Il n’est pas rare qu’une filiale française distributrice d’un groupe multinational se voit traformée en commissionnaire loque son activité se développe. L’administration fiscale a tenté de lutter contre cette situation en qualifiant d’établissement stable la filiale aii devenue commissionnaire.

Il n’est pas rare qu’une filiale française distributrice d’un groupe multinational se voit transformée en commissionnaire lorsque son activité se développe. L’administration fiscale a tenté de lutter contre cette situation en qualifiant d’établissement stable la filiale ainsi devenue commissionnaire. Le Conseil d’État a, par un arrêt Zimmer, fait obstacle à la systématisation d’une telle analyse.



Les faits de l’arrêt Zimmer(1) sont simples : une société britannique commercialisait ses produits en France par l’intermédiaire d’une filiale de distribution française (acheteur-revendeur). En 1995, elle a conclu avec sa filiale un contrat de commissionnaire à la vente. Ce changement de statut a eu pour effet de réduire la marge taxable en France au montant de la commission reçue par la filiale française. L’Administration fiscale a considéré que la société commissionnaire, Zimmer SAS, constituait un établissement stable de sa société mère étrangère. Cela lui permettait de continuer d’imposer en France le produit des ventes réalisées par la société britannique par le biais de sa filiale.


UNE ANALYSE JURIDIQUE DU CONTRAT DE COMMISSIONNAIRE

Le Conseil d’État a jugé qu’un intermédiaire placé dans une relation de dépendance à l’égard d’une entreprise étrangère liée ne constitue un établissement stable de celle-ci que s’il est en mesure de l’engager juridiquement à l’égard des tiers. Cette solution repose sur l’article 5 de la convention fiscale franco-britannique(2), suivant lequel constitue un établissement stable un agent dépendant disposant du pouvoir de conclure des contrats au nom de son mandant. Le même article excluant explicitement le commissionnaire de la définition de l’établissement stable quand il agit dans le cadre ordinaire de son activité, le Conseil d’état en a déduit que le pouvoir d’engager de l’agent dépendant ne peut s’entendre qu’au sens purement juridique(3). Il ne saurait être un pouvoir « de fait ». L’analyse du contrat de commissionnaire conclu par la SAS Zimmer démontrant qu’elle ne pouvait en droit engager son commettant, elle ne pouvait constituer un établissement stable de  sa société mère.


… A NE PAS INTERPRETER COMME UN BLANC-SEING AUX ENTREPRISES

Si cette solution s’écarte de l’analyse économique et factuelle précédemment retenue par l’arrêt Interhome(4), elle ne doit pas être perçue comme un moyen de transférer sans risque des bénéfices hors de France par le biais de contrats de commissionnaire. Le Conseil d’État précise en effet que la simple qualification donnée au contrat par les parties ne suffit pas à écarter tout risque d’établissement stable. Cette qualification pourra être retenue si l’analyse juridique des termes du contrat ou des éléments de l’instruction révèle qu’en réalité la filiale engage juridiquement son commettant auprès des tiers. Seraient ainsi visés les contrats que les parties auraient qualifiés par erreur de contrats de commissionnaire, les contrats mal rédigés …

Cette porte ouverte sur la requalification des contrats est conforme à la règle suivant laquelle la qualification donnée par les parties ne lie ni le juge ni l’administration fiscale. Elle devrait inciter les entreprises à porter une attention accrue à la rédaction de leurs contrats. Cependant, on peut se demander si la référence dans l’arrêt du Conseil d’état à « tout autre élément de l’instruction » démontrant que le commettant est juridiquement engagé auprès des tiers par les actes de son commissionnaire, ne risque pas d’être source de difficultés. Elle pourrait en effet être interprétée comme autorisant une prise en compte de correspondances du commissionnaire ou de dispositions de contrats de vente conclus par ce dernier dont la rédaction semblerait indiquer à tort qu’il engage juridiquement son commettant. L’Administration fiscale pourrait en outre être tentée de remettre en cause la qualification d’un contrat sur le fondement de l’abus de droit quand elle estimera  que des éléments révèlent que la mise en place de celui-ci résulte de la seule volonté d’éviter l’impôt français à moindre risque. Une telle approche paraît de prime abord contraire à la volonté du juge de faire prévaloir l’analyse juridique du contrat de commissionnaire. Toutefois, si elle venait à être mise en pratique, elle pourrait être source de conflit, voire de solutions iniques, la frontière entre erreur et volonté de frauder se révélant en pratique parfois imprécise. Il serait donc utile que la jurisprudence Zimmer soit complétée par une définition précise des modalités et des limites de la requalification des contrats qu’elle autorise.


UNE AVANCEE IMPORTANTE EN MATIERE DE SECURITE JURIDIQUE

Reste que cet arrêt marque une avancée en matière de sécurité juridique. Il impose d’abord au juge comme au fisc de procéder à un examen complet et objectif des données qui leur sont soumises. Il sanctionne ce faisant les analyses subjectives et incomplètes parfois avancées par l’Administration fiscale, notamment s’agissant de situations impliquant une société française et une entreprise étrangère du même groupe. Il contribue ainsi à rétablir la véritable problématique soulevée par l’affaire Zimmer : celle de la juste rémunération du commissionnaire au regard du principe de pleine concurrence, point au demeurant non critiqué par l’Administration au cas d’espèce.
L’apport essentiel de l’arrêt réside cependant dans l’affirmation implicite que lorsqu’un litige fiscal soulève une question de qualification d’un droit ou d’un contrat, les règles de droit privé doivent être mises en œuvre lorsque la loi fiscale n’impose pas sa propre qualification.

Le juge rappelle ainsi de façon salutaire que l’autonomie du droit fiscal, trop souvent invoquée par l’Administration pour justifier des analyses critiquables, n’est pas sans limites : lorsqu’un différend fiscal met en jeu une question de qualification, la définition d’une notion, la détermination du montant d’une indemnité (ex. : indemnité de rupture d’un contrat d’agent commercial régi par une loi étrangère),… l’application des règles de droit privé (national et international) s’impose si la loi fiscale n’intègre pas de définitions/solutions spécifiques permettant de s’en affranchir.

Il n’apparaît en effet pas acceptable de faire reposer une solution juridique sur une appréciation incertaine, voire subjective de faits ou de concepts juridiques. L’Administration fiscale serait donc bien avisée de revoir sa position dans un certain nombre de différends fiscaux dont l’issue suppose la mise en œuvre de règles de droit privé.

Juin 2010

1 CE, 31 mars 2010, n° 304715, 308525
2 Article conforme au modèle de convention OCDE
3 En ce sens notamment : études publiées en 1993 et 2008 à European Taxation
4 CE, 20 juin 2003, Interhome, n° 224404

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