L’instauration d’actions à droit de vote multiple fait partie de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la place de Paris. Objectif : doper les introductions en Bourse de start-up. Fait assez rare, pour l’instant ses dispositions sont mieux-disantes que ce qui se pratique dans d’autres grandes places financières.

Entre 2020 et 2021, les start-up se finançaient sans trop de difficultés grâce à des levées de fonds. Depuis presque deux ans, la ferveur est redescendue notamment à cause de la hausse des taux. Le tarissement du marché aurait pu permettre de relancer un autre moyen de financement: les introductions en Bourse. Pourtant, celles-ci n’attirent pas davantage. La première place financière d’Europe qu’est devenu Paris depuis le Brexit a décidé d’agir pour donner un nouveau souffle aux IPO des start-up. Le 9 avril était débattue en séance publique à l’Assemblée nationale la proposition de loi "visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France". Porté par le député Renaissance Alexandre Holroyd, le texte comporte une mesure phare : l’instauration de droits de vote multiples.

Changement de dogme

Pendant longtemps, un principe prévalait: une action d’entreprise devait être égale à une voix. En 2014, la législation évolue. La loi Florange instaure les droits de vote doubles. Le but ? Récompenser les actionnaires les plus fidèles. À l’époque, l’idée fait couler beaucoup d’encre, certains experts déplorant le manque d’équité dès lors instauré entre les porteurs de parts. "Avec les droits de vote multiples, on entre dans une dimension différente, estime Jérôme Brosset, avocat associé en corporate chez August Debouzy. Il ne s’agit plus de fidéliser les actionnaires mais de revivifier le marché des IPO en assurant aux fondateurs de pouvoir mener une augmentation de capital sans perte possible du contrôle de leur entreprise."

Un changement de doctrine qu’assume totalement Alexandre Holroyd pour qui la loi doit s’adapter au nouveau contexte économique. "Aujourd’hui les entreprises émergent vite et affichent des trajectoires de croissance très rapides, explique le député. La proposition de loi s’adapte à son temps en proposant un outil supplémentaire aux entrepreneurs qui souhaitent aller sur les marchés publics pour se financer tout en protégeant leur projet."

Peu de limites, beaucoup de temps

Dans le détail, la proposition n’instaure pas de limite au nombre de droits de vote par action sur le marché réglementé. En outre, ces droits pourraient être activés pendant dix ans, période renouvelable une fois pour cinq ans, soit une durée relativement longue pour ce type d’instruments. "Ce texte va au-delà de ce qui est prévu sur une place financière comme Londres en n’instaurant pas de limite au multiple pour les sociétés qui serait cotées sur le marché réglementé (avec proposition de limite à 25 droits de vote par action pour les sociétés sur EuronextGrowth)", précise Jérôme Brosset. Un rapport publié en amont par le Haut Comité juridique de la place financière de Paris proposait en 2022 d’encadrer le principe avec un ratio de 1 à 10.

"Aujourd’hui on constate plus de sorties de cote que d’entrées et ce n’est pas conjoncturel"

Pourquoi aller au-delà des recommandations ? Parce que les risques semblent limités. "Quand des investisseurs envisagent de se positionner de manière importante sur une société, ils regardent en priorité les conditions financières et les droits à la gouvernance, souligne Alexandre Holroyd. Il est assez peu probable qu’ils acceptent des ratios démesurés." Les candidates à une IPO s’avèrent également suffisamment averties pour ne pas proposer des niveaux irrationnels. "Lorsqu’une entreprise et sa banque décident de mettre en place des droits de vote multiples, elles savent que cela peut peser à la baisse sur le prix du titre." Le député l’assure : "D’un côté comme de l’autre, on parle d’acteurs sophistiqués qui agissent dans leurs intérêts particuliers. La loi dessine un cadre, mais ce sont les acteurs économiques qui choisissent et négocient les conditions de mise sur le marché."

Barrières psychologiques

Certains investisseurs pourraient-ils être freinés par l’instauration de droits de votes multiples qui donneraient de facto davantage de pouvoir aux fondateurs ? "C’est une possibilité, répond Jérôme Brosset. Mais le but premier de la proposition de loi est de donner envie aux fondateurs d’aller en Bourse. Aujourd’hui on constate plus de sorties de cote que d’entrées et ce n’est pas conjoncturel. La réglementation appliquée aux sociétés cotées est tellement riche voire contraignante que cela peut faire peur."

Quant aux fondateurs, seront-ils conquis par le dispositif ? Difficile à dire tant qu’il n’est pas en place mais l’avocat constate quelques frémissements sur le sujet. "Il y a des seuils psychologiques. Détenir moins de 50 % des droits de vote de sa société en est un, estime Jérôme Brosset. En laissant la possibilité durant quinze ans de rester majoritaire politiquement, la loi permet aux entrepreneurs de mener à bien leur plan de développement de la société qu’ils ont créée."

Réserves de l'AMF

Les débats sont toutefois loin d’être achevés. Le texte doit passer mi-mai devant le Sénat. Les élus entendront peut-être les réserves émises par l’Autorité des marchés financiers. Alexandre Holroyd ne fait pas de prévisions quant à l’issue des débats. Il rappelle en revanche que : "L’AMF soutient l’esprit de cette proposition de loi. Nous avons des différences sur l’appréciation des seuils. Néanmoins chacun doit rester à sa place. Nous avons la chance d’avoir un régulateur compétent et indépendant mais il appartient au Parlement de décider."

Pour sa part, Jérôme Brosset estime "possible que le Sénat instaure une limite car certains acteurs considèrent que cela va trop loin. Dans les faits, on peut penser qu’il y aura une sorte de pratique de place qui fera qu’on devrait s’orienter vers des droits de vote multiples de 10 (comme Meta ou Alphabet) et rarement des droits de vote multiples de 100, voire 200 (comme c’est le cas chez Berkshire Hathaway)".

Risques de gouvernance

Ce système n’est pas sans risques. "On a pu constater avec l’instauration des droits de vote doubles que certains say on pay (résolutions sur les rémunérations des dirigeants soumises au vote des actionnaires, ndlr) ne seraient pas passés lors des votes en assemblée générale si ce dispositif n’avait pas été mis en place. Avec les droits de vote multiples ces effets risquent d’être démultipliés" puisque les dirigeants auront davantage de droits de vote, prévient l’associé d’August Debouzy. Pour l’instant seules deux limites ont été fixées : les droits de vote multiples seront neutralisés pour la nomination des commissaires aux comptes et l’approbation des comptes. Le Haut Comité réclamait, lui, également une exception pour les conventions réglementées et le say on pay.

"C’est une mesure surtout symbolique. Je ne sais pas si elle pourra débloquer le marché mais elle va dans la bonne direction"

Pour le député Renaissance, il convient de débattre chaque problématique dans le bon contexte : "Je pense que le say on pay – mais aussi le say on climate (résolution soumise au vote des actionnaires pour recueillir leur avis sur la stratégie climatique de l’entreprise, ndlr) – sont des sujets primordiaux mais un peu différents de celui qui consiste à vouloir soutenir la croissance des entreprises. D’ailleurs, le say on pay concerne assez peu les entreprises qui se lancent dans une IPO mais plutôt les sociétés davantage matures, explicite-t-il. Je crois qu’il faut renforcer le dialogue actionnarial, notamment en facilitant le dépôt de résolution en assemblée générale de manière à renforcer le poids des investisseurs. Le gouvernement y réfléchit."

Évolution ou révolution ?

Les droits de vote multiples relèvent-ils de la révolution ou seulement de l’évolution ? "C’est une mesure surtout symbolique. Je ne sais pas si elle pourra débloquer le marché mais elle va dans la bonne direction, reconnaît Jérôme Brosset. Nous sommes dans une compétition, beaucoup de sociétés vont se coter à Amsterdam pour des raisons de gouvernance mais aussi pour des raisons fiscales. Il faut au moins pouvoir proposer la même souplesse sur le premier point."

Pour Alexandre Holroyd, il est surtout nécessaire de mettre le sujet en perspective : "Chacun doit comprendre que l’Europe décroche en matière de financement des entreprises. Ce qui est dramatique pour le financement de la transition numérique et environnementale." Les débats qui consistent à savoir qui sera ou restera la première place financière sur le continent ne sont pas à refermer mais restent secondaires au regard de la concurrence internationale. "L’enjeu européen consiste à mettre en relation l’immense épargne européenne et l’immense besoin d’investissement public et privé. Si on se concentre sur la place européenne, nous finirons en nains de jardin qui se battent pour des miettes face à des géants qui dominent le marché." Il n’empêche que lorsque des Français se montrent plus libéraux que les Anglais, cela mérite quand même d’être souligné !

Olivia Vignaud

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