Par Florence du Gardier et Pierre Safar, avocats associés. Dupuy & Associés
Régime exclusivement prétorien, le code du travail ne prévoit aucune disposition concernant la prise d’acte du contrat de travail. Une proposition de loi actuellement en cours d’adoption vise à en régler les conséquences procédurales en permettant aux salariés qui sollicitent le conseil de prud’hommes d’une demande de qualification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse de bénéficier d’une procédure accélérée.

Mode autonome de rupture du contrat de travail, la prise d’acte a, depuis quelques années, attiré l’attention de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les contours du régime juridique de la prise d’acte sont aujourd’hui définis de manière relativement claire. Cela étant, la Cour de cassation n’a pas fait disparaître les risques significatifs que ce mode de rupture engendre, cela tant pour le salarié que pour l’employeur.

Régime exclusivement prétorien, la prise d'acte n'est pas réglementée par le code du travail
Aux termes d'une jurisprudence bien établie, la Cour de cassation considère qu'il appartient au juge de déterminer dans un premier temps si les faits invoqués à l'encontre de son employeur par le salarié sont susceptibles de justifier ou non, au regard de leur gravité, la rupture du contrat de travail : de cette appréciation dépendent ensuite, non pas la qualification de la rupture, mais les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission.
La prise d'acte, réservée au seul salarié, n'obéit à aucun formalisme particulier. La prise d'acte est immédiate et automatique : elle ne peut donc être rétractée (Cass. soc. 21?novembre 2012, n°10-26611).
Ce régime juridique n’a pas connu d’évolution majeure depuis une dizaine d’années. Cela étant, récemment, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi en date du 27 février 2014 visant à insérer un nouvel article L.1451-1 dans le code du travail prévoyant qu’en cas de saisine du conseil de prud'hommes d’une demande de qualification de la prise d’acte, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans le délai d'un mois suivant la saisine.
On relèvera que cette proposition de loi se limite uniquement à régler les conséquences procédurales de la prise d’acte. Cette attention du législateur démontre en tout état de cause que le contentieux de la prise d’acte n’a pas été «?tari?» par la création en 2008 de la rupture conventionnelle.

À quels risques le salarié auteur d’une prise d’acte s’expose-t-il ?

La prise d’acte de la rupture de son contrat de travail n’ouvrant pas droit au versement d’indemnités de rupture ni au bénéfice de l'assurance chômage, le salarié s'expose donc à une période d'insécurité financière jusqu'à ce que le bureau de jugement statue et le cas échéant, donne à la prise d'acte les effets d'un licenciement.
Même si la proposition de loi du 27?février 2014 vise à faire progresser les droits du salarié, il est toutefois incertain qu'en pratique, tous les conseils de prud'hommes et les parties intéressées réussissent à respecter un délai aussi rapide (le contentieux sur le travail précaire en est un bon indice).
Le salarié s'expose également mais dans une moindre mesure, si le juge considère que les griefs invoqués par le salarié ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, au versement d’une indemnité correspondant à l'indemnité compensatrice de préavis qu’il n’a pas exécuté. Dans des cas plus rares, les juges ont pu octroyer à l'employeur une indemnité pour brusque rupture lorsqu'il était établi que le départ du salarié avait désorganisé l'entreprise
Rares sont les salariés qui accomplissent spontanément leur préavis : cette circonstance est, selon la cour de cassation, sans incidence sur l'appréciation de la gravité des manquements invoqués à l'appui de la prise d'acte (Cass. soc. 2?juin 2012, n°09-40215). En pratique, un salarié qui aura exécuté son préavis aura plus de difficultés à convaincre les juges de la réalité des griefs reprochés à l'employeur.
Enfin, il appartiendra au salarié de rapporter la preuve de l'existence des manquements de nature à justifier sa décision : en d’autres termes, "le doute profite à l'employeur". On notera quelques exceptions à ce régime de la charge de la preuve, en matière notamment, d'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, de temps de travail et de discrimination et harcèlement pour lesquels la charge de la preuve repose sur l’employeur. Le salarié conserve, en revanche, la possibilité d'invoquer d'autres griefs que ceux qu'il soutenait au moment de sa prise d'acte à la condition toutefois que ces manquements aient été connus par le salarié à la date de la prise d'acte (Cass. soc. 9 octobre 2013, n°11-24457).

Comment doit réagir l'employeur destinataire d’une prise d'acte ?
En premier lieu, l'employeur doit considérer le contrat de travail comme rompu : il ne peut à son tour rompre le contrat de travail. Le licenciement auquel procéderait l’employeur après la prise d’acte notifiée par le salarié serait non avenu (Cass. soc. 12 juillet 2006, n°04-12778).
De même, la prise d'acte ne pouvant être rétractée, toute régularisation ultérieure à laquelle procéderait l'employeur sera sans effet sur le principe de la rupture.
En second lieu, il doit s'interroger sur un certain nombre de points. Le salarié est-il un salarié bénéficiant d’une protection particulière contre le licenciement ? Comme pour les salariés non protégés, la prise d'acte du contrat de travail d’un salarié protégé met automatiquement fin à son contrat de travail : l'administration ne peut donc autoriser ou refuser une rupture du contrat de travail ayant déjà eu lieu. L’inspection du travail devra donc se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement dont elle serait saisie postérieurement à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail (CE, 4?avril 2011).
À noter que si la prise d'acte émane d'un représentant du personnel qui bénéficie d'une protection contre le licenciement, elle produira les effets d'un licenciement nul en raison du défaut de l'obtention de l'autorisation administrative préalable (Cass. soc. 16?février 2011 n° 10-15529). La sanction de la nullité de la prise d’acte ne peut donner lieu à la réintégration du salarié ; c’est le corollaire du fait que la prise d’acte ne peut être rétractée.

La nullité de la prise d’acte ne peut entraîner la réintégration du salarié protégé
L'employeur doit également vérifier si le contrat de travail renferme une clause de non concurrence et s’il souhaite lever cette obligation en respectant le délai contractuellement prévu qui court, en principe, à la date de notification de la rupture. À défaut, il sera redevable de la contrepartie pécuniaire prévue si le salarié respect l'engagement de non concurrence.
Si les délais d’audiencement devant les conseils de prud’hommes pouvaient conduire les salariés à préférer la demande de résiliation judiciaire à une prise d’acte de leur contrat de travail, il n’est pas exclu que la mise en place d’une procédure accélérée les conduise à envisager plus sereinement ce mode de rupture. Plus que jamais, l’entreprise devra anticiper la gestion de ce risque judiciaire.

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