En 1936, le célèbre écrivain publiait Retour de l'URSS. Si l'on remplace Poutine par Staline, Occidentaux par capitaliste et URSS par Russie, l'ouvrage n'a pas pris une ride.

Juin 1936, André Gide entame un voyage de plusieurs mois en URSS à l’invitation des autorités soviétiques. Traité avec égard, il s’avère, comme il le dit lui-même, un "investissement peu rentable". Quelques mois après son périple, l’auteur publie Retour de l’URSS, qui sera un best-seller. Il y dévoile des aspects alors inconnus du régime stalinien : impossibilité de deviner les pensées réelles d’une population soumise à une propagande intense, travestissement de la réalité économique et militaire du pays, différences sociales très importantes, sentiment profond d’être entouré d’ennemis, dénigrement systématique de l’« Étranger » décrit comme un agresseur, autocensure des artistes et intellectuels, culte de la force physique, roman national célébrant le rôle messianique de la Russie… Depuis quelques mois, l’ouvrage connaît une seconde jeunesse et se trouve en rupture de stock dans la plupart des librairies. Si l’on remplace URSS par Russie, Staline par Poutine et capitalistes par Otan ou Occidentaux, l’œuvre n’a pas pris une ride. Certains termes étaient interdits sous peine de sanctions  ? Aujourd’hui, malheur à qui ose prononcer le mot guerre. Les artistes et personnalités médiatiques sont réservés sur la stratégie menée en Ukraine ? Ils doivent pourtant chanter publiquement les louanges du régime et de son chef pour garder leurs prébendes. Le peuple est, paraît-il, derrière son chef. Mais comment peut-on en être certain, les Russes ayant appris, comme le montre Gide, à ne pas parler politique en public ? Quelques années après l’écriture de son récit percutant, l’URSS a envahi la Finlande et s’est heurtée à la vive résistance d’un pays censé tomber comme un fruit mûr dans l’escarcelle stalinienne. Ce qui n’a pas empêché la propagande officielle d’enchaîner les communiqués annonçant de brillantes victoires. Encore une fois, la ressemblance avec la situation actuelle est frappante. Elle montre, pour ceux qui en doutent encore, que l’Histoire est un éternel recommencement.

Lucas Jakubowicz

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