Dominique Desseigne, président du Groupe Lucien Barrière (GLB) et de la Société fermière du casino municipal de Cannes (SFCMC), revient sur la réorganisation majeure de l’actionnariat de GLB consécutive à la mise en vente par Accor de sa participation de 49?% au capital de GLB.

Dominique Desseigne, président du Groupe Lucien Barrière (GLB) et de la Société fermière du casino municipal de Cannes (SFCMC), revient sur la réorganisation majeure de l’actionnariat de GLB consécutive à la mise en vente par Accor de sa participation de 49?% au capital de GLB.

Décideurs. Comment définissez-vous votre rôle au sein de GLB ?
Dominique Desseigne. Je dirige un groupe représenté par une famille unie, nous sommes trois avec mes deux enfants, ce qui est un formidable atout dans la prise de décision. Chacun sait où la décision se prend, chacun sait qui détient le groupe, qui le dirige et qui le défend.

Décideurs. Comment analysez-vous l’échec de votre introduction en Bourse (IPO) de l’été 2010 ?
D.?D. L’opération a échoué pour différentes raisons. Après coup, il est toujours facile d’identifier les coupables : le contexte macro-économique général déprimé pour les uns, le cours de Bourse en chute libre de l’un de nos principaux concurrents pour les autres, sans compter le track record d’IPO avortées ou dépréciées depuis le début 2010 qui ne jouait pas en notre faveur… Puis se sont greffées, au moment du lancement de notre offre publique, les grèves en France. Cela ne faisait pas sérieux et a abouti à l’échec de la transaction. Les excuses ne manquent pas mais sont vaines lorsque l’on cherche à assurer la pérennité et la prospérité de son groupe. Si l’alchimie n’a pas pris avec le marché, c’était sans doute un signe.

Décideurs. Qu’entendez-vous par-là ?
D.?D. Au final, de cette IPO ratée je retiens le cercle vertueux qu’elle aura permis d’amorcer pour nous et nos partenaires. Nous en avons tiré beaucoup de positif. Comme tout événement, il faut le resituer dans son contexte. À l’époque, Accor, notre précédent actionnaire, cherchait à se désengager de GLB. Pour ce faire, il avait envisagé de vendre sur les marchés les 49?% qu’il détenait. L’opération signifiait un changement de culture significatif dans l’histoire de notre groupe marqué du sceau d’une gestion familiale presque centenaire. Il fallait préparer la holding et ses équipes à fonctionner comme un groupe coté, soumis aux exigences des marchés. Pour ma part, j’ai été de tous les roadshows pour présenter le groupe aux investisseurs. Cela nous a apporté beaucoup de notoriété sur la place, car notre nom a circulé.

Décideurs. La holding familiale Fimalac a-t-elle eu le rôle de chevalier blanc dans le débouclage de l’opération ?
D.?D. Je n’ai pas vu de chevalier blanc mais de la confiance et rien que de la confiance ! Ce qui est bizarre dans la vie, c’est que d’une situation d’IPO ratée à l’été 2010, nous nous sommes retrouvés avec un panel de possibilités peu de temps après. Nous avions sept potentiels investisseurs différents, dont trois fonds d’investissements. Fimalac n’est donc pas un choix par défaut. Dans un contexte de marché difficile, ce deal ressort comme équitable pour toutes les parties.

Décideurs. Qu’est-ce qui vous a convaincu dans le choix de signer avec Fimalac ?
D.?D. Fimalac et Barrière sont deux groupes familiaux de taille comparable. Nous nous connaissons depuis longtemps avec Marc Ladreit de Lacharrière (président-directeur général de Fimalac, NDLR). Nous nous sommes plu et je lui ai présenté l’entreprise avec le cœur. Nous avons bien sûr parlé de l’entreprise et, tout de suite après, de nos enfants. C’est une belle rencontre.
Grâce à l’IPO, tout était prêt, en deux fois deux heures, tout était vu avec Fimalac et le deal a été bouclé en trois semaines.

Décideurs. Quelles sont les synergies à attendre de votre partenariat avec Fimalac ?
D.?D. D’une part, Fimalac, qui détient un immeuble important à Canary Wharf à Londres, souhaite investir dans l’immobilier, d’où la logique de se rapprocher de Lucien Barrière. Avec nous, Fimalac a trouvé 250 000 m² de murs, des fonds et du cash flow.
D’autre part, au travers de sa participation dans Gilbert Coullier Productions et de sa filiale Vega, Fimalac est présent dans la production de spectacles. Ce deal va donc permettre de belles synergies dans le domaine artistique, que le Groupe Lucien Barrrière soutient depuis toujours et au-delà des obligations légales avec plus de 2 700 spectacles et animations par an dans ses établissements.

Décideurs. Pourquoi la famille Barrière-Desseigne a-t-elle souhaité porter sa participation de 51?% à 60?% ?
D.?D. Cela faisait partie de l’accord de double actionnariat stable voulu avec le nouvel entrant Fimalac. Pour nous reluer à 60?%, nous avons tiré sur des lignes de crédits existantes tout en respectant les ratios bancaires. Jamais la famille n’avait dépassé 51?% au capital du Groupe Lucien Barrière. C’est chose faite depuis la sortie d’Accor.

Décideurs. Finalement, ce deal doit-il être appréhendé comme un retour à un capitalisme plus familial ?
D.?D. Nous n’avons jamais cessé d’être une entreprise familiale, ce qui permet de limiter les tensions et de tenir la barre quand il y a des épreuves. Avec Fimalac, il n’y a pas de mécanisme de co-contrôle. Il n’y a pas de conflit possible car nous partageons la même vision, celle de développer nos entreprises au-delà des deadlines de trois ou cinq ans des investisseurs financiers. Au passage, je rejoins complètement les récents propos de Gérard Pélisson (cofondateur d’Accor), qui a toujours été un visionnaire, lorsqu’il dit : «?La finance doit être au service de l’entreprise.?»

Décideurs. Avec la crise mondiale, la concurrence des jeux en ligne et l’interdiction de fumer dans les casinos, votre groupe, qui réalise près de 80?% de son activité dans les jeux, vient de traverser des années difficiles. Qu’est-ce qui vous a aidé à traverser ces épreuves ?

D.?D. La fidélité de nos clients, des collaborateurs du groupe et de l’ensemble de nos partenaires financiers. Depuis près d’un siècle, le groupe a eu la chance d’être accompagné par une grande banque : la Société générale. Ce partenariat a commencé par l’ouverture d’un compte à Trouville. Aujourd’hui, la Société générale est chef de file de nos crédits syndiqués. Je peux témoigner que la famille a toujours pu compter sur le soutien attentif de sa banque, dans ses développements comme dans les moments plus délicats. Je citerai également la fidélité de certains de nos conseils, comme Matthieu Pigasse chez Lazard, ou Alain Maillot, avocat associé chez Darrois Villey Maillot Brochier. Nous avons réussi à traverser ces trois dernières années avec les pieds sur terre et de la sagesse. Nous avons serré les coûts. En termes d’activité, nous n’avons pas progressé. Nous avons perdu 22?% de chiffre d’affaires sur la période, mais nous avons sauvé les meubles. Aujourd’hui, nous pouvons repartir de l’avant.

Décideurs. Quels sont vos projets de développement ?
D.?D. Ces dernières années, près de 400?millions d’euros ont été investis dans le développement, dont une grande partie en France avec 120?millions à Lille pour la construction d’un nouvel hôtel-casino, ou 80?millions à Toulouse. En 2009, nous avions également ouvert notre premier hôtel au Maroc, à Marrakech. Pour les casinos, la fréquentation reprend des couleurs et fait nouveau, il semblerait que les dépenses aussi. Cela dit, il est trop tôt pour en tirer des conclusions. Nous verrons bien. L’ensemble du groupe repart bien.

Décideurs. Avez-vous des visées hors d’Europe, en Amérique du Nord, en Asie, au Moyen-Orient, etc. ?
D.?D. Les opportunités ne manquent pas. La crise que nous venons de traverser rend prudent et aura été une leçon d’humilité. Dans ce métier comme au poker, il faut éviter de jouer le coup de trop. Nous avons beaucoup investi et souhaitons pour l’instant nous consolider. Cela étant, nous regardons vers Shanghaï avec beaucoup d’intérêt et entretenons de très bons rapports avec les pays du Moyen-Orient. Sur ces marchés, nous disposons de leviers formidables avec la notoriété de nos deux marques Barrière et Fouquet’s. Mais il nous faut des partenaires locaux, car nous n’irons pas seuls. Ces marques sont des sortes de mythes dans l’imaginaire collectif. Cela nous permet de prendre notre temps pour bien penser leur exportation.

Décideurs. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de votre principal concurrent, qui est aussi, depuis mai?2010, votre principal associé dans les jeux en ligne : La Française des Jeux (FDJ) ?
D.?D. La FDJ n’est pas un concurrent direct. Cette alliance est un partenariat de long terme : avec Christophe Blanchard-Dignac (p-dg de la FDJ), nous avons le même esprit : nous n’avons pas anticipé illégalement le marché des jeux en ligne. Dans le cadre du lancement de notre offre poker sur internet BarrierePoker.fr, en joint venture avec la FDJ, nous avons dû passer par Bruxelles, ce qui nous a fait perdre six mois avant d’obtenir l’agrément. Nous avons toujours respecté le droit et nous avons pris du retard par rapport à ceux qui avaient déjà commencé leurs expérimentations, fussent-elles illégales. Cette virginité a ses inconvénients mais nous apprenons vite et grâce à notre expérience dans les casinos, la synergie offline-online joue en notre faveur.

Décideurs. Quelle est la valeur ajoutée de BarrierePoker.fr sur le marché du poker en ligne ?
D.?D. Elle est multiple. BarrierePoker.fr s’appuie sur une technologie propriétaire qui lui permet de faire évoluer sa plate-forme. Nous sommes maîtres de l’outil, ce qui est très important.
L’arrivée du poker sur Internet nous a posé des problèmes, amputés de certaines recettes et contraints de nous adapter aux nouveaux modes de consommation. C’est ce que nous faisons. Pour autant, Internet est aussi une formidable opportunité pour notre métier de casinotier. Nos 31,2?% de parts de marché dans le secteur en France sont une force. Tout joueur sur le Net souhaite un jour se frotter à la réalité des casinos. C’est ce que nous pouvons proposer par l’organisation de tournois et les premiers retours sont très encourageants. De 600 participants à l’European Poker Tour l’an dernier, nous sommes passés à plus de 900 cette année. Et nous venons d’annoncer un partenariat unique en France et en Europe en signant avec Caesars Interactive Entertainment pour l’organisation des World Series Of Poker Europe (WSOP Europe)

Décideurs. Vous parliez de vos enfants. Comment imaginez-vous le groupe d’ici une dizaine d’années, moment où ils pourraient prendre votre relais ?
D.?D. Je suis optimiste pour notre groupe dans les dix prochaines années. Le tourisme en France a de beaux jours devant lui. Paris est une zone d’appel formidable pour l’ensemble du pays. De plus, avec la forte croissance des pays asiatiques, leurs ressortissants vont de plus en plus voyager, et notamment venir chez nous. Mes enfants sont très attirés par Internet. À très long terme, tout est imaginable à partir du moment où les projets sont bien pensés. Il faut du bon sens, du travail et de l’intuition.

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