Dans les travées du Palais-Bourbon, Insoumis et lepénistes essaient d’imposer leur vision de l’Histoire de France. Avec une idée bien précise derrière la tête…

C’est un slogan que les lecteurs de 1984 connaissent bien : "Celui qui contrôle le passé contrôle le futur." Depuis le début de la nouvelle législature, certains députés semblent vouloir mettre ce leitmotiv en pratique. Objectif ? S’appuyer sur une Histoire de France revue à leur sauce pour faire avancer leur agenda politique.

LFI :  passion Révolution

Les principaux adeptes de cette stratégie sont de loin les Insoumis qui piochent allègrement dans la Révolution française. Une source d’inspiration pour Jean-Luc Mélenchon. Mais aussi pour Alexis Corbière, fin connaisseur de cette période, qui a publié un ouvrage sur Robespierre et un autre consacré à la réhabilitation des Jacobins.

Le député de Seine-Saint-Denis, professeur d’Histoire de formation, peut compter sur la passion de plusieurs jeunes députés pour ces années controversées qui ont vu naître aussi bien la République que la Terreur. Sur Twitter, dans ses interviews ou lors de ses prises de parole, Louis Boyard, benjamin de l’hémicycle, ne cache pas son admiration pour Saint-Just ou Robespierre. Il en est de même du côté d’Antoine Léaument. Le "Monsieur digital" de Jean-Luc Mélenchon a obtenu son siège au Palais-Bourbon grâce à un parachutage dans une circonscription favorable de l’Essonne. Lui aussi utilise sa nouvelle notoriété pour promouvoir la Révolution française dans l’espace public.

"Docteur" Léaument 

Depuis son élection, il fait feu de tout bois : commémoration des débuts de la première République, de la mort de Robespierre à Arras - avec deux autres jeunes membres de la nouvelle garde du mouvement, Hadrien Clouet et Ugo Bernalicis -, éloge du drapeau tricolore selon lui né d’une grève antiraciste, accusations de traîtrise contre Louis XVI renommé Louis Capet, célébration des Jacobins qui ont élu le "premier homme de couleur député".

Plus que politique, cette passion relève de la métapolitique. S’appuyer sur l’Histoire pour ancrer le programme LFI et le dégagisme anti-élites cher au parti populiste constitue une stratégie clairement assumée dans une tribune publiée sur le site Le vent se lève : "L’Histoire de France peut venir en appui de notre combat en rappelant précisément toutes les défaites que le peuple de notre pays a infligées à des monarques, parfois républicains, qui se croyaient sûrs de leur pouvoir". En filigrane, il s’agit également de ne pas laisser à l’extrême droite le monopole des symboles que sont le drapeau tricolore, la Marseillaise, les notions de nation ou de patriotisme.

S'appuyer sur la Révolution pour légitimer le programme LFI et le discours anti-élites est une stratégie clairement assumée

Algérie, colonisation : le RN veut marquer son empreinte

Si LFI cible le RN qu’il considère comme le mal absolu, force est de constater que ce dernier plonge également dans les livres d’Histoire pour en ressortir des épisodes permettant de faire avancer son agenda. Et cela n’a pas traîné puisque, dès le discours d’ouverture de la nouvelle législature, le doyen des députés, José Gonzalez, a fait part de sa nostalgie d’une Algérie française dans laquelle il a passé sa jeunesse. Un discours salué par le centre et la droite qui a permis de remettre au goût du jour une thématique chère aux pieds-noirs traditionnellement portés vers le RN et le FN.

Même si Marine Le Pen contrôle avec poigne son groupe et surveille d’éventuels dérapages comme du lait sur le feu, certains députés se basent eux aussi sur l’Histoire pour imposer leur vision de la France. Deux exemples récents sont illustratifs. En ce début d’année 2023, Christophe Barthès, élu dans l’Aude, se réjouit sur Twitter d’avoir assisté à une messe à la mémoire de Louis XVI "assassiné". Une attitude à des années-lumières d’Antoine Léaument. En novembre 2022, c’est le médiatique Julien Odoul qui a repris sur CNews une idée prisée à droite : le bienfait de la colonisation française qui, au passage, sert de prétexte au refus d’accueillir des migrants : "En Afrique, la France a laissé 50 000 kilomètres de routes bitumées, 18 000 kilomètres de voies ferrées, 63 ports, 196 aérodromes, 2 000 dispensaires équipés, 600 maternités, 220 hôpitaux avec soins et médicaments gratuits, 16 000 écoles primaires. Non, la France ne doit rien aux migrants."

Au RN, on évoque la nostalgie de l'Algérie française, les bienfaits de la colonisation et l'assassinat de Louis XVI

Tanguy

Jean-Philippe Tanguy, le hussard de la Somme

Si LFI peut compter sur Antoine Léaument pour lier Histoire et idéologie avec un sens tactique développé mais une rigueur contestée, le RN se repose sur Jean-Philippe Tanguy qui recourt à une technique différente que l’on pourrait qualifier de "méthode à la hussarde".

Comme la cavalerie légère, le député de la Somme harcèle l’ennemi, multiplie les raids en profondeur et convoie sous bonne escorte le ravitaillement. Ou plutôt les idées et les éléments de langage. Orateur talentueux, c’est lui qui monte au front dans l’hémicycle pour contester la vision de l’Histoire défendue par les Insoumis croqués en "petits bourgeois" qui "jouent aux révolutionnaires".

"Sur la forme, ils sont un peu ridicules", s’esclaffe l’élu passé par le camp Nicolas Dupont-Aignan. "Voir Antoine Léaument porter une cocarde tricolore et s’exprimer de manière ampoulée comme s’il était à la Convention, c’est risible. D’autant plus que, contrairement à Alexis Corbière qui connaît vraiment l’Histoire, il est très approximatif."

En revanche, à l’heure d’évoquer le fond, le membre de la commission des Finances ne cache pas son inquiétude : "C’est un projet assumé de rééducation de la jeunesse en associant à la Révolution française des sujets chers aux Insoumis mais qui sont anachroniques : régularisation des clandestins, droit des minorités, célébration de la société multiethnique…"

Celui qui est parfois surnommé par la presse "le chouchou de Marine Le Pen" a aussi trouvé son personnage de prédilection. Cet hiver, il déposait une résolution pour réclamer le rapatriement des cendres de Napoléon III qui sont en Angleterre. Il souhaite mettre en lumière une personnalité "méconnue". Si Antoine Léaument accuse le neveu de l’Empereur d’avoir mis fin à la République, réprimé les ouvriers et perdu l’Alsace-Moselle, son homologue RN loue "sa politique économique, l’industrialisation du pays, la politique étrangère offensive, le rattachement de Nice ou de la Savoie".

"Les Insoumis ont un projet assumé de rééducation de la jeunesse en associant la Révolution française à des sujets comme la régularisation des clandestins, droit des minorités, célébration de la société multiethnique"

L’élu qui se réclame du gaullisme et du bonapartisme le jure, il n’a aucune arrière-pensée politique, "même si son action a laissé des traces durables en Picardie ou dans le Nord, zone où les habitants se voient privés d’une part de leur histoire". Zones qui sont au passage des bastions du RN…

Les macronistes aux abonnés absents

De leur côté, les députés de la majorité restent cois et se contentent de compter les points sans chercher à récupérer le récit national. Une attitude qui ne surprend guère Jean-Philippe Tanguy, pour qui le groupe Renaissance est en grande partie composé de "notables établis avant tout soucieux de leur carrière ou de personnes issues de la société civile avec un profil plutôt technique". Ce qui d’après lui est beaucoup moins le cas chez les Insoumis et les lepénistes dont les contingents au Palais-Bourbon comportent "de nombreux jeunes qui se sont engagés en politique avec une vision romantique, qui s’intéressent à l’Histoire, au débat d’idées, qui sont globalement structurés idéologiquement et savent où ils veulent aller". À l’inverse d’un macronisme qu’il juge "sans vision et sans ancrage". En somme, les jeunes Insoumis pourront continuer à évoquer Louis XVI de manière enflammée, la majorité s’en contrefiche. Cela se vérifiera-t-il dans les urnes ? L’Histoire jugera.

Lucas Jakubowicz

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