À l’ère du numérique, l’écosystème de la santé se transforme pour permettre une meilleure fluidité dans les rapports entre la technologie, les patients et les professionnels de santé, tout en offrant un cadre juridique protecteur.

Portée par la crise sanitaire, la transformation numérique de l’e‑santé accélère et ne s’essouffle pas. Les start-up y participent pleinement avec leurs technologies de pointe : des logiciels de télémédecine se servant de l’intelligence artificielle à des objets connectés de plus en plus perfectionnés. Selon un récent recensement réalisé par la société de capital-investissement Karista, la France est le pays d’Europe qui compte le plus de fonds d’investissement dans l’e-santé. Les étrangers sont également attirés par ce secteur. Du côté des industriels, le LEEM a publié un livre blanc en novembre 2020 qui présente la révolution numérique en cours par les entreprises du médicament. Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste, comme l’illustre la Commission européenne en publiant le 21 avril 2021 une version révisée du plan coordonné sur l’IA et deux propositions de Règlement, ce qui fait de la santé un des secteurs privilégiés de l’application de l’IA.

La prise en charge du patient connecté en pleine mutation.

La télémédecine a été pensée pour permettre de lutter à la fois contre les déserts médicaux et les urgences surengorgées et est désormais fortement encouragée par les pouvoirs publics. En pratique, la télémédecine permet à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ("téléconsultation"), de solliciter à distance l’avis d’un autre ("télé-expertise"), d’assister à distance

"Le cadre juridique de la santé numérique transforme le parcours de soins tout en préservant la qualité des soins et de celle de la relation avec le patient"

un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ("télé assistance") ou encore d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient ("télésurveillance"). La télémédecine a prouvé son utilité dans le contexte de l’épidémie liée au Covid-19 et a été élargie avec une prise en charge à 100 % des téléconsultations par l’Assurance maladie, que la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a prolongé à une date fixée par décret, et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2022. Afin d’accompagner le développement de la pratique de la téléconsultation, l’assurance maladie et les syndicats représentatifs signataires de la convention médicale ont élaboré une Charte de bonnes pratiques de la téléconsultation, publiée le 6 avril 2022, qui contient les recommandations et obligations essentielles au regard de la pratique de l’activité à distance. Le développement du numérique en santé au bénéfice du patient apparaît également par la mise en place d’outils numériques. Ainsi, une nouvelle plateforme a été mise en service le 1er janvier 2022, appelée "Mon espace santé." Cette plateforme procède notamment au remplacement du dossier médical partagé, contient une messagerie permettant au patient d ’échanger plus rapidement avec son équipe de soins, et propose des applications de santé au préalable référencées.

Nouvelles valorisations des technologies de santé

La création du système national des données de santé (SNDS) en 2016 permettant d’accéder aux données de l’activité des établissements et des prestations de santé, avait d’ores et déjà créé l’effervescence, eu égard aux opportunités de recherche corollaires. La France poursuit ce mouvement de valorisation de cet entrepôt de données unique au monde en déployant le "Health Data Hub", une plateforme de données de santé comprenant le SNDS et visant à faciliter l’accès et l’utilisation sécurisée de ces données, notamment pour la recherche et les projets innovants utilisant des technologies d’IA. Par ailleurs, la stratégie d’action "Santé numérique" lancée par le gouvernement dans le cadre de "France 2030" a pour ambition de faire de la France l’une des premières nations innovantes en santé en Europe à travers une dotation de 650 millions d’euros.

Dans cette dynamique de développement du numérique en santé, la Cnil a autorisé en juin 2022 l’ouverture d’un entrepôt de données de santé – plateforme Agora Santé – opérée par un consortium privé-public (AstraZeneca/La Poste Docaposte). L’objectif est de collecter des données de santé "en vie réelle" auprès des patients. En France, une ordonnance du 12 mai 2021 crée un corpus de règles applicables aux services numériques en santé. Elle facilite l’octroi aux professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social des moyens d’identification électronique permettant l’utilisation des services numériques de santé. Au niveau européen, de nombreuses initiatives sont également prises afin de favoriser une approche commune de l’IA. Ainsi, l’Agence exécutive pour la santé et le numérique a commencé son activité le 1er avril 2021. Elle a pour principale mission de mettre en œuvre le programme de "L’UE pour la santé", qui s’étend sur la période de 2021-2027, et qui vise à contribuer de manière significative à la relance post-Covid-19 et à soutenir des actions relatives à la transformation numérique des systèmes de santé. La Commission européenne a également présenté une proposition de règlement le 3 mai 2022 pour instituer l’Espace européen des données de santé qui favoriserait un marché unique des produits et services de santé numérique et apporterait un cadre cohérent et fiable pour l’utilisation des données de santé. Le Comité européen de la protection des données a également interpellé la Commission le 22 février 2022 sur la nécessité d’adapter la directive produits défectueux aux enjeux de l’IA.

Persistance des fondamentaux de la protection des patients

Cette transformation numérique assure une meilleure prise en charge du patient, sans diminuer ses droits. La Cnil a toujours prêté une attention particulière à ce que la dématérialisation des dossiers médicaux et la numérisation des systèmes de santé ne s’opèrent pas au détriment de la protection des données. Par ailleurs, le principe d’une garantie humaine en matière d’IA a été réaffirmé dans le projet de loi Bioéthique, sur les recommandations du Comité consultatif national d’éthique. Au niveau européen, de nombreuses actions sont entreprises afin de placer l’éthique au cœur de l ’IA. Ainsi, la Commission européenne a publié en février 2020 un livre blanc sur l’IA afin d’adopter une approche européenne solide et coordonnée relative aux implications humaines et éthiques de l’IA. En avril 2021, la proposition de Règlement de la Commission européenne visant à encadrer les systèmes de l’IA, selon une approche fondée sur le risque, pose un tout premier cadre juridique en la matière. L’objectif est d’asseoir une vision européenne de l’IA basée sur l’éthique en prévenant les risques inhérents à ces technologies par un règlement commun qui permette d’éviter certaines dérives.

SUR LES AUTEURS

Anne-France Moreau est associée au sein du département Sciences de la Vie de McDermott Will & Emery. Anne-France conseille des sociétés dans les secteurs pharmaceutiques, dispositifs médicaux (incluant logiciels et objets connectés) et cosmétiques dans le cadre de leurs opérations de M&A, d’investissement, de partenariats, lors de la négociation de leurs accords stratégiques en France et à l’étranger, ainsi que pour des questions réglementaires. Lorraine Maisnier-Boché est avocat senior au sein du département Cybersécurité et protection des données personnelles de McDermott Will & Emery. Lorraine conseille les professionnels et structures de santé, les administrations, ainsi que les compagnies d’assurance, fabricants de dispositifs médicaux, éditeurs de logiciels ainsi que des hébergeurs, concernant des projets informatiques complexes.

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