est une notion nouvelle pour bon nombre de pays européens.
Pour les acteurs français qui étaient déjà régulés avant la directive AIFM, le travail de mise en conformité avec la nouvelle réglementation est simplifié. Seulement huit sujets nécessitent potentiellement des ajustements de la part des sociétés de gestion : la gestion de la liquidité pour les FIA ouverts, la délégation des fonctions de la société de gestion, l’investissement dans des positions de titrisation, les fonds propres réglementaires, le reporting et l’effet de levier, l’évaluation, la rémunération et le dépositaire. Les autres acteurs, quant à eux, doivent se soumettre à un examen de passage complet pour obtenir l'agrément de l’AMF.
À noter, enfin, que les FCPE relèvent de la réglementation AIFM. Tous leurs gestionnaires ont dû s’adapter à ces nouvelles contraintes. Les entreprises qui ont mis en place un dispositif d’épargne salariale sont donc, indirectement, concernées par le régime AIFM.
In fine, la directive AIFM a élargi la notion de gestionnaire et a ainsi ramené tout un pan non régulé de la gestion d’actifs vers la réglementation.

Décideurs. Quels sont les avantages pour les sociétés de gestion dont l’encours de FIA sous gestion est en dessous des seuils de la directive à opter pour ce régime ?
X. P. Tout d’abord, la directive AIFM offre la possibilité aux sociétés de gestion d'obtenir des passeports permettant de commercialiser leurs produits en Europe vers les investisseurs professionnels. C'est une disposition intéressante pour des petits gestionnaires qui souhaitent aller chercher des opportunités de développement en dehors de la France.
Par ailleurs, les acteurs ont parfois retourné cette contrainte réglementaire en argument commercial ou de qualité de leur processus de gestion.
L’exemple du traitement des nouvelles dispositions relatives à la rémunération est caractéristique : les bonus devront désormais être payés en différé, sur le même horizon de temps que les investisseurs, et seront calculés en fonction de la performance du fonds. Les sociétés de gestion mettent en avant ce point comme une mesure d'alignement des intérêts entre investisseurs et « preneurs de risques ». Enfin, beaucoup de sociétés de gestion nous disent qu’AIFM est en train de devenir une sorte de label. En effet, les investisseurs institutionnels y sont de plus en plus sensibles. Au point même que cela devient parfois un prérequis pour certains de leurs appels d'offres.

Décideurs. Constatez-vous un engouement de la part de ce type d’acteurs ? De manière générale, quel premier bilan pouvez-vous tirer ?
X. P. L’AMF s’attend à recevoir entre 200 et 250 demandes d’agrément AIFM. Ce chiffre n’est pas précis car nous ne pouvons évidemment pas présumer des sociétés qui vont décider volontairement d'opter pour ce nouveau régime. Beaucoup de dossiers ont été déposés entre fin mars et début avril. À mi-juin, plus d’une centaine d’acteurs ont été agréés, ce qui est plutôt positif. La date limite de dépôt est fixée au 22 juillet 2014 et l'AMF statuera au maximum dans les six mois suivants. L'examen des premiers dossiers fin 2013 nous a permis de passer en revue tous les types d'acteurs, de grande taille comme de petite taille, toutes les classes d'actifs jusqu'au private equity et à l'immobilier, et à peu près tous les cas de figure. Autrement dit, nous avons pu stabiliser notre doctrine et bien roder le processus d’agrément dans les meilleures conditions.
Ces deux dernières années, nous avons beaucoup dialogué avec les acteurs, au travers de séminaires, par courrier, en bilatéral, ce qui a permis de bien préparer le terrain. Aucun dossier n’est arrivé à l’AMF sans un minimum de préparation en amont. Accompagner les acteurs de la gestion est une priorité pour l’AMF, en particulier dans une période riche en modifications réglementaires. De notre côté, nous avons réalisé, en coordination avec le Trésor, un travail de mise en conformité réglementaire conséquent et nous allons mettre à jour quarante documents de doctrine et une dizaine d'instructions. L’objectif de l’AMF a été de respecter l’esprit du texte européen tout en s’assurant d’une transposition intelligente pour les acteurs.

Décideurs. Aujourd’hui, quelles sont les difficultés auxquelles les gestionnaires sont confrontés dans le cadre de la mise en œuvre de la directive AIFM ?
X. P. Les sociétés de gestion ont eu beaucoup de travail à réaliser. Je pense notamment à la mise en place concrète des obligations relatives au reporting à l’AMF, ou encore à certains acteurs, tels que les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), qui ont dû mettre en place un dépositaire ou, enfin, aux acteurs non régulés jusqu’alors qui ont dû déposer une demande d’agrément pour la première fois.
Mais, dans la plupart des cas, le modèle français était déjà à 90% compatible avec le régime AIFM. En effet, les structures travaillaient déjà avec un dépositaire ; l’application du nouveau régime impliquait donc de mettre à niveau les conventions avec ces mêmes dépositaires. Par ailleurs, les missions de contrôle étaient, elles aussi, bien présentes en France, c'est d'ailleurs l'exemple français qui a inspiré le législateur européen, même si elles devront être adaptées lors de la mise en place du cadre AIFM.
De manière générale, il s'agit, sauf exception, de règles désormais acceptées par les acteurs et qui ne représentent pas un big bang pour la gestion d’actifs en France.

Décideurs. Que retenir au final de ce nouveau cadre réglementaire ?
X. P. Au global, AIFM et OPCVM définissent un cadre robuste pour les investisseurs. Le régulateur disposera de la capacité à surveiller l'activité des gestionnaires, permettant ainsi une meilleure connaissance de l’activité de la gestion d’actifs, la prévention et la compréhension de potentielles futures crises financières. Par ailleurs, le fait qu’un certain nombre de gestionnaires européens puissent demander des passeports AIFM pour commercialiser leurs produits en France vers les investisseurs professionnels pourrait modifier le système de distribution des produits d’investissement.

Décideurs. Pour une société de gestion de portefeuille qui est soumise à la fois à la directive AIFM et à la directive OPCVM, les obligations issues de la directive AIFM s’étendent-elles à la gestion d’OPCVM ?
X. P. Les dispositions de la directive AIFM n'ont pas vocation à s'appliquer à la gestion d'OPCVM. Les dispositions prévues dans le cadre d'AIFM ne s'appliquent donc à la société de gestion que pour son activité de gestion de fonds d'investissement alternatif. Toutefois, le projet de directive OPCVM 5 prévoit un certain nombre de mesures d'harmonisation entre les deux régimes.

Décideurs. Justement, le Parlement européen a adopté il y a quelques semaines la directive OPCVM V. Quelles sont les principales nouvelles mesures ?
X. P. La directive OPCVM V va permettre d'ajuster la précédente directive par l’intégration de quelques innovations. La réglementation sur les OPCVM a évolué de manière historique et s'avère plutôt robuste et reconnue. Trois nouveautés calquées sur la directive AIFM sont à signaler : les missions du dépositaire vont être réajustées ; les règles de paiement sur les rémunérations variables seront alignées avec les intérêts des investisseurs ; enfin, la directive prévoit une harmonisation sur un niveau minimum de sanction qui s'appliquera en Europe, instaurant ainsi un régime et un fonctionnement uniques. La France dispose de dix-huit mois pour transposer OPCVM V dans son droit national.

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz

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