Directeur général de Coface depuis 2016, Xavier Durand a instauré un management décentralisé, aboutissement de plusieurs années de réflexion. En 2021, le dirigeant en expliquait le principe dans "Oser le risque". Un ouvrage qui s’intéresse à l’exercice du pouvoir.

Décideurs. En 2021, vous publiez Oser le risque, un livre sur le management dans un environnement incertain. Quel était son point de départ ?

Xavier Durand. Ce livre est un travail de réflexion basé sur trente ans de pratique et de recherches personnelles. J’ai évolué longtemps dans des organisations très structurées, très matricielles, très contrôlantes, qui essayaient de limiter les risques. Mais nos environnements sont trop complexes pour prévoir, même à court terme, ce qui va se passer. On l’a vu récemment avec la Covid ou la guerre en Ukraine. Pour être effective, une organisation doit être souple et agile. Ce qui est contraire à un pouvoir centralisé.

Comment traduisez-vous dans les faits ce style de management ?

La notion de décentralisation est essentielle. Depuis que je suis arrivé chez Coface en 2016, j’ai veillé à ce que les décisions soient prises par les personnes les plus compétentes et les plus proches du terrain possible. Nous couvrons deux cents pays. Les décisions pour le Brésil ne doivent pas être prises de France, que ce soit parce qu’au Brésil ils ont une idée claire des réglementations du pays et des besoins des clients ou encore parce que cela permet de gagner du temps et d’éviter une dilution de l’information. Il y a une vertu de la décentralisation pour autant que les gens agissent avec un sens très clair de ce que doit être l’entreprise.

 Comment vous en assurez-vous ?

Mon rôle consiste à m’assurer que chacun d’eux dispose d’un cadre de référence pour la prise de décisions. Celui-ci est composé de nos quatre valeurs : le client passe avant tout, ce sont les expertises qu’il vient chercher qui nous définissent, il est nécessaire de collaborer (on ne décide pas tout seul, ni seulement en fonction de ses intérêts locaux), il faut avoir du courage et le sens des responsabilités. L’entreprise doit développer une culture où la prise de risque est valorisée et la possibilité de l’échec intégrée. Mon job consiste à démontrer chaque jour en quoi ces valeurs interviennent dans le processus de décision, de définir une vision simple et claire à laquelle tout le monde puisse s’identifier et de choisir les hommes et les femmes de l’entreprise afin de s’assurer d’avoir les bonnes personnes aux bons endroits.

"Mon job consiste à choisir les hommes et les femmes de l’entreprise afin de s’assurer d’avoir les bonnes personnes aux bons endroits"

À la fin c’est tout de même vous, le directeur général, qui êtes responsable en cas d’échec. N’est-ce pas difficile de laisser les autres prendre des décisions que vous devez assumer ?

C’est une illusion de penser pouvoir tout contrôler. On peut définir des process pour organiser le travail, garder des traces, éviter que les erreurs ne se répètent mais on ne peut pas éliminer le risque. Quand on essaie de prévoir, on a, en général, précisément tout faux. S’assurer que les décisions sont prises localement par les personnes qualifiées est la meilleure façon d’éviter de nuire à l’ensemble. Je définis les priorités, la stratégie, les valeurs de l’entreprise, j’alloue des ressources. Je ne suis pas dans une démarche naïve, néo babacool : la décentralisation n’est pas en contradiction avec un exercice du pouvoir fort. Mais pour diriger, il faut savoir faire preuve d’humilité car la réalité est complexe. Si vous êtes dans une démarche autocratique, les gens vont simplifier la réalité pour vous et c’est là qu’apparaissent des dérives.

Dans votre livre, vous comparez votre vision du management avec le jazz. Pourquoi ?

Musicien de formation passionné de jazz, je compare deux ensembles musicaux différents. D’un côté, l’orchestre symphonique. Celui-ci est généralement composé d’une soixantaine de musiciens, hyper compétents, réunis dans un endroit très étudié, pour dérouler sous la baguette d’un chef d’orchestre une œuvre hyper écrite, à destination d’auditeurs qui paient cher pour entendre une œuvre qu’ils connaissent souvent. Est-ce que cela ressemble à la vraie vie ? Ce n’est en tout cas pas comme ça qu’on dirige une entreprise. On suit plutôt les préceptes du jazz. Les cinq à dix musiciens sur scène se mettent d’accord sur les bases. Il y a généralement un leader qui peut corriger si ça part dans le décor mais quand quelqu’un se lance, prend un risque, les autres ne doivent pas être déstabilisés.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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