Par deux arrêts du 8 juin 2010(1), la Cour de cassation se penche de nouveau sur la situation des gérants-mandataires. L’affaire, menée par un collectif de gérants-mandataires à l’encontre d’une chaîne hôtelière, a amené la Cour à examiner de nombreux moye de cassation.

Par deux arrêts du 8 juin 2010(1), la Cour de cassation se penche de nouveau sur la situation des gérants-mandataires. L’affaire, menée par un collectif de gérants-mandataires à l’encontre d’une chaîne hôtelière, a amené la Cour à examiner de nombreux moyens de cassation. Deux d’entre eux méritent tout particulièrement l’attention, sur le travail dissimulé et sur la prescription.



À  l’origine du litige, la demande de reconnaissance d’un contrat de travail formée par des dirigeants de sociétés – ainsi que leur épouse ou compagne – ayant conclu avec une chaîne hôtelière des contrats dits «?de gérance-mandat?». Rappelons qu’aux termes de l’article L.146-1 du Code de commerce : «?Les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires, sont qualifiées de «?gérants-mandataires lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d'un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité.
Les chaînes hôtelières, particulièrement dans l’hôtellerie économique, ont massivement eu recours à ces gérants-mandataires et ce d’ailleurs, avant même que la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 n’en consacre le statut. Encore faut-il que le gérant-mandataire ait effectivement toute latitude pour gérer le fonds de commerce. Bien souvent, en pratique, afin d’assurer l'homogénéité du produit qu’elles commercialisent, les chaînes ne peuvent faire autrement que d’imposer unilatéralement à leurs gérants-mandataires le respect de normes d'exploitation et de procédures aussi nombreuses que contraignantes. En cas de litige, le risque est alors grand de voir ces contraintes qualifiées d’«?ordres?», de «?directives?» ou de «?contrôle?» ; en définitive de lien de subordination(2), critère décisif de l’existence d’un contrat de travail.

Dans l’hypothèse d’une requalification des relations entre les parties en un contrat de travail, il appartient au juge de faire les comptes entre ces dernières. Parmi les prétentions des gérants-mandataires, l’on retrouve systématiquement – au-delà de celles relatives aux conséquences de la rupture éventuelle des liens contractuels – des rappels de salaires divers et variés ainsi que des dommages-intérêts, notamment pour non-respect du repos compensateur ou pour travail dissimulé. C’est donc sans surprise que dans les espèces commentées les dix-sept demandeurs – qui avaient obtenu la reconnaissance du statut salarié – ont sollicité l’octroi de dommages-intérêts pour «?repos compensateurs et congés payés non pris?» et pour travail dissimulé.


Le travail dissimulé

S’agissant du travail dissimulé, la chaîne hôtelière a plaidé l’erreur de droit, rappelant que l’article L. 8223-1 du Code du travail ne peut s’appliquer que si c’est intentionnellement que l’employeur s’est soustrait au paiement d’heures de travail dues. Argument accueilli favorablement par les juges du fond dont l’analyse est salutairement validée par la Haute Juridiction : «?Mais attendu que la Cour d’appel a estimé que le seul fait pour la société de conclure des contrats de gérance-mandat ne pouvait caractériser son intention de se soustraire délibérément à ses obligations d’employeur ; que le moyen n’est pas fondé?». La Cour de cassation confirme ainsi que la notion de travail dissimulé doit être interprétée strictement, balayant l’approche retenue par certains juges du fond et notamment par la cour d’appel de Paris qui, dans les fameux arrêts «?Île de la tentation?» (3), avait considéré : «?Que sur le travail dissimulé, la proposition de signature par la société Glem d'un "règlement participant" au lieu d'un contrat de travail, l'absence de déclaration d'embauche et paiement de cotisations sociales, d'établissement de bulletins de salaire, notamment, caractérisent l'intention de la société de production de dissimuler au sens de l'article L.324-10 du Code du travail l'engagement d'un salarié dont le travail est, de surcroît, accompli à l'étranger?» ; arrêts cassés sur ce point le 3 juin 2009(4). Tel est le premier apport des arrêts du 8 juin 2010 et il est de nature à rassurer.


La prescription

Leur second apport concerne l'effet interruptif de la prescription de l'action en paiement du salaire. Bien qu’ayant saisi la juridiction prud’homale dans le courant de l’année 2001, ceux qui allaient être qualifiés par les juges de «?salariés?» n’ont en effet pour la première fois formé leurs demandes pour non-respect du repos compensateur et des congés payés qu’en cause d’appel, dans des écritures produites à la fin de l’année 2007 et se rapportant à une période antérieure à plus de cinq ans. Or, aux termes de l’article L. 3245-1 du Code du travail : «?L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du Code civil.?» Selon l’article 2224 du Code civil, «?les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.?» Selon la jurisprudence, la notion d'action en paiement du salaire s'entend de toute action concernant les sommes liées à l'exécution d'un travail salarié. Ainsi notamment la prescription quinquennale s'applique-t-elle à toute action tendant au versement de sommes qui auraient dû être payées en raison de l'absence de prise du repos hebdomadaire(5).

Jusque récemment, la Haute Juridiction considérait qu’une citation en justice n’interrompait pas le cours de la prescription à l'égard de créances qui ne faisaient pas partie de l'objet de la demande initiale. Dit autrement, l'effet interruptif attaché à une première demande en justice ne s'étendait pas à une seconde demande, différente de la première par son objet(6). Ce n’est plus le cas. Par un arrêt publié du 8 avril 2010(7) passé étonnamment inaperçu, la Cour de cassation énonce désormais au visa de l’article L. 3245-1 du Code du travail que «?la prescription est interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes même si certaines demandes avaient été présentées en cours d’instance?». Solution confirmée par les deux arrêts du 8 juin 2010 qui vont jusqu’à étendre la solution «?même si certaines demandes [sont] présentées en cause d’appel?».

Bien qu’en apparence purement procédural, le débat comportait donc des enjeux financiers importants, illustrant l’intérêt d’une approche technique rigoureuse du contentieux prud’homal.


1 Cass. soc. 8-06-2010, n° 08-45.269 et
n° 08-44.965 - Billot-Laillet c/ B&B Hôtels
2 V. Cass. soc. 13-11-1996, n° 4515 ; 23-04-1997, n° 1688
3 Paris 12-02-2008 n° 07-2722, SAS Sté Glem c/ Brocheton et n° 07-2723, SAS Glem c/ Laize
4 Cass. soc. 3-06-2009 n° 08-40.981 à 08-40.983 / 08-41.712 à 08-41.714
5 Cass. soc. 13-01-2004 n° 01-47.128. V. également Cass. soc. 27-09-2006 n° 04-48.661
6 En ce sens Cass. soc. 25-2-1988 n° 87-42.020 ; 15-4-1992 n° 88-45.457 ; 28-6-2006 n° 04-44.943
7 Cass. soc. 8 avril 2010 n° 08-42.30

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