Entretien avec Jacques Séguéla, publicitaire, fondateur en 1968 de l'agence RSCG et vice-président d’Havas (avec laquelle elle a fusionné en 1993). Il vient de publier chez Peaon avec Christophe Haag Génération QE, Le quotient émotionnel, arme anticrise.L’homme à la Rolex et au bronzage éternel est l’auteur de 20 campagnes présidentielles, dont celles de François Mitterrand et de Lionel Jospin. « La force tranquille » en 1981, « Génération Mitterrand » 7 a après ou « D'abord l'emploi » sont de sa plume.

Entretien avec Jacques Séguéla, publicitaire, fondateur en 1968 de l'agence RSCG et vice-président d’Havas (avec laquelle elle a fusionné en 1993). Il vient de publier chez Pearson avec Christophe Haag Génération QE, Le quotient émotionnel, arme anticrise.
L’homme à la Rolex et au bronzage éternel est l’auteur de 20 campagnes présidentielles, dont celles de François Mitterrand et de Lionel Jospin. « La force tranquille » en 1981, « Génération Mitterrand » 7 ans après ou « D'abord l'emploi » sont de sa plume.


Décideurs : Pensez-vous, comme le déclare Henri Guaino, que trop de transparence [en politique] conduit à une forme de totalitarisme ?
Jacques Séguéla :
La transparence est la vertu cardinale de l’homme politique moderne. C’est tout le contraire de la vacuité et de l’innocuité. Dans notre société de l’image, chaque mot est compté. Le Net est la plus belle invention du communicant, mais c’est aussi le grand artificier de cette destruction.
Depuis les années Mitterrand, nous vivons dans une démocratie directe. Avec Nicolas Sarkozy, nous sommes passés à une démocratie en direct. Tout est en live à la télévision. Aux Etats-Unis, cette situation est encore plus fragrante. Malgré plus de 300 chaînes de télévision, Barack Obama est omniprésent à toute heure de la journée.
François Mitterrand avait « donné du temps au temps ». Nicolas Sarkozy, hyperprésident, préfère « voler du temps au temps ».

Décideurs : Les vidéos de dérapage (Brice Hortefeux, Éric Besson, etc.) de politiques doivent-elles être diffusées et autant commentées ? A l’ère de la communication à n’importe quel prix, les médias ne développent-ils pas la non-information via scoops et non informations ?
J. S. :
La société, la politique, la justice et les médias sont devenus de véritables spectacles. Des spectacles néanmoins plus proches de la publicité – format de 30 secondes – que du cinéma. A la grande messe du 20 heures, une interview d’homme politique ne dure que 2 minutes. Dans le meilleur des cas, elle ne devra pas dépasser 6 minutes.
C’est la publicité qui pressurise les médias. Notre société de zapping morcelle leur message. Cette liberté de choix a célébré la génération de la télécommande, si bien qu’on assiste dorénavant à un mode de consommation de zappeurs, de cliqueurs et de zap-élécteurs.
A l’image d’un écran de publicité où l’on oublie rapidement le message, la communication actuelle fourvoie notre société politique. Comment le marché peut-il se calmer ? Nicolas Sarkozy, contre nature, a décidé depuis quelque temps de réduire sa puissance de feu médiatique. Il reste pourtant victime de sa stratégie de communication qui l’a conduit jusqu’à des cotes de popularité de près de 65 %.
Internet a une influence très destructrice lorsqu’il privilégie la dérision à l’information. Or, cette information, mission superbe de la Toile, est souvent détrônée par le buzz créé par la parodie, la caricature et la désinformation. La phrase isolée de son contexte fait dorénavant foi.
La publicité a instauré une véritable propagande. C’est le fascisme de la consommation. Aucun droit de réponse à ce monologue n’était auparavant possible. Le Net apporte une démocratie participative de la consommation. Si bien que les hommes politiques sont devenus des marques et réagissent d’ailleurs comme telles.

Décideurs : Le tutoiement aux journalistes et la confusion entre on et off chez les politiques constituent-ils une nouvelle forme de communication privilégiant l’intime ?
J. S. :
Le tutoiement des politiques et des journalistes est une dérive du monde de la publicité. Dans l’univers des artistes, tout le monde se tutoie. Il a déteint sur le politique et les médias l’utilisent, comme la publicité l’a fait auparavant.
La distinction entre le tu et le vous est un peu ridicule. Le tutoiement, c’est la proximité, la transparence et l’accélération du temps. Il fait gagner du temps et les politiques ont besoin de se rapprocher de la population. Le vouvoiement est un truc de riches. Les pauvres, eux, se tutoient.
La dérive est telle qu’on voit mal comment revenir au vous. Nous sommes au siècle du tutoiement, de l’émotion, du live, de la téléréalité et du partage.

Décideurs : Les médias, après avoir adulé Nicolas Sarkozy, semblent désormais emprunter le chemin de la critique acerbe. Se substituent-ils à l’opposition politique quasi inexistante ?
J. S. :
La presse est un hautparleur. Elle n’est hostile à Nicolas Sarkozy que depuis peu de temps.
La presse est presque par vocation de gauche. Devant l’innocuité du P.S et du reste de la classe politique à s’exprimer, le public ne se laisse pourtant pas avoir. Il se fait son quant à soi.
Nous sommes dans une société de spectacle avec un jeu de rôle. C’est une série, et que nous soyons public, politique ou média, nous en sommes tous accros ! Le public n’aime pas les politiques eux-mêmes, ni la politique en générale. En revanche, il raffole des joutes et des combats politiques. Seulement, si trop de publicité a tué la publicité, trop de politique risque bien de tuer la politique.

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