Au coeur d’une situation économique complexe, le secteur de l’immobilier n’est pas épargné. Hausse des taux, des coûts, baisse de la capacité d’emprunt et du pouvoir d’achat… Face à cela, les mesures mises en place par le gouvernement ne semblent pas faire l’unanimité. Décryptage du marché par Alain Atallah, fondateur de Trinity Gestion Privée. 
Décideurs. Comment définiriez-vous l’état actuel du marché immobilier ?
Alain Atallah. Le marché immobilier en France est en souffrance. Je pense que nous allons faire face à une grande crise du logement dans les mois et années à venir, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, la baisse des permis de construire est un indicateur avancé en finance.
Le nombre des permis de construire ne fait que baisser depuis 2018. Une des raisons provenant des collectivités qui peinent à délivrer de nouveaux permis du fait de l’augmentation des impôts locaux. Un collectif, c’est une école à construire, de la voirie, des commodités, des impôts… et des électeurs mécontents.

 

"Les conseillers financiers ouvriraient des possibilités d’investissement immobilier, là où l’État en a fermé"

L’autre raison serait le plan Biodiversité du gouvernement et son objectif Zéro Artificialisation Nette, qui n’est pas selon moi une mauvaise chose. Cette loi vient également mettre un terme aux arrangements à huis clos des dernières années qui ont poussé excessivement la consommation du foncier naturel. Enfin, la hausse des prix liée à la réglementation énergétique dans le neuf et l’obligation de rénovation des passoires thermiques, et les conditions de financements actuelles laissent entrevoir un scénario plutôt pessimiste.

 
La Première ministre a récemment fait des annonces concernant la crise du logement…
Le "désamour" de l’immobilier par le gouvernement actuel pose problème. En juin dernier, Élisabeth Borne a annoncé qu’il n’y aurait pas de renouvellement des dispositifs fiscaux, ce qui est dommageable pour les professionnels car nous parlons de 350 000 emplois touchés, directement ou non, par cette décision. Oui, cela avait un coût pour l’État, mais a tout de même rapporté 91 milliards d’euros de recettes fiscales ! L’arrêt de ces dispositifs va certainement amener les promoteurs à licencier et le logement va encore plus manquer en France. Sans fonds, le parc immobilier français vieillissant ne pourra pas se renouveler - ce qui est un problème pour les passoires thermiques notamment ; et il n’y aura pas de création de nouvelles habitations au sein des zones tendues. La Première ministre a orienté son discours vers l’ouverture éventuelle de certaines zones délaissées (B2 et C1) mais sans aucune contrepartie. Nous sommes en statu quo, et l’attentisme peut se révéler dommageable.
 
La capacité des Français à investir est-elle touchée ?
Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a plafonné le taux d’endettement à 35 %, quels que soient les revenus fiscaux de la famille et le reste à vivre qui, selon les situations, est conséquent. Selon moi, il y a un important travail à faire en faveur des investisseurs en immobilier souhaitant faire du locatif. Les banques relèvent également leurs taux, ce qui rend difficile l’accès au crédit à partir d’un certain âge. Enfin, l’inflation a eu un impact considérable sur les coûts des matériaux et le pouvoir d’achat des familles, sans compter les ruptures d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine.
 
Vos clients ont-ils ressenti une baisse de l’immobilier dans leurs allocations ?
Depuis 2022, nous avons de nombreux clients qui sont venus nous voir pour leurs investissements immobiliers car ils n’avaient pas pu avoir accès au crédit pour toutes ces raisons. Aussi, la valeur de cet actif s’était accrue grâce à la baisse des taux des dernières années et de la "révolution Covid". Aujourd’hui rien ne semble aller en faveur d’un renforcement de l’immobilier dans nos allocations.
 
De nouvelles stratégies d’investissement vont-elles émerger ?
Nous allons essayer de mettre en place des club deals où nous pourrions promouvoir des investissements immobiliers, ce qui nous permettrait de faciliter l’accès aux crédits de nos clients avec des apports bien moins importants que ceux exigés par les banques. De cette façon, les conseillers financiers ouvriraient des possibilités d’investissement immobilier, là où l’État en a fermé. La numérisation dans les transactions prend déjà une place importante sur le marché. Digitalisation et mutualisation seront sans doute la stratégie gagnante.
 
Dans quelles mesures la transition énergétique et les réglementations qui l’accompagnent ont un impact sur l’accès à cette classe d’actifs ?
Nous faisons une réelle différence entre l’immobilier pour vivre et l’immobilier pour investir. Concernant l’immobilier d’investissement, il y aura toujours des opportunités offrant rendement et sécurité, tant que la fiscalité s’y prête, et que cela soit étudié avec attention.

 

"Il aurait été plus simple d’encourager la création de nouveaux logements plutôt que la rénovation d’anciens"

Cependant, vont se retrouver sur le marché bon nombre de biens classés en passoires thermiques et demain en "logements insalubres" à des prix complètement déconnectés du marché, au rabais. C’est le résultat de la procrastination des gouvernements successifs. Aujourd’hui la transition imposée par le gouvernement Macron est trop rapide. Les professionnels du bâtiment ne sont pas formés ni aux dernières normes de construction ni aux matériaux, et les propriétaires, bailleurs ou non, appréhendent un coût lié à la transformation plus important du fait des raisons expliquées précédemment.

 
Les efforts entrepris pour promouvoir le logement durable et respectueux de l'environnement en France sont-ils suffisants ?
Il aurait été plus simple d’encourager la création de nouveaux logements plutôt que la rénovation d’anciens. La crise environnementale est grave et urgente. Le gouvernement aurait dû poser plus de contraintes aux entreprises et aux particuliers pour accélérer la transition énergétique de nos logements il y a maintenant des décennies. Il est certain voire urgent que le gouvernement revienne sur sa copie et mette en place des leviers en faveur de nouveaux logements, et je parle ici de construction, de création. Nous l’avons bien vu ces quarante dernières années avec les dispositifs successifs encourageant la création de nouveaux logements. Sans l’investisseur privé et une contrepartie financière, ici fiscale, il me semble difficile d’envisager un parc immobilier suffisant et une transition environnementale réussie.
 
Des mesures ont-elles été mises en place en faveur du propriétaire ?
Il y a peu, l’Assemblée nationale a adopté une loi protégeant les bailleurs des squatteurs, ce qui est une bonne chose. À part cela, je ne vois rien d’autre. Le propriétaire est souvent délaissé dans notre pays au profit de l’égalitarisme.
 
Quelle serait votre suggestion pour pallier cette crise ?
Il serait intéressant de mettre rapidement en place un nouveau dispositif similaire à Pinel, dès 2024, sur une période d’investissement aussi plus longue. Le dispositif à mettre en place renflouera les caisses de l’État, sauvera les emplois dans le secteur et réussira la transition écologique du logement, sans oublier le principal objectif, loger les Français. La balle est dans le camp du gouvernement. 
 
Propos recueillis par Marine Fleury

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