"La réglementation de la gestion collective a eu des effets pervers sur la gouvernance des sociétés"
Décideurs. Vous militez pour une nouvelle législation sur la gouvernance des sociétés, notamment sur le rôle des actionnaires !

Colette Neuville. Je suis effectivement frappée par le fait que l’on a beaucoup dénoncé les « coûts d’agence » à propos de la divergence d’intérêts entre managers et
actionnaires, mais très peu relevé les effets pervers de la généralisation de la gestion collective sur la gouvernance des sociétés. Désormais, hormis dans les groupes familiaux, ce ne sont plus les apporteurs de capitaux qui sont actionnaires, mais les organismes de placements collectifs. Or, leurs intérêts ne sont pas
forcément alignés sur ceux des sociétés. La concurrence qui s’exerce entre des gérants soumis à une cotation quotidienne (c’est le cas de la plupart d’entre eux) les incite à rechercher la meilleure valorisation à court terme, ce qui ne passe pas nécessairement par l’utilisation des droits et des pouvoirs attachés aux actions qu’ils détiennent. La meilleure preuve est qu’il a fallu légiférer pour les obliger à utiliser leurs droits de vote. À l’exception de quelques indépendants, la plupart des gérants n’utilisent pas leurs autres droits d’actionnaires. Beaucoup pratiquent même le prêt de titres pour améliorer leurs performances. Il en résulte une vacance des contrepouvoirs, pourtant indispensables au bon fonctionnement des sociétés.
On peut ajouter que la généralisation de cet actionnariat financier a largement contribué à la financiarisation des entreprises. L’exigence de liquidité à laquelle sont astreints la plupart d’entre eux les incite à préférer les entreprises qui privilégient les performances à court terme et à délaisser les entreprises petites et moyennes au profit des sociétés à large capitalisation boursière.


Décideurs. Faut-il légiférer pour en finir avec l’actionnariat « passif » ?

C. N. Il faut certainement modifier le cadre institutionnel si l’on veut améliorer la gouvernance des entreprises et leur permettre d’échapper à la dictature du court terme. Il y a au moins deux domaines dans lesquels il serait souhaitable de changer les règles du jeu. D’abord en droit des sociétés, il faudrait que les actionnaires à long terme disposent de plus de droits et de pouvoirs que les actionnaires de passage. C’est la participation aux risques de l’entreprise qui légitime le droit des actionnaires à participer aux décisions importantes et à partager les bénéfices. C’est pourquoi je suis maintenant favorable au développement des droits de vote doubles et des dividendes majorés. Ensuite, il faudrait modifier la réglementation des OPCVM, trop procyclique, et développer des fonds d’investissement en actions fermés. Il s’agit de permettre aux gérants de se comporter en actionnaires à long terme. L’initiative du Fonds stratégique de placement (FSP) prôné par les assureurs va dans le bon sens s’il ne se comporte pas en actionnaire dormant.


Décideurs. Certains actionnaires peuvent même agir contre l’intérêt de l’entreprise…

C. N. Effectivement. C’est le cas notamment des actionnaires qui se sont lourdement endettés pour acheter leurs titres – souvent nantis auprès des banques créancières – et qui sont ainsi incités à distribuer de gros dividendes pour payer les appels de marge et rembourser leurs emprunts. Il y a manifestement conflit entre l’intérêt de ces actionnaires et l’intérêt de la société. La première réforme souhaitable dans de tels cas de figure est la transparence, en raison des risques que ces situations font courir aux autres actionnaires, notamment le risque de changement de contrôle au profit des banques. Il faudrait donc rendre obligatoire la publication des nantissements et des covenants pesant sur les participations des actionnaires de référence. Mais il faudrait aller plus loin et, comme pour les conventions réglementées, interdire aux actionnaires intéressés de prendre part au vote des résolutions qui les concernent, en particulier celles relatives aux dividendes.


Décideurs. Une dernière conviction ?

C. N. Au lieu de vilipender les actionnaires, il faudrait reconnaître leur utilité sociale, notamment par une politique fiscale adaptée – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce sont pourtant les actionnaires qui apportent aux entreprises les fonds propres dont elles ont besoin pour se développer et créer des emplois. Il est de l’intérêt général de les encourager à le faire.

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